La nouvelle église St-Pierre de Firminy par Le Corbusier est enfin terminée

par David Orbach
mardi 28 novembre 2006

Après quarante ans de travaux, un chantier interrompu plusieurs fois, la dernière église classée "monument historique" et conçue par l’architecte Le Corbusier, vient enfin d’être terminée et s’ouvre au public.

Comme nous recherchons partout l’explication de cette église et ne la trouvons pas, nous vous la proposons ici. Comme à notre habitude, nous ne nous occuperons pas des questions de forme ou de fonctionnalité dont parlent traditionnellement partout les exégèses de l’oeuvre du grand homme, mais nous attacherons à dégager l’essentiel  : Sa symbolique. Car nous partons du principe que cette église est expressionniste. Notre étude sera donc structurale.

Nous avons vu lors de notre étude de la symbolique de la chapelle de Ronchamps (1) que celle-ci était remplie de pensées mystérieuses issues d’images très anciennes que l’architecte réveille et dont personne ne parle. Nous vous invitons pour commencer à lire ou relire cette analyse, pour la comparer utilement à celle-ci.
Vous constaterez que l’univers de la pensée de Le Corbusier était si vaste que, sur un programme presque identique ( le lieu de culte), il n’a pas repris à Firminy une seule des idées qu’il avait développé à Ronchamps. Ce qu’il nous a donné là-bas, nous a été donné pour toujours.

Depuis Paris, Firminy est à 3h30 par le train avec une courte escale à Lyon. L’église s’atteint depuis la gare à pied, ou mieux, par des vélos-poussette, sorte d’amusant pousse-pousse électrique conduit par un garçon. La visite peut se faire dans la journée. La petite ville est entourée de collines qui se bombent avec beaucoup de charme à l’horizon et l’église se dresse dans ce paysage.

Sur place, si l’on regarde l’église construite, l’idée générale du projet n’est pas très claire. Qu’a voulu dire Le Corbusier  ? Mais elle saute aux yeux sur les croquis de l’architecte  : c’est un soleil éclairant les fidèles de ses rayons.

Car la silhouette rappelle et ranime quelques très anciennes images égyptiennes nous dépeignant l’adoration des égyptiens pour le soleil.

Voici celle par exemple d’Akhenaton et Nefertiti adorant Aton,

ou celle, très touchante, du même couple avec ses enfants sous le disque solaire,

ou celle enfin de Toutankhamon et de son épouse Ânkhésenpaamon, tendrement réunis et bénit encore par le soleil, devenu Amon.

L’analogie visuelle entre la silhouette de l’église et ces images de soleil et de rayons est frappante. Mais nous ne sommes plus étonnés de ces références si lointaines puisque nous en avions déjà découvert de semblables à la chapelle de Ronchamps, comme le taureau égyptien de la lettre Aleph par exemple.

Le Corbusier a donc imaginé les fidèles se rassemblant sous ce rayonnement d’un soleil en béton pour une messe beaucoup plus ancienne que celle du Christianisme même. Ce culte est aussi malicieusement plus païen, mais les commanditaires religieux de l’époque ne l’ont pas vu.

Observez comme Le Corbusier a, par cette oeuvre, réfuté diaboliquement sa célèbrissime définition de l’architecture comme volumes savamment ordonnés sous la lumière. Ici l’église n’est pas SOUS la lumière, mais EST la lumière même. De la lumière pétrifiée. Représenter l’architecture comme ÉTANT de la lumière est un exploit. Habituellement, l’architecture est BAIGNÉE, MISE EN VALEUR par la lumière  : Elle ne la CONSTITUE jamais. Car la lumière est presque le contraire de l’architecture. Les deux entités sont si intimement différentes que Shopenhauer a put écrire  : « Mais je crois en outre que l’architecture, de même qu’elle est destinée à faire ressortir la pesanteur et la résistance, a en outre pour but de nous dévoiler l’essence de la lumière, essence complètement opposée à celle de la pesanteur et de la résistance. » (2)

Mais il y a plus,
Dans l’architecture des coupoles, la base du plan est souvent carrée, quand la couverture est une demi-sphère. Le passage du carré au rond en architecture, se réalise au moyen d’un élément de construction  : Le pendentif. Ce triangle sphérique permet de couvrir un espace de plan carré avec une coupole de plan circulaire.

