Un dernier coup de poker ?

par Giuseppe Santoliquido
vendredi 25 mai 2012

Outre le triomphe du Mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo, le principal enseignement de ce week-end électoral, maculé du sang des victimes de l’attentat de Brindisi et du séisme meurtrier de Ferrare, est l’implosion définitive du Peuple de la Liberté, le parti de Silvio Berlusconi. En effet, jamais, depuis sa création en 1994, la formation de l’ancien Premier ministre n’avait connu d’échec aussi ciglant. 

Outre le triomphe du Mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo, le principal enseignement de ce week-end électoral, maculé du sang des victimes de l’attentat de Brindisi et du séisme meurtrier de Ferrare, est l’implosion définitive du Peuple de la Liberté, le parti de Silvio Berlusconi. En effet, jamais, depuis sa création en 1994, la formation de l’ancien Premier ministre n’avait connu d’échec aussi ciglant. Ainsi, 17 des 26 chefs-lieux de province concernés par le vote étaient gouvernés par le centre-droit avant ce week-end. Ils ne sont plus que 6. De même, les troupes du Cavaliere ne géreront plus que 34 des 177 villes (au lieu de 98 avant le vote) de plus de 15 000 habitants. D’importantes cités de Lombardie et du Piémont, fiefs du vote berlusconien, sont désormais passées dans l’escarcelle du centre-gauche. En Emilie-Romagne, le Peuple de la Liberté a littéralement disparu de l’échiquier politique. Pire : Agrigente, la ville natale d’Angelino Alfano, le nouvel homme fort du parti, s’est elle-aussi choisi un maire de centre-gauche. Relevons que ces résultats s’ajoutent à la déroute historique de 2011, qui avait valu aux troupes de M. Berlusconi la perte de villes aussi symboliques que Milan, Naples et Cagliari.

Privé des alliés historiques qu’étaient les centristes de M. Casini et la Ligue du nord, une question se pose aujourd’hui au Peuple de Liberté : son fondateur doit-il revenir aux affaires ? A cette question, Silvio Berlusconi semble avoir répondu lui-même ce mercredi 23 mai en conférence de presse. « Sans moi, cela ne fonctionne pas, à l’évidence, c’est une vraie débandade », a-t-il déclaré. « Je vais donc moi-même prendre les rennes d’un nouveau mouvement politique, qui doit s’inspirer de la stratégie médiatique de Beppe Grillo. » En d’autres termes, il s’agit de structurer au plus vite un nouveau réceptacle électoral, dont M. Berlusconi serait une fois encore le catalyseur, pour éviter l’exode des troupes vers le mouvement centriste de M. Casini et la Ligue du Nord.

Le nouveau pari berlusconien peut-il réussir ? Non, si l’on envisage un retour personnel de Silvio Berlusconi aux affaires nationales. Les alliés potentiels ont déclaré à de nombreuses reprises qu’aucune alliance n’était envisageable avec le Peuple de Liberté si l’ancien Premier ministre prétendait à diriger de nouveau le pays. Par ailleurs, ses démêlés judiciaires et autres affaires de mœurs semblent en avoir définitivement entaché la crédibilité nationale et internationale. Une éventuelle nouvelle structure devrait donc impérativement être dirigée, du moins en façade, par une autre personnalité, probablement encore M. Alfano.

Une fois cette réserve formulée, plusieurs éléments plaident toutefois pour une redistribution des cartes, à terme, en faveur du centre-droite. Le premier est que si de récents sondages créditent les troupes de M. Berlusconi de 17 % des intentions de vote en cas de scrutin national, alors qu’il trônait à plus de 30 % il y a moins de deux ans, le taux d’abstention au sein de son électorat est extrêmement élevé. Plus de 43 % des électeurs du centre-droit déclarent, en effet, que dans un tel cas de figure ils voteraient blanc ou s’abstiendraient. Si, de prime abord, le chiffre peut paraître inquiétant, il signifie cependant que M. Berlusconi dispose d’un important réservoir de voix, non convaincues par les alternatives présentes sur l’échiquier politique, et potentiellement mobilisables. Une autre donnée favorable au projet berlusconien tient à l’échec de la troisième voie. Faisant le pari d’exploiter le crépuscule décadent du Cavaliere, Pier Ferdinando Casini en 2008 et Gianfranco Fini en 2010 se sont tour à tour détachés de leur mentor pour créer, ensemble, un mouvement autonome. Force est toutefois de constater qu’à ce jour, leur pari a échoué. À un an et demi de sa naissance, pénalisé par la logique majoritaire d’un système bipolaire, le Troisième Pôle centriste, allié naturel du gouvernement de Mario Monti, n’a pas réussi de percée électorale, et ce malgré la déroute du parti berlusconien. Une fois encore, il s’agit d’un électorat naturellement ancré au centre-droite, et donc possiblement mobilisable par une structure berlusconienne renouvelée. 

Enfin, si d’un point de vue strictement arithmétique, le centre-gauche est un des vainqueurs du scrutin de ce week-end, sa puissance électorale est bien plus apparente que réelle. Certes, la coalition est désormais à la tête de 95 des 177 villes de plus de quinze mille habitants et dirigera 14 des 26 chefs-lieux de province, alors qu’elle n’en dirigeait jusqu’ici que 8. Elle a par ailleurs fait tomber dans son escarcelle des villes historiquement ancrées à droite comme Alessandria, Monza ou Côme. Mais si l’on affine l’analyse, il apparaît que ce succès doit être relativisé. Les listes de centre-gauche ne l’ont en effet emporté que là où elles étaient opposées au déliquescent Peuple de la Liberté. Pas une victoire dans les ballotages face à Beppe Grillo, à M. Casini ou aux listes civiques. Par ailleurs, comme à Milan, Naples ou Cagliari l’année dernière, les vainqueurs de Palerme et de Gênes, bien qu’apparentés au centre-gauche, ne sont pas des candidats issus de la coalition, mais en rupture avec celle-ci. Enfin, le Parti Démocrate n’est crédité que de 25% des intentions de vote en cas d’élections législatives, avec un réservoir de voix d’uniquement 13 % parmi les abstentionnistes, ce qui est nettement insuffisant pour se garantir un quelconque succès. Relevons en outre que plus de 35 % des électeurs du Mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo sont issus d’un des partis de la coalition de centre-gauche. Cet état de fait ne peut qu’être rassurant pour Silvio Berlusconi puisque, d’une part, il s’agit d’électeurs déçus du centre-gauche classique et, de l’autre, le Mouvement de Beppe Grillo n’est pas encore structuré, en l’état, pour mener une campagne nationale ni encore moins prétendre à gouverner le pays. Mais le plus rassurant, si l’on adopte le point de vue berlusconien, est l’absence totale d’identité politique du Parti démocrate, traversé lui-aussi par multitude de courants, puisque de l’aveu même de son leader, tant le programme que la stratégie d’alliance sont encore à construire.

Bref, dans ces conditions, si l’on considère que 58 % des Italiens estiment que l’action du gouvernement Monti a empiré leurs conditions de vie, et que plus d’un citoyen sur deux a perdu toute confiance en sa capacité d’action politique, peut-on réellement exclure, dans un cadre politique aussi confus et fragmenté, une nouvelle métamorphose berlusconienne ? 


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