Van Rompuy à la retraite

par Alain Roumestand
mercredi 17 décembre 2014

Pendant 5 ans de 2009 à 2014 Herman Van Rompuy a été le président su Conseil Européen, donc président de l'Europe,"au coeur de l'Union".

La crise financière il vient de la connaitre. La crise économique et sociale il vient de la connaitre. Les changements énergétiques et climatiques il vient de les connaitre. La mise en oeuvre du Traité de Lisbonne il vient de la connaitre. La montée de l’euroscepticisme, de l’europhobie (avec les populismes) il vient de la connaitre. Les difficultés dans les relations entre la France et l’Union Européenne il vient de les connaitre.

Il est là face à un parterre d’étudiants de Sciences Po Paris, avec cet air calme, effacé, modeste, peu médiatique, visage impassible. On l’avait caricaturé après avoir appris qu’il écrivait des poésies ! Il est d’accord devant son auditoire pour aborder en toute franchise et sans langue de bois, la marche de l’Union Européenne au milieu des multiples écueils de la mondialisation et en son sein même. Imprégné qu’il est du « sens profond de la culture européenne, de l’ouverture à la Méditerranée, d’une Europe alliée naturelle de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique du Sud ».(Pour ces continents 50% de l’aide viennent de l’Europe loin du colonialisme passé).

C’est la première fois dans ces 5 dernières années que l’Europe a un président permanent, « une voix de l’Europe » pour conduire « le convoi des 28 navires européens ». Ancien premier ministre belge, Van Rompuy est vu comme « bâtisseur de consensus » et « accoucheur de compromis », dans une Europe diverse. Le Traité de Lisbonne lui a donné un poste avec « les incertitudes sur les pouvoirs dévolus », qui n’a pas de pouvoir législatif,pas de véritable gestion de l’exécutif. C’est à lui de« définir les orientations générales » et d’être « le gardien de la confiance ». Un mandat de 2ans et demi renouvelable une fois : c’est ce qu’il a vécu. Avec des collaborateurs peu nombreux, l’équivalent d’« un secrétariat d’état d’un gouvernement régional belge ». Une faiblesse de moyens donc et pas de véritable administration. Il est le lien entre les institutions et les états membres. Une réunion hebdomadaire avec le président de la Commission. Rencontres avec les membres du Conseil Européen. En faisant que chaque état compte, qu’il n’y ait pas d’état privilégié.

Pour Herman Van Rompuy le président a 3 responsabilités passées et à venir qu’il estime avoir exercé pleinement pendant son mandat.

« Parler vrai »

D’abord « parler vrai ». Il reconnait que« l’Europe n’est plus une promesse ». Il y a « désenchantement ». « L’Europe est impopulaire ». Bruxelles est vu comme « une planète lointaine peuplée d’eurocrates indifférents ». L’Europe est vue comme précipitant « les pays dans l’austérité et la pauvreté ». Or l’Europe est présente plus que jamais dans la zone euro ; « avec l’euro, l’Europe est dans la vie quotidienne des gens ». Même s’il y a « frustration avec la crise ». « Nous ne pouvons revenir en arrière ». Il n’y a d’ailleurs que« peu de nostalgie de la situation d’avant 1958 ». La désorientation, la peur datent d’avant la crise. Même en Grèce personne ne parle sérieusement de retour aux monnaies nationales. Et de rappeler la Grèce victime de mal gouvernance bien avant la crise, d’où la perte de 29% du PIB. La crise financière a fait remonter les problèmes à la surface. 240 milliards, l’équivalent du PIB ont été mis à la disposition de la Grèce par l’UE, par solidarité. Les victimes de la mondialisation sont ceux qui n’ont pas réalisé les réformes nécessaires, les adaptations nécessaires.

« Créer de l’emploi »

2ème responsabilité du président du Conseil Européen et de l’Europe : créer de l’emploi. En 2008 avec un chômage structurel, on atteignait 8% de chômeurs. Actuellement 10%. Des résultats sont maintenant attendus après le retour de la stabilité de la zone euro il y a 2 ans. Le potentiel de croissance est de 0,5% (1,5% il y a 6 ans). C’est largement insuffisant. L’insécurité géopolitique, le monde dangereux, fragmenté, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) connaissant des performances plus faibles, imposent à l’Europe une politique monétaire souple, adaptée. Les réformes structurelles doivent être accentuées dans certains pays : pour le marché du travail, pour alléger le poids fiscal, pour améliorer l’enseignement. Van Rompuy s’est réjoui avec le Conseil Européen que la Commission débloque 300 millions d’euros pour des investissements car « l’Europe est à la traine par rapport aux USA ». De même l’Euro a perdu de sa valeur qui freinait les exportations. Le marché unique est essentiel pour le numérique, les services, l’énergie, la défense, les télécoms.

« La confiance »

Enfin établir la confiance sur le long terme et garder cette confiance entre pays et dirigeants est la 3ème responsabilité du « patron » de l’Europe. Il faut « mobiliser tous les leviers pour obtenir des résultats ».Donc il faut plus d’Europe à terme, avec une coordination économique plus intense. La crise ukrainienne actuelle montre que les états européens peuvent faire preuve d’unanimité malgré leurs différences de culture, de politique, d’intérêt économique. La culture du compromis fonctionne et l’Europe demande une Ukraine décentralisée, avec sa place en Europe. « Sinon on va vers la guerre à l’intérieur du continent ».

Le nouveau président du Conseil qui vient d’être nommé pour succéder à Van Rompuy, Donald Tusk aura à résoudre le problème ukrainien ; en même temps il aura à veiller à l’assainissement budgétaire, pour la France et l’Italie,à accentuer la croissance, à régler les problèmes climatiques (on va aboutir à un accord avec contraintes pour les 28 pays). Les grandes orientations en matière d’immigration décidées au Conseil Européen devront être concrétisées. Et la question britannique ? Sans le Royaume Uni l’Europe est amputée mais survit. Et la France ? Sans la France l’Europe est morte. C’est pourquoi la France est un sujet délicat. « La France doit retrouver sa place dans le concert européen », comme l’exprime Pascal Lamy ex commissaire européen. « La culture française est la porte d’entrée de la culture européenne » pour Van Rompuy. « La France ne peut se replier sur elle-même ». « La France n’est grande qu’en Europe ». Elle doit se libérer « des passéismes en tous genres ».

Ainsi Herman Van Rompuy en arrive à formaliser directement le rôle de président de l’Europe.« Pour bien fonctionner à la présidence on doit se considérer à la tête d’une institution importante, sans être soi-même important ». « Au service du consensus ». « Il faut donner le même message à l’extérieur même s’il y a plusieurs voix ». « On a réussi » dit-il. « Il faut poursuivre ».


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