Vers la post-démocratie ?
par odile
vendredi 30 novembre 2007
On assiste aujourd’hui dans le monde occidental au développement d’une série de phénomènes dont l’ampleur est telle qu’elle conduit à constater une réelle régression démocratique que d’aucuns nomment déjà « post-démocratie ».
On observe en effet, à tous les niveaux de décision, une marginalisation du pouvoir politique donc démocratique, s’accompagnant parallèlement d’un engouement pour des oligarchies sociétales multiples : associations, communautés, lobbies, ONG, autorités administratives indépendantes, commissions, comités de hauts conseils d’experts, clubs, médias, instituts de sondage, juges internes, européens ou multinationaux.
Tous ces organismes ou institutions ont pour trait commun de n’être ni désignés ni contrôlés par le suffrage universel, et donc d’échapper au principe démocratique de la responsabilité politique devant le peuple. Les élus eux-mêmes semblent participer activement à cette dépolitisation en suivant systématiquement les consignes de ces oligarchies encouragées et souvent largement ou intégralement financées par les Etats.
La construction européenne constitue l’exemple le plus accompli de cette tendance en confiant le pouvoir exécutif d’une organisation quasi fédérale à une commission dont « les membres sont choisis en raison de leur compétence générale et de leur engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance » (article 1-26 du TCE repris dans le « traité simplifié »). L’indépendance à l’égard des instances démocratiques est donc considérée comme la qualité essentielle d’une commission qui a pourtant le monopole de l’initiative législative (renforcée par le traité simplifié) et qui, à ce titre, dirige et conduit la politique de l’Union dont le droit prime (article du TCE qu’on retrouve dans le « traité simplifié ») lui-même sur celui des Etats (cf. « une Constitution pour les Etats européens, pas pour le peuple » de Elisabeth Zoller).
L’hésitation de nombreux gouvernants à recourir au référendum pour faire approuver le TCE, la répugnance manifeste de certaines « élites » devant cette perspective, et le refus d’accepter le verdict des urnes, en le parant de tous les oripeaux possibles et imaginables pouvant prouver son aspect « irréfléchi » et « irrationnel », voire stupide, sont parfaitement symptomatiques d’une construction européenne qui semble vouloir se passer de démocratie.
Certains responsables se félicitent aussi de ce que la Charte européenne des droits fondamentaux (on notera le terme « charte » qui fait référence à un régime monarchique ! Voire féodal) intégrée au TCE (et reprise dans le « traité simplifié ») ait été « amendée » par les militantes du Lobby européen des femmes de l’Europe méridionale dont les citoyens de l’Union ignorent sans doute l’existence et qu’ils n’ont évidemment pas élues. Cette participation au processus des normes de groupes de pression s’autoproclamant « représentants de la société civile » (alors même que le terme « société civile » n’a aucune existence juridique !), alors qu’ils n’ont pas été mandatés par les citoyens fait l’objet d’une approbation enthousiaste par le discours dominant : « c’est ainsi que la société civile a fait son entrée dans l’élaboration de la Charte. Il faut dire qu’elle avait beaucoup contribué à la conception du projet depuis une dizaine d’années par de multiples colloques, réunions, rapports ». Bref, en gros, on nous annonce, sans souci, que le TCE était une somme de propositions faites par des lobbies particulièrement compétents ! Et que donc, le « traité simplifié », parce qu’il est le « TCE amendé » reste un texte qui n’a rien à voir avec le désir de faire avancer l’Europe ou de la sortir de sa possible « crise », mais bien un faire-valoir, pour faire primer au-dessus des Constitutions nationales, des intérêts particuliers, défendus par des lobbies ayant reçus l’agrément d’élus particulièrement conciliants ! Il est par conséquent logique qu’il soit si « difficile » d’aller vers une Europe plus sociale, ou plus démocratique, ou encore de faire valoir aux gouvernants l’intérêt du référendum, par définition nuisible à la « société civile » telle que définie plus haut, les peuples européens étant sans aucun doute bien moins conciliants envers les lobbies et autres, que leurs élus.
On ne saurait en tout cas mieux décrire la substitution du pouvoir minoritaire à la décision majoritaire sur laquelle repose pourtant la démocratie.
Le terme de « société civile » qui ne désigne rien d’autres qu’une juxtaposition de lobbies de toutes sortes, fait l’objet d’une utilisation anthropomorphique destinée à lui faire prendre la place de la nation, ou du peuple, et de faire passer pour « transparent » ou « démocratique » un processus décisionnel en réalité parfaitement aristocratique, c’est-à-dire réservé à une « classe » de gens qui s’autoproclament plus « éclairés » que les autres et, par conséquent, considèrent que les peuples, et peu importe leur niveau d’éducation ou leur passion pour l’Europe, sont définitivement « immatures ».
Le terme « opinion publique » tend aussi à se substituer à celui de peuple. Les résultats de sondages qui devraient être examinés avec recul et scepticisme sont présentés par les politiques et les médias bien sûr, comme exprimant à coups sûrs la volonté « des Français », des « Américains », des « Chinois », etc. D’où la stupéfaction et l’opprobre des « élites » quand le résultat des élections ou des référendums contredisent les sondages, et rappellent que le peuple n’est pas l’opinion publique, et inversement. Pour masquer cet écart fort gênant, on utilise toutefois le terme « démocratie d’opinion » qui désigne en réalité essentiellement le pouvoir médiatique.