Arts, guerres et romans...
par Tatiana Yansor
lundi 28 novembre 2005
Tous ces romans évoquent un passé, lointain ou proche, par le biais d’un tableau, un conflit mondial, un journal intime, des lieux mythiques comme Paris ou le Mont Saint-Michel... A vous de piocher :
La guerre, l’occupation :
Beaune la Rolande, Cécile Wajsbrot
Zulma, 64 pages, 5,50 euros
Une petite ville banale, perdue dans les champs du Loiret, et dont le nom, Beaune La Rolande, pour la plupart des personnes, ne signifie rien. Pour d’autres, au contraire, ce nom connote à jamais une résonance douloureuse. C’est ici, dès 1941, que des milliers d’hommes, femmes et enfants juifs ont été internés, avant d’être déportés pour Auschwitz. Une antichambre de la mort, à cent kilomètres de Paris.
Se souvenir. C’est ce que fait l’auteur de ce court récit, dont le grand-père est parti de Beaune la Rolande, pour ne pas revenir.
D’une plume sobre, maîtrisée, sans pathos, Cécile Wajsbrot égrène ces cérémonies de commémoration, où les survivants sont chaque année de plus en plus rares, et pendant lesquelles la longue liste de noms lus devant une plaque noire reste toujours aussi insupportable. Avec pudeur, elle raconte la blessure jamais refermée, la lutte contre le passage du temps et l’indifférence.
A lire, pour ne pas oublier.
Les petits agendas rouges, de Laurence de Cambronne
Plon, 212 pages, 17 euros
C’est après l’enterrement de sa mère que la journaliste Laurence de Cambronne (ELLE) a découvert une quarantaine de petits carnets cachés dans une boîte à chaussures, en haut d’une étagère. Des dates, des noms, des lieux, des faits. La vie entière de sa mère, offerte aux yeux de sa fille. Son jardin secret.
En s’inspirant des agendas datés de 1940 à 1945, tous à la couverture rouge, Laurence de Cambronne a écrit le roman d’amour de ses parents, un couple clandestin. Pierre est marié, Emma est une jeune fille de bonne famille, et malgré les dangers qui les guettent, ils sillonnent la France pour se retrouver. Voici le journal de guerre d’une jeune femme amoureuse, étonnamment moderne. Un voyage intimiste sous l’Occupation.
Les Tableaux :
Le Sacre de l’enfant mort, Jean-Luc Seigle
Plon, 196 pages, 18 ?
Ne soyez pas effrayés par la noirceur du titre, c’est un beau livre que celui-là. Nous voici plongés dans l’intimité du grand peintre David, celui qui a rendu immortels Marat, Robespierre, Napoléon. Jean-Luc Seigle s’est intéressé à l’épouse de David, Marguerite, une femme au physique ingrat, qui a toujours vécu dans l’ombre de son artiste de mari. En 1815, les David sont en exil à Bruxelles. Le peintre est obsédé par Le sacre de Napoléon, son immense chef d’oeuvre laissé à Paris. Sur un coup de tête, il décide de le repeindre, de mémoire. Mais en le faisant, l’étrange alliance qui le lie à Marguerite sera cruellement mise à nu. Écriture ciselée, sujet original, un roman subtil sur les rouages du mariage et les affres de la création artistique.
La dormeuse de Naples, de Adrien Goetz
Points Seuil- 117 pages, 5 euros
Pour ce deuxième roman, Adrien Goetz se glisse dans la peau de trois peintres, Ingres, Corot et un disciple de Géricault. Leur obsession commune : un chef-d’oeuvre disparu, La dormeuse de Naples, peinte par Ingres en 1814, et introuvable depuis.
Un livre original, qui explore la fascination pour un tableau perdu et pour son modèle, belle inconnue au corps appétissant.
Deux romans sur Le Mont Saint-Michel
Le peseur d’âmes, de Eve de Castro
Poche - 316 pages, 6 euros
Une garde à vue. Il s’agit d’un éminent médecin, habitant les beaux quartiers, marié et père de deux jeunes enfants. Le docteur est venu pour avouer un meurtre. Amoureux d’une comédienne, il affirme avoir assassiné le compagnon de cette dernière, Thomas . En effet, le matin même, Thomas a été retrouvé mort sur le trottoir en bas de son appartement. Mais l’accusé, Jacques Hérisson, répond sur un ton parfaitement sérieux, que oui, en effet, il a bien assassiné Thomas Landman, mais que c’était en 1228, au Mont Saint-Michel. Pas en 1994 à Paris. Malgré l’incrédulité qu’il suscite, le docteur insiste : la vérité, c’est qu’il s’appelle Jacques le Droit. Il est un grand guerrier du Moyen Âge. S’il a commis ce meurtre, c’est uniquement par amour. Jacques Hérisson a-t-il perdu la raison ? Eve de Castro, qui jusqu’ici nous avait habitués à des fresques historiques, laisse au lecteur le libre choix. Le choix personnel de juger Jacques, de peser son âme. Et le choix intime de le croire, ou pas.
