Lutetia par Pierre Assouline
par Tatiana Yansor
jeudi 16 juin 2005
Pierre Assouline possède une façon à la fois féroce et humaine de braquer un projecteur sur les années les plus sombres de notre pays : l’Occupation. Il s’y était déjà intéressé dans ses livres précédents, comme pour « La Cliente » ou encore dans la biographie « Le dernier des Camondo » (tous deux chez Folio). Cette fois, c’est un hôtel de luxe parisien qu’il met en scène, tel un véritable personnage.
De 1938 à 1945, Pierre Assouline nous entraîne dans les coulisses du Lutetia, hôtel grandiose, semblable à un immense paquebot en proie à toutes sortes de dérives. Edouard Kiefer, son héros, est un ex-policier discret, peu bavard, détective privé de l’hôtel, et qui connaît les lieux comme sa poche. Par ses yeux, on voit défiler les artistes et les écrivains qui ont fait le succès d’avant-guerre du Lutetia : James Joyce, Matisse, Albert Cohen. On assiste ensuite à la réquisition des lieux par l’Abwehr. La croix gammée flotte au dessus du Lutetia. Kiefer se soumet, non sans mal. On découvre enfin le retour bouleversant des déportés des camps de la mort, en 1945. Rédemption du Lutetia, qui devient l’endroit de tous les espoirs, de toutes les retrouvailles pour les familles déchirées.
L’auteur avoue avoir mis 30 ans à « pondre » ce roman épais. Il s’est plongé dans les archives inédites du Lutetia, a rencontré et interrogé des déportés qui lui ont livré des anecdotes extraordinaires. Un roman d’une grande richesse, écrit d’une plume qui sait être aussi sensible qu’érudite.
Tatiana de Rosnay