Une étoile de plus au drapeau européen ?

par kiribati62
lundi 18 février 2008

Un État de plus a proclamé son indépendance en Europe. Trois si l’on considère que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud en font également partie. L’émiettement de notre continent va-t-il se poursuivre « ad libitum » ?

Je pense assez bien connaître le Kosovo pour y avoir été récemment, pendant sept longs mois. Mais ce séjour au contact de cette province reculée des Balkans ne me donne pas, bien évidemment, les clés pour comprendre ce qui s’y déroule depuis que son "Parlement" a proclamé hier son indépendance. Juste peut-être, celui d’avoir une opinion éclairée.

Si sur les écrans du monde entier - et sur les photos publiées - les deux drapeaux les plus agités étaient l’aigle noir bicéphale sur fond rouge, symbole de l’Albanie, et le drapeau américain. Dans les dizaines de sites que j’ai consultés, je n’ai pas vu une seule fois le drapeau européen ou celui des Nations unies. Les Kosovars, en liesse, brandissaient le drapeau national de leur mère patrie et celui du seul pays dont ils se sentent vraiment redevables.

Et pourtant, c’est bien grâce à l’Union européenne, dont la présidence est actuellement assurée par la Slovénie, que le Kosovo peut aujourd’hui se déclarer, non seulement comme un État indépendant, mais encore se projeter dans une adhésion future à l’Union - le texte de déclaration officielle y fait expressément référence. En passant, la Slovénie, ex-État fédéré de l’ex-Yougoslavie, ne doit pas être particulièrement attristée de voir ses compatriotes slaves "débarrassés" de leur province récalcitrante. Et elle fera partie des États de l’Union qui ne tarderont pas à reconnaître le nouvel État, de façon plus ou moins coordonnée - je parie à ce sujet que la Grèce, la Slovaquie ou Chypre tarderont davantage, en raison des divers problèmes de nationalités avec lesquelles elles sont confrontées.

Il ne faut pas chercher plus loin. Le Kosovo a été proclamé cas sui generis (belle expression latine pour signifier que c’est un cas qui doit rester unique, qui ne doit surtout pas se répéter). La peur s’est emparée, depuis longtemps, de tous les États qui ont sur leurs sols des minorités agissantes qui pourraient, un jour, avoir envie d’aller voir ailleurs. Et qu’on ne me dise pas qu’il n’y a pas de vraies minorités en Grèce : c’est précisément ce que la Grèce veut faire croire à la terre entière, mais qui ne trompe ni linguistes, ni démographes.

Plus inquiétant, c’est le drapeau officiel du nouvel État, montré sur quelques rares images, qui présente six étoiles blanches sur fond bleu, déployées au-dessus d’une carte de la province devenue pays. Ces étoiles représenteraient les différentes composantes ethniques. Le choix des couleurs et de l’agencement respecterait le caractère non partisan et non religieux du drapeau - même si la couleur dorée de la carte du Kosovo pourrait évoquer celui de Chypre - un des rares autres États à avoir représenté sa propre carte sur son drapeau, pour en souligner justement le caractère intangible. Et qui semble assez hostile à cette indépendance.

Le Parlement de Pristina a donc choisi son symbole national, même si je suis en droit de supposer qu’il ne deviendra jamais aussi populaire que l’aigle bicéphale. Par ses couleurs, le nouveau drapeau reprend celles de l’Union européenne (bleu et or, mais avec 12 étoiles invariantes) ou celle de la Bosnie-Herzégovine voisine, sans doute pour les mêmes raisons. Mais ce n’est pas une étoile de plus, dans une constellation européenne de plus en plus chargée.

Le même jour, dans un Caucause oublié, l’Abkhazie et l’Ossétie (du Sud, car celle du Nord fait déjà partie de la Fédération russe) ont à leur tour proclamé leur indépendance. Pour certains géographes, ces deux territoires ne font pas partie du continent, même s’ils en sont solidement attachés, aucun océan, aucune faille ne les en séparant. Les Ossètes sont un vieux peuple européen, cousin des Perses, de foi orthodoxe. Deux référendums ont été tenus concernant l’indépendance de sa partie méridionale, située sur le territoire actuel de la Géorgie, la dernière fois le 12 novembre 2006 : même si une très large majorité des votants semblent s’être prononcés en sa faveur, ni la Géorgie ni les États-Unis ou encore l’Union européenne ont considéré ce référendum comme valide tandis que la Russie l’a bien évidemment approuvé. Ce sont des étoiles très pâles, à peine visibles de Bruxelles.

Cette fragmentation a des aspects inquiétants, parce qu’elle risque de creuser des conflits, provoquer d’ultérieurs déplacements de population, entretenir des points chauds et des guerres larvées. Quand ce n’est pas une épuration ethnique. La contemplation des trop nombreuses tombes et cimetières, tout autour de Sarajevo et de Mostar, m’a longtemps laissé sans voix. Avoir assisté en 2006 à l’enterrement d’une vieille dame dans les collines du Kosovo, dame dont le corps avait été retrouvé, des années après, dans un charnier en Serbie, et dûment identifié par son ADN, me laisse penser, décidément, que les victimes de ce genre de conflit sont décidément trop nombreuses - et dans ce cas bien évidemment innocentes. Et que si l’ADN permet de rendre sa dépouille à sa famille, il serait sans doute préférable de ne jamais devoir effectuer ce genre de recherches.

Quand arrêterons-nous de compter les étoiles, les croix, les stèles ?


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