Union Européenne : fédéralisme économique ou fin de l’Euro, il faut décider
par Alexandre Damiron
samedi 8 mai 2010
Vous avez certainement lu que l’Euro était fragile car la zone euro n’était pas une Zone Monétaire Optimale. Il est bon que ce constat soit posé, mais il ne dit finalement pas grand chose, voire endort. Essayons de voir plus loin et d’en tirer toutes les conséquences.
La définition d’une Zone Monétaire Optimale nourrit de doctes querelles. Mais nous comprenons qu’il s’agit d’une zone homogène à l’intérieur de laquelle les facteurs de production sont mobiles, qu’il existe une compétence de régulation/dérégulation fort couvrant toute la zone ainsi que la possibilité de transferts financiers (redistribution, investissement publique ou mixte..) aptes à faire face aux chocs ou à compenser les écarts de productivité.
Pieds et poings liés, ils dérivent dorénavant autour de l’Allemagne et de quelques satellites d’Europe du Nord qui considèrent, parce qu’ils exportent, avoir eux une structure socio-économique équilibrée, solide et travailleuse. L’Allemagne est au centre et les autres dérivent par la force centrifuge. Ils dérivent à une vitesse relative à leur éloignement, mais ils dérivent tous. Et notre tour viendra. Car notre tendance à l’endettement et à la perte de compétitivité n’est contrebalancée par rien.
(2) Lire en rétrospective :
(4) Les différences légales et surtout mythologiques sur la durée du travail et l’âge de départ à la retraite sont fortes ; mais la réalité est bien plus nuancée :
Le drame de l’Union Economique et Monétaire est que les attributs d’une Zone Monétaire Optimale ont été abandonnés par les Etats sans être repris par une organisation supranationale. Bien au contraire, on a fait attention à ce que l’UE ne puisse décider de rien : unanimité requise dès que sa zone de compétence effleure les questions fiscales et sociale (1), budget ridicule (2), y compris les fonds structurels qui ont été asséchés par l’élargissement "à coût fixe", absence statutaire de solidarité fiscale.
Dans la mesure où les capitaux sont infiniment plus mobiles que les travailleurs, que les Etats n’ont pas le droit d’en contrôler les mouvements et qu’ils ne peuvent plus jouer sur leur monnaie, ils n’ont plus guère de cartes en mains.
Jouer sur une forte implication des pouvoirs publics par l’investissement industriel et de puissants services publics ? Impossible, c’est anti-conccurentiel et les Etats ne peuvent financer par une monnaie qui refléterait la qualité de leur choix passés (vertu, investissement, stratégie...). Réguler ? Même combat ; l’inverse est encouragé. Redistribuer (forme de régulation) : fuite des capitaux assurés, l’Union elle-même est rongée par les paradis fiscaux qui sont encouragés dans les faits.C’est exactement ce que veulent les grands capitalistes : l’obligation permanente pour la puissance publique de ne rien faire, excepté du moins-disant fiscal et social. Les cartes qui sont laissées au Etats ? Guerre fiscale, sociale, spéculation financière/immobilière et spécialisation à outrance. Cartes jouées et rejouées par l’Espagne, l’Irlande et d’autres qui se sont ainsi imaginé pendant des années être les gagnants malins de l’Union Economique et Monétaire. Ceux-çi, à qui on a laissé les mêmes cartes en main vont les jouer jusqu’à l’épuisement, épuisement d’eux-mêmes et de leurs partenaires (3).
Comprenons-nous : il faut pouvoir déréguler, c’est parfois nécessaire. Mais il est tout aussi nécessaire de pouvoir réguler.
L’Union Economique et Monétaire est une automobile sans frein, avec un accélérateur bloqué et un volant qui ne tourne que dans une seule direction (avec un moteur faiblard).
Les Etats ne peuvent adopter une conduite adaptée à leur structure et personne n’est au dessus pour réguler.