Coupoles sur pendentifs  :

1 Coupole circulaire.
2 Pendentif.
3 Arcade du carré du transept.

Source  : www.quid.fr http://www.quid.fr/2006/Architecture/Epoque_Gothique_Milieu_Xiie_S._Debut_Xvie_S./1

Sa symbolique est très forte puisque le carré est la Terre, contingente et changeante, quand le cercle est le Ciel, parfait et immuable. Le passage entre les deux est dès lors fondamental.
Comme le chapiteau qui est le noeud où la colonne reçoit la voute, élément tellement important qu’il est dans l’architecture romane souvent le seul élément intérieur « décoré » de l’édifice  ; la zone de transition du pendentif est le grand problème qui hantent les architectes depuis la nuit des temps. Ce tour de force impitoyable fait ou défait la gloire du constructeur, imprime ou non son oeuvre pour l’éternité et nous montre si, même s’il a beaucoup construit, il était vraiment un Architecte.

Et à Firminy, oh merveille, cet exploit ne se fait pas dans un angle, dans un coin de l’édifice comme c’est le cas habituellement, mais est le propos de l’ouvrage tout entier. L’ensemble de l’église est ce passage, cette métamorphose entre la base forte, carrée au sol du bâtiment, et l’ellipse suspendue dans le ciel.
Ainsi dans cette église, Le Corbusier a nettoyé et retiré pour nous tout ce qui était accessoire pour ne nous laisser en admiration que devant l’essentiel  : La transformation, le passage de l’homme au divin.

Avant de nous être rendu sur place, nous nous figurions vaguement que les zig-zags de béton entourant la coupole avaient pour but d’accentuer le caractère céleste de l’édifice en représentant (mal) quelques nuages autour de l’église.

A vrai dire, cette image de nuage n’est sans doute pas vraiment la bonne si l’on songe que cette longue rigole de béton évoque plutôt une sorte de serpent qui entourerait ce cône, ce qui nous renvoie cette fois à la genèse. Le Mal entoure alors l’église, comme s’il cherchait à y entrer, ou à l’étouffer  : impressionnante pensée.

Aussi bien nous trouvons nous devant l’image de la cosmogonie égyptienne du Dieu-soleil et du Serpent.
Le serpent sur un volume est une figure très classique dans l’égypte ancienne  : C’est l’uræus «  le cobra dressé  » que l’on retrouve la plupart du temps représenté sur la coiffe de pharaon dont il est l’un des attributs.

La déesse Sekhmet portant le disque solaire associé au serpent.

La partie dressé du cobra pourrait alors avoir inspiré la descente verticale sur le cone de l’édifice.

Le sens du serpent et du soleil est le saisissant « combat que mène Rê ( le soleil) chaque nuit contre les «  forces du chaos  » représenté par le serpent Apophis afin de permettre la réapparition du soleil chaque matin sur le «  monde d’en haut » (Wikipedia)

Et ce serpent de béton est techniquement aussi la gouttière recueillant les eaux de pluie de l’édifice. La gouttière n’est jamais neutre dans les édifices religieux de Le Corbusier. On se souvient de la curieuse gargouille de la chapelle de Ronchamps, qui décrivait par une sémantique implacable, la lettre omega, d’abord par sa forme « ω », mais également par son sens, puisque « la lettre OMEGA signifie, toujours chez Marc-Alain Ouaknin, le »grand O« . »Le O est l’initiale du mot hébraïque ayin. Le ayin c’est la ’source’  : Le point de passage de l’eau souterraine à l’eau qui coule à la lumière du jour ( p7)« . »

De même à Firminy, cette gouttière si visible ne peut être que technique. Ce serpent portant les eaux de pluie pourrait aussi bien représenter métaphoriquement un fleuve entourant ce cône de lumière symbolique. Alors cette incroyable lutte entre l’eau et le soleil ne pourrait n’être rien moins que le combat entre le Bien et le Mal, si l’on en croit Maspero lorsque, parlant de la religion des Egyptiens, il écrit « la guerre des Dieux contre le mauvais principe devenait la guerre du Nil contre le désert » (3) ( Nous citons cette phrase de mémoire. Merci de nous corriger dans les commentaires s’il y a lieu)

Trois grandes entités se mêlent donc dans cette église  : L’eau, la lumière et l’architecture. Et ceci d’une manière absolument jamais vue. Vraiment, cette église est une nouvelle merveille.