La Promesse de l’Ange, Violette Cabesos et Frédéric Lenoir
Albin Michel, 496 pages, 21,50 euros
Prenez le Mont Saint-Michel, sa splendeur, ses légendes. Ajoutez-y l’érudition d’un passionné de mythologies et de religions, et la fougue d’une romancière de talent, n’oubliez pas une dose de suspense, et secouez bien. Vous obtiendrez un thriller mâtiné de savoir dans la lignée d’Umberto Ecco.
Pourquoi Johanna, archéologue férue du Moyen Âge, fait-elle des cauchemars peuplés de moines décapités, liés au Mont Saint-Michel ? En fouillant la secrète « Notre-Dame Sous Terre » une crypte souterraine enfouie sous l’abbaye normande, Johanna exhume une poignante histoire d’amour ancienne de dix siècles. Moïra, une jeune celte, et Roman, un moine bénédictin, se sont aimés ici
dans la malédiction, victimes de l’intransigeance et de l’intolérance.
Tandis que Johanna remue le passé pour résoudre l’énigme qui la hante, des meurtres sont commis dans son entourage, tous estampillés de la symbolique des quatre éléments « air, terre, eau, feu », utilisée jadis pour supplicier Moïra. Le chantier de fouilles est menacé de fermeture. La quête de Johanna continuera, mais au péril de sa vie.
Le philosophe Frédéric Lenoir, auteur entre autres de Le Code Da Vinci, L’enquête (chez Laffont ,avec M.F. Etchegoin) et l’écrivain Violette Cabesos forment un tandem original qui fonctionne. Ils signent ici un polar mystique dont on salue le travail de recherche et dont le bémol serait quelques longueurs, en dépit d’un souffle puissant.
Le Paris d’autrefois :
La Modiste de la Reine, de Catherine Guennec
JC Lattès, 284 pages, 18 euros
« Madame Déficit » et « Madame du Costume » !
Il s’agit bien sûr de Marie-Antoinette, « l’Autrichienne » et de sa modiste, la légendaire Rose Bertin. En ressuscitant la « divine » Rose, Catherine Guennec a réussi un roman historique émouvant. Vieille dame, Rose se penche sur le souvenir d’une reine déchue qui n’a cessé de la hanter depuis un funeste jour d’octobre 1793. Au fil des pages, nous suivons l’enfance âpre de Rose dans une Picardie humide, puis son arrivée à Paris, où elle va connaître une carrière fulgurante dans le monde de la couture, et faire une rencontre royale qui va changer sa vie. L’auteur décrit une capitale bruyante et bigarrée, un Versailles fastueux et odorant, sans oublier les créations de Rose Bertin qui la firent connaître dans l’Europe entière. Mais ce que l’on retiendra de ce roman, c’est le portait tout en finesse de Marie-Antoinette, évoquée à travers les réminiscences d’une « petite main » qui lui est restée fidèle.
La Princesse aux sabots, de Joël Raguénès
Jean-Claude Lattès, 356 pages, 19 euros
Rosalie Léon a la beauté du diable, et toutes les misères du monde sur les épaules. Née dans une modeste famille quimpéroise, orpheline, elle est élevée par un aubergiste pour qui elle devient bonne à tout faire. Sombre destin. Mais très vite, la jeune fille se retrouve à Paris, ville qu’elle n’a jamais connue. Joël Raguénès décrit avec minutie les grands chantiers haussmanniens qui défigurent le vieux Paris. Immeubles éventrés, poussière de plâtre, bruit infernal : on s’y croirait ! L’auteur nous entraîne ensuite dans les coulisses des théâtres du Second Empire, lorsque Rosalie, adulée par des peintres, des poètes, des dandys, devient une actrice à succès dans les opérettes d’Offenbach. Rosalie aime la vie, les hommes et le plaisir, qu’elle croque à pleines dents. A l’instar de la « Nana » de Zola, elle se grise d’une vie de courtisane. Mais elle n’a jamais oublié ses origines paysannes, et rêve d’un vrai, d’un grand amour. Un jour, une bohémienne lui prédit qu’elle épousera un prince, et Rosalie ose y croire. Ainsi, un soir de spectacle, un bel homme n’a d’yeux que pour elle. Il vient la voir dans sa loge après la pièce. Coup de foudre. Il s’appelle Prince Pierre de Sayn-Wittgenstein. Et malgré les exigences de son rang, il réussira à épouser sa bergère. Un happy end pour les afficionados du genre !
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