Pieds et poings liés, ils dérivent dorénavant autour de l’Allemagne et de quelques satellites d’Europe du Nord qui considèrent, parce qu’ils exportent, avoir eux une structure socio-économique équilibrée, solide et travailleuse. L’Allemagne est au centre et les autres dérivent par la force centrifuge. Ils dérivent à une vitesse relative à leur éloignement, mais ils dérivent tous. Et notre tour viendra. Car notre tendance à l’endettement et à la perte de compétitivité n’est contrebalancée par rien.
L’Allemagne ne travaille pas pour nous en travaillant plus, ce n’est pas exact (4). En revanche, on peut dire que l’Allemagne exporte pour nous en sachant se serrer la ceinture et soigner son appareil productif. Ce qui permet à la BCE de maintenir la monnaie avec des taux d’intérêts faibles, ce qui nous pousse à la dette.
En France, désindustrialisation, perte de compétitivité, dette ne feront que s’aggraver. Il est déjà particulièrement difficile d’y échapper en ayant perdu nos leviers traditionnels, mais sans la maîtrise de notre monnaie, c’est impossible.
Il ne sert à rien de se contenter de crier à la vertu : il suffirait de faire "comme" l’Allemagne. Les stratégies économiques et les ajustements correspondent à des structures économiques mises en places il y a bien longtemps. Le Royaume-Uni financier ? C’était déjà le cas il y a un siècle. L’Allemagne championne de l’intégration industrielle verticale ? Idem.
La France joue toujours sur une économie diversifiée de consommation, d’assez bonnes positions en télécoms, médias, banque-assurance, et de quelques secteurs clés bâties uniquement grâce au volontarisme et à l’économie mixte : nucléaire, aéronautique, armement, agro-alimentaires, mais sur lesquels nous comptons trop, qui sont trop gros vont perdre en valeur ajoutée. Contrairement aux déclinistes, je pense que nous avons un tissu économique équilibré et un bon potentiel. Le gâchis en cours est immense.
Ces spécificités changent lentement : en matière de structure socio-économique, et même démocratique, il y a l’échelle d’un pays une grande inertie (ce qui n’empêche pas des évolutions majeures, mais lentes). On ne brasse pas tout cela en 10 ans par la magie d’une monnaie commune seule. L’Euro sera mort bien avant dans la situation actuelle.
Avant l’euro on tentait de coller à l’Allemagne avec un franc fort. Ce qui impliquait des taux d’intérêt élevés, et donc un fort chômage, malgré des fondamentaux bons en terme de compétitivité, d’épargne et de balance commerciale. Combien de fois ai-je entendu des ministres et économistes se plaindre de cette apparente contradiction, qui n’était que le résultat de choix politiques.
Bons choix ou mauvais choix, au moins des choix il y en avait, discutés, débattus, votés. Les conséquences de l’endettement étaient immédiates. Il n’y en a plus, de choix, et après nous le déluge.
Ce qui est particulièrement dramatique pour la France car face à ses concurrents et néanmoins amis, et face à ses propres "faiblesses", elle a toujours compensé avec de fortes possibilités d’interventions publiques et de régulation macro-économique.
Face à la puissance grandissante des marchés financiers, ces cartes devenaient dans les années 80/90 moins intéressantes, mais elles existaient. Des Etats moins puissants les ont gardé en main. Avec l’acte unique puis Maastricht, elles ont disparu. Ce qui n’aurait pas été grave et même bénéfique si elles avaient été données à un joueur plus imposant, l’Europe, chargée des intérêts de tous les européens (et donc forcément démocratique). Cela n’a pas été le cas. Elles ont été dispersées, jetées par la fenêtre.
La monnaie unique était nécessaire vu l’affaiblissement des Etats membres sur la scène mondiale, mais la monnaie unique sans aucune politique sociale, économique et financière commune, sérieuse est dévastatrice. Dans ce cas il vaut encore mieux ne rien faire. Un pacte de stabilité décrédibilisé et un budget commun de 1%, ce n’est pas sérieux. L’impossibilité de décider quoi que ce soit en matière fiscale et sociale, hors la libéralisation indirecte, ce n’est pas sérieux en plus d’être antidémocratique.
