Les Chats du Père-Lachaise, nouvelles de Jean-Claude Masson

par Bradomin
samedi 7 avril 2012

Publié d’abord à Paris par les Editions Garamond en 2000, le recueil de nouvelles Les Chats du Père-Lachaise de Jean-Claude Masson fut bientôt republié au Canada (Toronto, Ed. du Gref, 2004). Il se nourrit des voyages de l’auteur et de ses questions répétées à tous ces lieux où l’histoire ne cesse de balbutier.

« Les fictions des Chats du Père-Lachaise tournent d’Est en Ouest, comme l’astre des civilisations successives. Et la scène se déplace : de l’Inde à la Forêt-Noire, des Etats-Unis à Saragosse, de Paris à Bucarest. Les textes mettent en relief quelques lieux de mémoire et, comme dans les strates archéologiques, soulignent les innombrables failles, les fractures d’oubli… » (texte de la quatrième de couverture)

Ainsi « La nuit du Rajah » met-elle en scène, dans son vieux palais dévoré par l’humidité, menacé par la houleuse forêt toute proche, l’héritier d’une famille princière dont l’esprit somnambule se laisse peu à peu gagner par la spongiosité ambiante et semble lui-même se diluer dans la poreuse substance du temps. De l’échange entre le narrateur, voyageur occidental, et le survivant d’un monde en voie de disparition, naît la fascination d’une impossible rencontre : « Les Européens ne comprennent rien à la mort [ …] L’âme indienne rêve de mourir, poursuit-il, alors que vous ne songez qu’à l’immortalité ». 

De même « Le nadir », dont l’action se passe à Saragosse à la fin du XVIIIe, imagine la confrontation irréconciliable entre un artiste imprégné par l’esprit des Lumières, le peintre aragonais Goya, et un descendant des anciens Maures, venu en pèlerinage sur la terre conquise par ses ancêtres. S’opposent ainsi une vision religieuse et cyclique de l’histoire, marquée par le respect de la tradition, l’idée du nécessaire retour (« notre futur est derrière nous » clame l’Oriental) et l’enthousiaste conception « progressiste », résolument tournée vers le défi des temps à venir, de l’Europe révolutionnaire.[...]

Les dix nouvelles qui composent ce recueil témoignent toutes de la conviction d'une coexistence de tous les temps et du propos que ne cessent de tenir, pour qui veut bien ou peut les écouter, des lieux toujours lourdement chargés de souvenirs. Aussi la présence de l’érudition culturelle et historique dans ces fictions, loin de dérouter le lecteur, a-t-elle pour but en relançant le texte, de lui conférer l’épaisseur du temps et la richesse foisonnante des civilisations évoquées. Il n’est pas un lieu, pas une pierre où ne se sont accumulés les passages, et cette coprésence de tous les temps et le questionnement qu’elle suscite, se fait sentir dans une langue elle-même extrêmement riche, précise et ciselée, celle de l’auteur et de personnages aussi cultivés que ludiques. (Cf. Lettre d'Extremadoure). 

  La nouvelle qui donne son titre au recueil, « Les chats du Père-Lachaise », évoque pour sa part une déambulation du narrateur dans les allées du célèbre cimetière, aux hôtes si pittoresques :

Extraits : 

    "A une dizaine de mètres, dressée au milieu d'un cercle de chats posés sur leur postérieur, Madame Toinette ouvre une énorme boîte. Tous les chassés-croisés de la race féline, tous les raffinements, les ratés de l'espèce ont accouru des quatre coins. Du rouquin borgne et boiteux, brèche-dent, aux soyeux siamois sulfureux ; du matou noir, baladant sa conjonctivite purulente, au mistigri bleu russe. Un persan à la fourrure couleur fumée, un chartreux au chancre labial. Un Maine Coon débarqué, clandestin, d'un bateau d'Amérique. Deux hollandais à l'œil cuivré, à la robe pie-orange. Des "gouttière" de tout poil, dans une gamme infinie d'eczémas. Un galeux symbiotique, un galeux sarcoptique. Un chat sans queue. Le chat botté.

  (Il manque le plus beau, murmures-tu : un birman. Mais ton imagination veille au grain.)

  Les chats courent à leur pitance. Madame Toinette a l'œil révulsé : c'est l'extase."


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