Sauf peut-être, la ligne de façade de rez-de-chaussée portant l’immense cône, qu’Isabelle trouve trop simple. C’est vrai, sans doute Le Corbusier ne nous l’aurait jamais construit comme cela s’il avait suivit le chantier. Il n’est plus là, hélas.

Le croissant sur la façade est-il une lune  ? Probablement puisque les lumières à l’intérieur sont les étoiles. Soleil, lune, étoile, une cosmogonie simplifiée est là.

Et lorsque l’on pénètre à l’intérieur de cette église, le cône de lumière est devenue une voute nocturne attestée par une splendide myriade de petites lumières sur les murs, qui sont des étoiles, et nous montrent à l’évidence son caractère nocturne. Et le serpent porteur d’eau à l’extérieur est devenu à l’intérieur une ligne de lumière. Il y a eu, une fois encore, inversion.

Les sièges de bois ont des profils d’os. Ces os qu’aimait tant le Maître et qui confèrent à l’endroit une sensation inquiétante, mystérieuse et funèbre de Catacombes.

Ce n’est pas tant l’extrême nudité de cette parois de béton qui est impressionnante. Des salles aussi hautes, on en a vu ailleurs, mais c’est surtout le parti délibéré de nous montrer ce béton sans d’autre finition que sa seule mise en oeuvre. Tous ces « défauts » de coffrage qui nous le montre dans sa plus stricte intimité procure une sensation extraordinaire. Des parois d’un béton si puissant, aucun architecte au monde n’a osé et n’ose encore aujourd’hui en construire. Vraiment le béton est la pierre de notre époque, pour nous français qui l’aimons tant.

Ce qui est dommage, c’est que la couverture de l’édifice ne soit pas en réalité une ellipse, mais un grossier carré à coin arrondi. Nous aimerions bien savoir si l’architecte avait bien prévu de construire cette forme à la place de la belle ellipse des croquis d’origine. Peut-être a-t-il rencontré une difficulté technique. Mais ce n’est pas sûr  : Car nous retrouvons ce « carré mou » un peu partout sur les murs de Chandigard qu’il construisait dans le même temps qu’il dessinait l’église de Firminy et aussi dans ces peintures. Il devait donc aimer ces formes molles et laides, très à la mode aujourd’hui, comme s’il voulait bruler lui-même sur le tard, ce qu’il avait tant adoré autrefois  : L’angle droit.

Et toujours, parce que l’architecte veut nous en donner encore plus, là où tout le monde s’arrêterait  ; à cette oeuvre plastique lourde de sens, il ajoute presque maladroitement de la géométrie, des rectangles, des carrés, des cylindre, qu’un grand architecte n’aurait jamais associer, mais le génie si. Cette géométrie nous ennuie maintenant un peu, comme un raisonnement trop juste, trop clair, manquant de dessous. Mais peut-être est-ce tout simplement parce que ce Le Corbusier le moins bon était le plus accessible, et a donc été par là-même, le plus imité.

Le plus inquiétant dans notre démonstration est que, ni à la Chapelle de Ronchamps, ni à l’église de Firminy, Le Corbusier n’ait jamais parlé de toute ces images. Tout au plus les a-t-il seulement esquissé, quand il mentionne « l’acoustique visuelle » de Ronchamps ou la « constellation » de Firminy. Nous devons nous débrouiller par nous même. Il serait intéressant d’étudier sa peinture pour voir s’il y recherchait les mêmes effets. Cela permettrait de la réhabiliter. Mais enfin un magicien dévoile-t-il ses méthodes  ? Peut-être n’aurions nous pas dut en parler  : Mais il nous a semblé qu’en vous dévoilant ces trésors, nous retardions quelques temps leur inéluctable disparition.

Cette église renforce l’assertion du critique anglais Charles Jenck qui a fort justement démontré que la chapelle de Ronchamps est post-moderniste. L’église Saint-Pierre de Firminy l’est aussi.

Par cette éblouissante démonstration l’édifice est un cinglant démenti à l’athéisme souvent déclaré du grand homme. Une profonde religiosité l’animait, cette église en est la preuve.

Cette église est une oeuvre d’architecture majeure. Elle va transformer notre monde.

Coste-Orbach architectes

(1) http://www.cyberarchi.com/actus&dossiers/batiments-publics/patrimoine/index.php  ?dossier=101&article=4579

(2) Le monde comme volonté et comme représentation.

(3) Maspero, Gaston (1846-1916) Exposé des croyances religieuses de l’Egypte antique.


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