Ne dites plus « Quimpérois » mais « bourgeois arrogants » !

par Voris : compte fermé
vendredi 7 novembre 2008

Mais que diable le nouveau prix Nobel de littérature allait-il faire dans cette querelle de clochers digne de Clochemerle ? A peine auréolé de la couronne du prix Nobel de littérature, voici que l’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio se jette dans le chauvinisme local. Très local même !

L’objet du litige ? Cette réponse dans une interview au magazine Bretons :

"Je trouve un air un peu bourgeois à Quimper qui ne me plaît pas trop. Je préfère Douarnenez [...]. Quimper est une ville magnifique en architecture, il y a simplement cette légère arrogance des Quimpérois. Quand je vais là-bas, je me demande si ne remonte pas en moi quelque chose du paysan breton qui était mon lointain ancêtre et qui devait arriver là un peu intimidé par ces gens qui étaient bien habillés."

Mais pourquoi cette phrase a-t-elle un retentissement ? se demanderont légitimement les gens qui ne sont pas du "coin". Eh bien, parce que Le Clezio a mis le doigt sur un point qui fait mal et ce depuis des générations, appelons cela "le complexe du plouc" !

Comme de la dynamite, le Nobel a fait explosé un tabou et réveillé les vieilles querelles. Explications :


Il n’y a pas si longtemps, les cartes de France montraient encore un Finistère coupé en deux dans le sens horizontal et la Poste acheminait le courrier selon la boîte postale indiquée sur l’enveloppe : "29S" et "29N", un peu comme s’il y avait deux départements dans le Finistère. On disait le Finistère Sud et le Finistère Nord. C’est que traditionnellement, les Léonards (Nord) et les Cornouaillais ne pouvaient pas trop se supporter et ils ne parlaient pas non plus le même breton. Mais les choses se sont arrangées ces vingt ou trente dernières années, en particulier avec le passage au code postal à 5 chiffres (merci la Poste !), et le Finistère ne fait désormais plus qu’un ! 

Cependant, il existe des complexes qui n’ont pas disparu : Quimper par rapport à Brest, par exemple. La première s’est dotée d’un nouveau théâtre pour essayer de rivaliser avec l’imposant et - assez populaire - palais de la culture de la seconde. Brest jalouse évidemment Quimper avec ses riches manifestations culturelles (dont les célèbres Fêtes de Cornouaille) qui attirent les foules estivales de touristes quel que soit le temps, alors qu’à Brest, même quand il fait soleil, les rues se vident. 

Moi qui suis Quimpérois (Cornouaille), mais qui ai vécu toute ma jeunesse à Brest (Léon), j’ai souvent entendu des Brestois se moquer des Quimpérois qui seraient à leurs yeux à la fois "un peu ploucs" et "bourgeois". Manifestement, il y a un fossé entre l’animation brestoise en soirée et la vie pépère-mémère de Quimper à la tombée de la nuit. A Quimper, le petit commerce et le tourisme ont la cote. A Brest, disent les Quimpérois, il n’y a rien à voir, c’est très moche. Il y a juste un vieux château militaire, et les aquariums d’Océanopolis. Les touristes ne traînent pas dans le coin après les Brest millésimés des parades estivales de bateaux. D’ailleurs Brest a chipé l’idée de ces exhibitions maritimes à Douarnenez. Même pas fichus d’avoir une idée originale, ces Brestois ! Malgré cela, il n’y a pas de tensions entre ces deux ports.

Entre Douarnenez et Quimper, les relations sont plus compliquées. Douarnenez et le Cap-Sizun souffrent depuis longtemps du "complexe du plouc" par rapport à la ville (la seule ville à leurs yeux, c’est Quimper !) Douarnenez, ce grand port, est tourné vers la mer et les industries de la mer, Quimper c’est plus "chochotte" : dentelles, faïenceries (exportée aux Etats-Unis !), crêpes, tourisme. C’est aussi le siège de la préfecture et du Conseil général, grands recruteurs de fonctionnaires. Les mains calleuses du rude marin n’y sauraient que faire.

Mais Douarnenez alors ? Pour JMG Le Clézio, c’est le paradis. L’écrivain habite une maison à Poullan-sur-Mer, tout près de Douarnenez où il jouit d’une grande tranquillité et d’un beau panorama. Avant lui, le poète Georges Perros avait quitté Paris (et le théâtre, et ses collègues comédiens comme Gérard Philippe) pour venir vivre à Douarnenez où il goûta la qualité de vie rustique et le contact rude et chaleureux des marins du coin. Oui mais... Quimper regorge de traces du grand poète Max Jacob, mondialement connu et qui fut l’ami de Picasso, d’Apollinaire et de tant d’autres. C’est à Max Jacob que Jean Moulin emprunta le prénom, par admiration, pour la Résistance. La comparaison entre Max Jacob et Georges Perros, qui roulait à pétoire, le clope au bec, et qui s’attardait dans les tripots avec les marins et buveurs, tourne cruellement à l’avantage du premier. Comment Quimper ne peut-elle pas être "un peu" arrogante avec un tel nom à vénérer ? Quimper, traditionnellement était aussi le siège de l’évêché de Cornouaille... Un évêque, cela en impose. Et cette cathédrale !

Mais Douarnenez, c’est vivant, vous diront les Capistes (gens du Cap-Sizun). Rien à voir avec le côté un peu pincé, guindé, de Quimper. A Douarnenez, la cité des "Penn Sardines", les mœurs sont rudes (lire mon article sur les sardinières), mais l’ambiance est chaleureuse, conviviale. Les Douarnenistes sont un peu nos Cht’is, les "biloutes" en moins. Il existe même aussi à Douarnenez un parler bien particulier. Enfin l’accent diffère de l’accent quimpérois.

L’écrivain Hervé Jaouen, qui a passé son enfance à Quimper, se souvient aussi qu’il fallait « s’habiller propre » pour aller en ville : « Malgré le pantalon du dimanche et les chaussures neuves, en faisant les quais, on se sentait inférieurs aux riches, qui n’existaient, pour l’essentiel, que dans notre imagination. Sur les quais, le samedi, il y avait sûrement beaucoup plus de prolos endimanchés que de bourgeois et de bourgeoises à les regarder de haut. »

Affaire à suivre : Bernard Poignant, le maire de Quimper, a invité l’écrivain dans sa ville pour lui faire découvrir un "autre Quimper". 
 

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