Lettre à ceux qui font salon à Paris ...

par C’est Nabum
samedi 16 mars 2019

J’aimerais vous prendre au mot.

Mesdames les auteures ou les autrices, messieurs les auteurs, je vous sais fort occupé-e-s en ce moment, vous qui n’avez de cesse de passer de salon en salon, de foire en foire, de librairie en librairie, dans le vain espoir de me vendre. Je sais votre désarroi, vous qui m’avez, pour la plupart d’entre-vous, engendré dans la douleur. Curieusement d’ailleurs ce sont ceux qui se sont contentés de déposer leur signature à la fin d’un ouvrage écrit par un autre qui récoltent les suffrages et les articles élogieux. Le monde des mots est injuste !

Pourtant, il me semble nécessaire de vous mettre en garde afin que vous demeuriez à la page. Dans les salons, il y a désormais bientôt plus d’auteurs que de visiteurs tandis que dans cette dernière catégorie, les acheteurs se font de plus en plus rares. Le livre va mal, il ne faut pas se voiler la face même si ceux qui tentent l’aventure d’en publier sont toujours plus nombreux. Il conviendrait d’agir pour me remettre au goût du jour.

Je suis véritablement attristé de vous observer lors de ces rendez-vous littéraires qui au fil des années ne sont devenus que des foires commerciales. C’est à qui exposera le plus grand nombre d’ouvrages, les empilant les uns par dessus les autres, de manière à faire masse, à frapper la curiosité du chaland non pas par le contenu mais par l’abondance. Vous êtes en agissant ainsi, les parfaits représentants de commerce du consumérisme galopant.

 

Ne pourriez-vous donc pas prendre le plaisir à moins que ce ne soit pour vous qu’une peine, de lire à haute voix un extrait, de raconter votre histoire, de reprendre deux ou trois dialogues, de donner simplement envie à celui qui passe de s’arrêter afin de prendre votre relais ? Hélas, en agissant ainsi, vous dérangeriez vos voisins qui sont gens trop sérieux pour se livrer à de telles pitreries à moins que leur style soit si détestable qu’une lecture à haute-voix serait une contre-publicité fatale !

Quand par miracle vous vendez un exemplaire, que l’acheteur, touché par votre mine déconfite derrière votre misérable table de présentation, vous demande une dédicace, vous expédiez la demande d’une formule d’une redoutable banalité simplement mise en valeur par une signature ample, nerveuse, rageuse qui, à elle seule, démontre que vous êtes un homme ou une femme de plume. La belle pratique que voilà, un écrivain en mal de mots pour remercier son acheteur n’inspire nullement confiance, ne l’oubliez jamais.

Vous devriez vous lancer dans une belle page d’écriture, un texte personnalisé, avec des formules claquantes, des métaphores ou des envolées lyriques pour offrir un supplément unique à celui ou à celle qui a été touché-e- par votre prose. Ce serait la moindre des choses tout en étant ensuite une belle incitation pour les autres visiteurs. Car voyez-vous, en vous levant alors, en prenant la posture de l’orateur, vous déclameriez ce petit texte, chef d’œuvre de concision et condensé parfait de votre style. Autour de vous, attroupement se ferait et d’autres auraient à leur tour ce désir fou de profiter de votre éloquent autographe.

Là encore, je délire. Non seulement on vous demanderait de faire silence mais plus encore, combien de vos collègues se prêteraient à ce numéro d’équilibriste ? Ils sont là, à vouloir vendre des livres mais sont comme des artisans que fermeraient leur atelier afin que nul ne les voie à l’ouvrage, simplement parce qu’ils sont trop laborieux, incapables de spontanéité et d’inventivité.

Faire salon ce devrait être un spectacle et une joie, une messe célébrant le livre et l’écrit. Vous en avez fait une grande foire, un défilé de visiteurs silencieux qui regardent une couverture et ne prennent jamais le temps de feuilleter quelques pages. Il ne faut pas abîmer les beaux objets qui finiront dans quelques vitrines de bibliothèque, sans jamais avoir le bonheur d’être lus. J’enrage de me sentir ainsi reluqué comme une bête de foire alors que je ne demande qu’à être détroussé, défloré, parcouru, inspecté, dévoré avec délectation et gourmandise. Moi le livre, je ne suis pas cet objet inerte que vous présentez ainsi sans la plus petite folie dans le cœur.

Livresquement vôtre.

Je publierai le témoignage de Jocelyne Bacquet

Passez donc la voir au salon du livre de Paris

 


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