Aujourd’hui les Etats pour toute réponse à la crise nous rejouent le pacte de stabilité, qui a échoué et qui échouera encore puisque seul, sans politique économique, sociale et financière fédérale, il ne fait qu’accroître les écarts de compétitivité.
Face à la crise de la zone euro, il ne s’agit plus d’être pour ou contre l’intégration, il faut faire un choix.
Solution numéro 1 : Une zone monétaire optimale par un fédéralisme économique social et financier. Un budget de niveau fédéral de 10% du PIB européen (alimentés par les impôts utilisés en général pour la guerre fiscale) et la possibilité de mise sous tutelle des finances d’un Etat. Des Fonds structurels sérieux. Une Cohésion fiscale et sociale avec possibilité de déréguler OU de réguler selon les besoins. Un Volontarisme industriel possible. La possibilité de contrôler les mouvements de capitaux.
Solution numéro 2 : Sortie de l’Euro avant le crash. Cela sera en tout état de cause douloureux.
Solution numéro 3 : il n’y en a pas.
Les termes justes sont donc : l’Euro est condamné tant que la zone euro ne sera pas une Zone Monétaire Viable.
Je ne plaide pas en faisant ce constat pour une sortie de l’Euro et un retour au franc. Ma préférence va à l’intégration économique réelle : finances européenne, cohésion fiscale et sociale (donc fin de l’unanimité en la matière), politique industrielle soit européenne, soit autorisée au niveau national. Les allemands peuvent garder l’indépendance absolue de la BCE.
Je plaide pour la lucidité. Soit on passe au fédéralisme financier, social et fiscal, soit on arrête les frais et on met fin à l’Euro. Les gouvernants doivent faire un choix. Je préfère la première solution car 1990, c’était il y a 20 ans, les 30 glorieuses sont loin, la France n’arrivera à rien seule, et l’histoire doit avancer. Mais la pire des options est le statut quo actuel, qui va nous faire perdre nos dernières cartes et nous ruiner définitivement, comme tous les autres pays, y compris l’Allemagne, lorsque tous ses partenaires (et clients) proches auront été ruinés, et que les "émergents" n’auront plus besoin de ses produits. Seuls auront gagné les grands capitalistes et les spéculateurs.
Un économiste dit "libéral" peut militer pour des "réformes structurelles" (ce qui signifie automatiquement libéralisation, félicitations pour le coup de force sémantique) tout en sachant raisonnablement qu’il y a un moment ou le retrait de la régulation et de l’intervention publique ainsi que de toute redistribution devient structurellement dangereux. Le problème est que la force grotesque et reptilienne qui le pousse, les intérêts immenses de la classe capitaliste "dérivante" selon le terme d’Emmanuel Todd, iront eux jusqu’au gouffre, ils l’ont déjà montré. Ils s’en sortiront mieux et avant les autres.
On peut être pessimistes. Il nous faudrait, au moins à la tête de la France et de l’Allemagne, des dirigeants de la trempe, de la clairvoyance et de la persévérance d’un Roosevelt, d’un Schumann, d’un Churchill. Bon courage. Mais nous avons aussi les dirigeants que nous méritons.
(1) Art 94 Traité de Lisbonne, Art 175 Traité de Lisbonne, Art 176A Traité de Lisbonne, Art 190 Traité de Lisbonne....
(2) Lire en rétrospective :
(3) Ainsi l’Irlande procède à une cure d’austérité (qui est peut-être nécessaire) mais sans remettre en cause son taux prédateur d’impôt sur les société.
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2664(4) Les différences légales et surtout mythologiques sur la durée du travail et l’âge de départ à la retraite sont fortes ; mais la réalité est bien plus nuancée :
La crise illustrée par l’Irlande :