Union Européenne : changer la hiérarchie des normes est vital

par Alexandre Damiron
vendredi 22 juin 2012

J'avais en simple citoyen il y a deux ans estimé que le choix devait être fait entre fédéralisme et euro. Je suis bien plus dépité que fier de voir que c'est seulement maintenant que se pose la question chez nos élites.

J'expliquais qu'il fallait choisir et qu'à titre personnel je préférais le maintien de l'Euro. Mais qu'il fallait choisir. Les dirigeants et "l'avant garde intellectuelle" ne l''ont pas fait. Ils ont opté pour le pire, l'immobilisme, non-solution au dégâts gigantesques. Aujourd'hui, je penche de plus en plus pour la fin de l'Euro, tristement, mais le travail est si vaste et si urgent, et le comportement, la pensée des décideurs si étroits, que je me dis qu'il vaut mieux en finir au plus vite. 3 parties à ce chantier immense, vital, hors de portée de dirigeants médiocres : la démocratisation, la zone monétaire optimale, la hiérarchie des normes. Traitons de cette dernière.

Merkel affirme que la solidarité effective (Union de transferts, zone monétaire peut-être optimale) ne peut avoir lieu que si il y a un bond fédéral. Donc démocratique. Mais surtout austéritaire. Enfin bon, les propositions démocratiques sont tout de même à saisir au vol, et je regrette que les français éludent la question en la présentant comme dilatoire. 

Mais même si ses propositions - élection du président de la commission au suffrage universel , renforcement des pouvoirs du parlement - étaient prises en compte, ce serait un pas important, c'est une partie vitale du problème, mais ne serait pas suffisant. Ces nouvelles institutions démocratiques devraient agir en vertu des traités qui composent le "bloc de constitutionnalité" européen. Elles ne pourraient pas mener la politique pour laquelle elles auraient été élue, à moins que les citoyens leur donnent mandat de mener exactement la même politique que celle menée actuellement. On peut en douter.

En effet, l'aberration de l'édifice européen est que ce "bloc de constitutionnalité" ne définit pas des institutions et leur fonctionnement, mais également la politique qu'elle doit mener, que ceci soit écrit directement ou soit le résultat de processus choisis. C'est ce qu'on appelait la "Partie III" au moment du référendum sur le traité constitutionnel. Ce bloc n'inclue pas une déclaration des droits de l'homme, du moins pas en tant que règles suprêmes, mais se soumet à des principes élevés (libre circulation des marchandises et capitaux, libre concurrence) destinés pour le moins à des entités abstraites. Des entreprises en fait. In concreto, de très grandes entreprises.

On a jamais vu ça, sauf dans le bloc communiste - remplacez le marché unique par la société communiste, et les grandes entreprises par le parti. L'échec sera de la même façon au rendez-vous.

Il faudrait entièrement revoir l'édifice juridique bâti depuis l'acte unique et Maastricht et fondé sur cette aberration à laquelle les touches cosmétiques des différents traités postérieurs n'ont rien changé.

Voici ce qui doit, au minimum, être modifié, et très vite :

Les conditions de circulation des capitaux et des marchandises, les degrés de concurrence sont des enjeux de gestion économique et ne peuvent être gravés dans le marbre institutionnel. Tout ce qui est relatif à la politique économique doit être rétrogradée au rang de loi. Tout ce qui crée des exceptions à un processus normatif simple, clair, démocratique tel les unanimités en matière fiscale et sociale doit dans un premier temps être rétrogradé au rang de loi organique. Sur le plan des droits économiques, ne doivent rester au sommet de la hiérarchie des normes que des principes compréhensibles, qui s'adressent en premier lieu aux personnes physiques, qui sont partagées par les nations européennes. Par exemple la liberté d'entreprendre et le droit de propriété, la liberté d'aller et de venir. 

La liberté de circulation des capitaux, des marchandises, la libre concurrence, ne doivent pas pouvoir être plus importantes que la régulation des rapports sociaux, la protection des travailleurs, de l'environnement, la lutte contre les paradis fiscaux et contre le dumping fiscal. Ce n'est pas le cas. Les premiers domaines sont au sommet de hiérarchie des normes et disposent de boulevards législatifs, d'institutions dédiées. Les seconds sont bien en dessous, entravées par des multiples exigences d'unanimité, livrées au brouillard de la subsidiarité. Il ne pas s'étonner que soient menées des politiques folles et hypocrites (protection du dumping fiscal intra-européen, politique du tout-routier par exemple).

Les processus doivent donc être démocratiques ; le parlement doit être bien élu, sur un scrutin européen, formé de partis transnationaux auxquels les citoyens peuvent adhérer directement, la codécision doit être l'unique règle. Les citoyens doivent connaître leur parlementaire, celui qui leur rend des comptes. Le président de la commission doit être soit élu au suffrage universel, soit désigné par la majorité élue au parlement, avec approbation postérieure des Etats, et non l'inverse. Les lobbys doivent être encadrés avec rage, la transparence doit être partout là règle. Les compétences doivent être réparties entre les Etats et l'Union de manière claire, mieux vaut abandonner la subsidiarité que d'avoir des institutions opaques, et prétextes à des holdups démocratiques. Mais surtout cette répartition doit se faire sans arnaque : on accorde à l'Union la responsabilité de décider de la politique dans la tel ou tel domaine, mais pas d'appliquer toujours la même politique dans un domaine donné : ainsi il faut pouvoir réguler OU déréguler, gouverner à droite OU à gauche, pratiquer plus de protectionnisme OU plus de libre-échange, avoir une monnaie forte OU faible, favoriser la concurrence OU l'intervention publique. Tout cela selon les besoins de l'histoire et les choix de tous les citoyens européens, à égalité.

Car le vice européen est là : il est impossible de fait ou de droit pour l'UE de mener des politiques qui ne soient pas toujours plus libre-échangistes, toujours plus délégatrices, toujours déflationnistes, toujours opposées à un quelconque contrôle des capitaux, à une quelconque intervention publique. 

L'Union Européenne a choisi comme raison d'être de bloquer tous ces leviers, dont se servent allègrement les grands blocs concurrents face auxquels l'Union était sensées être une réponse. Pire, elle a jeté un voile sur ces leviers, afin que les citoyens ne les voient plus, les oublient si possible.

L'Union Européenne est une voiture avec un volant bloqué à droite, une pédale de frein inutilisable, et 27 conducteurs sourds, aveugles et impotents qui se disputent le volant. A l'arrière, des poètes admirent la carrosserie et chantent les louanges de la destination rêvée. Mais vous, vous savez que ça va se terminer dans le fossé. Vous pensez qu'il vaut encore mieux descendre en marche. Vous avez raison. Tout comme avec la voiture Union Soviétique et son volant bloqué à gauche, le voyage est sans espoir.

A moins de tirer de suite sur le frein à main et faire venir immédiatement un mécanicien qui pourra entamer de très lourds travaux sans tarder. Mais je n'y crois plus. Le temps a déjà été donné.


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