AMIENS : Une pression médiatique et politique sur la Justice

par Vesper
samedi 18 août 2012

Ce vendredi, le Palais de Justice d’Amiens (SOMME) accueillait trois prévenus en comparution immédiate. Jusque-là, rien d’exceptionnel. Pourtant, aux alentours de 14h00 étaient déjà garés devant les véhicules des plus grandes chaînes de télévision.

Les grilles du Palais sont fermées avec des chaînes, quatre ou cinq officiers de police discutent devant. Étudiant en droit, je tente une percée dans la cour, sans grande difficulté. Je passe le portique de sécurité, les lieux semblent vident. Je me dirige ensuite vers le couloir des jugements correctionnels et découvre avec étonnement une vingtaine de journalistes et caméramans, attendant devant les portes de la salle (les audiences ne pouvant être filmées). L’ambiance entre eux est tendue.

Après délibérations, la sonnerie retentie, la salle se lève. Le verdict tombe sur le prévenu assis dans sa cage de verre : le jugement est reporté à septembre, et en attendant, ce sera une mise en détention. Le procureur adjoint interrompt la présidente : « Je souhaiterais que la détention s’effectue à Liancourt (OISE) ». Le prévenu ne comprend pas, son avocat s’indigne : « pourquoi mon client est-il enfermé si loin ? Rien ne le justifie ». Peu importe, la juge suit la réquisition.

Les journalistes sortent et rentrent sans arrêts. Ils attendent le moindre petit scoop à publier. Certains osent même utiliser Twitter pendant l’audience !

Reste encore deux jeunes prévenus, âgés de 20 et 26 ans, qui seront jugés ensemble pour des feux de poubelles. Leurs casiers judiciaires sont vierges, les journalistes s’ennuient. Les deux jeunes semblent perdus, avouent ne pas savoir lire l’heure, ni ne savoir compter au-delà de 20 ou 30. L’un d’eux est déjà placé sous tutelle. « J’étais en colère » bredouille-t-il, une colère qui s’ajoute à une déception sentimentale et un peu d’alcool. Bien évidemment il est l’auteur d’un feu de poubelle, mais il a l’air perdu, absent. « C’est mon meilleur ami » répond le second lorsque la présidente lui demande pourquoi il faisait le guet plutôt que de l’en empêcher. Ils ne sont pas sûrs du nombre de poubelles brûlées, à vrai dire ils ne se souviennent que du journal enflammé qu’ils ont jeté dans l’une d’elle. « C’est pas bien » sont les seuls mots qui sortent de leur bouche.

Le procureur adjoint requiert des peines d’emprisonnement fermes : douze mois dont six avec mise à l’épreuve, et un mandat de dépôt. Le plus jeune prévenu se met à pleurer.

Les avocats se lancent alors dans leurs plaidoiries. « Je suis auxiliaire de justice et non auxiliaire du Gouvernement », ce n’est pas parce que le ministre veut des chiffres qu’on doit lui fournir. Ils s’indignent de l’ampleur que peuvent prendre deux simples comparutions immédiates. Un simple feu de poubelle, des auteurs qui semblent déficients, pourquoi du ferme ? Parce qu’il y a un contexte, et ce dernier s’impose dans l’audience : les émeutes d’Amiens-Nord. Pourtant, on imagine mal les prévenus ayant un quelconque rapport avec les évènements de la nuit du 13 au 14 août.

Les juges ne sont pas dupes et décident de les condamner à une mise à l’épreuve de 24 mois, pendant laquelle ils devront se plier aux règles imposées par le juge d’application des peines, avec obligations de soin et de trouver un emploi. Deux sursis, un de 8 mois pour le plus jeune, et un de 10 mois pour l’autre. À cela s’ajoute une amende de 642 euros pour rembourser les poubelles.

Les journalistes alpaguent les avocats à la sortie, et se marchent dessus, s’insultent même. Les deux prévenus sont libres, du pain bénit pour les médias qui peuvent les interroger librement dans la rue. « Des vautours, ce sont des vautours » s’exclame un passant visiblement excédé par l’image qu’ils donnent : des abeilles sur un pot de miel. Un problème se pose : les journalistes interrogent le jeune prévenu devant une entrée de parking souterrain. Un couple en voiture tente de passer, klaxonne. Un journaliste lui dit « deux minutes ». Les minutes passent et toujours autant de questions. L’automobiliste klaxonne de nouveau. Les caméramans se retournent, l’insulte délibérément : « allez casse-toi abruti ! On bosse c******, tu peux pas attendre deux minutes !? Vas-y, dégage ! ».

L’interrogatoire se termine, le jeune s’en va. Les journalistes le suivent avec leur caméra. Là, ils tiennent leur image de fin !


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