Un débat qui déraille

par olivier cabanel
mercredi 9 février 2011

Lancé vraisemblablement avec trop de force il y a plus de 20 ans, le projet ferroviaire Lyon Turin n’arrête pas de retomber, comme l’a prouvé un « débat » quasi surréaliste le 5 février 2011 à st Jean de Maurienne.

Tous les ingrédients pour que le débat n’ait pas lieu étaient réunis. lien

Officiellement, cette rencontre était organisée par la CGT cheminots de Chambéry sous la houlette de l’un de leurs meneurs, Antoine Fatiga.

Une salle haletante de 2 ou 300 personnes, était composée de représentants syndicaux, mais aussi d’élus, d’experts, et de citoyens prêts à débattre, si on leur en donnait la possibilité.

Les 2 premières heures furent consacrées à la présentation du projet, Antoine Fatiga ayant mis les petits plats dans les grands, car après avoir distribué à chacun un dossier composé des pages du diaporama qu’il présentait, ânonnait le contenu de celui-ci, en faisant défiler les images.

La chape de plomb qui s’était déposée sur les participants aurait pu se lever s’il avait été possible de contester la présentation lénifiante du projet. lien

Puis vint le temps de la parole des grands élus, et pas des moindres.

En effet, Louis Besson, l’ex-ministre des transports de François Mitterrand était là en personne, présence tout à fait justifiée, puisqu’il est depuis plus de 20 ans à l’initiative du projet, et qu’il rêve d’une gare TGV à Chambéry, dont on dit qu’elle pourrait même porter son nom.

On le sait, ces grands politiques ont l’art de parler longtemps pour ne rien dire, et il fit merveille dans ce domaine. lien

Il fut suivi avec un certain talent par le député Michel Bouvard, qui, semblant atteint d’une logorrhée verbale intarissable, confondant décisions européennes, et  françaises,  occupa avec gourmandise l’espace du débat, devant une assemblée qui n’était pas complètement assoupie.

Vint le moment pour le représentant du gouvernement italien, Mario Virano, porteur du projet, de prendre la parole.

Il possédait parfaitement lui aussi un indéniable talent pour utiliser un temps de parole relativement long, sans dévoiler grand-chose.

Cette réunion commencée à 9h30 du matin, vit enfin, 2 heures après, arriver la possibilité d’un débat.

Peine perdue, l’infatigable Fatiga donna les règles du débat.

Trois minutes, et pas une de plus pour les intervenants, prévenant même qu’en cas de dépassement, il utiliserait son droit de couper purement et simplement le micro de l’impétrant.

Les éventuels débatteurs étaient donc invités à lever la main, et à la garder en l’air le plus longtemps possible, afin qu’il puisse noter à qui il allait donner la parole.

Car il s’agissait bien de çà.

Deux acolytes, situés de part et d’autre de la salle, étaient chargés de donner, ou pas, la parole.

En effet, le meneur syndical, appelant ceux-ci au bord du podium, leur donna manifestement des instructions bien précises.

Vint alors un moment quasi surréaliste, car l’animateur proposa le micro tour à tour à une dizaine de ses amis syndiqués qu’il appelait carrément par leurs prénoms.

Devant une salle qui commençait à la trouver saumâtre, il se décida tout de même à donner la parole à d’autres.

Mais, hélas, comment voulez vous défendre en 3 petites minutes, l’intérêt d’un « plan B » et en proposer un argumentaire ?

Alain Margery, concepteur du procédé R-shift-R, (R-SHIFT-R rapport final vf) , Michel Martin, ingénieur, Pierre Moreau du CIPRA, (commission internationale pour la protection des Alpes) en firent la douloureuse expérience.

Luc Berthoud,  maire de La Motte Servolex obtint les faveurs de la prise de parole, d’autant que sa commune, passage quasi obligé du projet, commence à voir d’un œil critique certains aspects du projet. lien

Une délégation italienne d’opposants, composée d’élus, et de militants s’impatientait avec raison.

Fatiga pris le risque de donner la parole à l’une d’elle, et mal lui en pris, car le public semblant sortir de sa torpeur, se décida à applaudir à la fin des 3 trop courtes minutes.

Jean Blanc, citoyen de Bonneval sur Arc, et représentant d’Europe écologie, à force de moulinets, obtint la parole, évoquant l’inutilité du projet, la pollution à l’amiante, àl’uranium, présents en grande quantité dans le sous-sol, et dont les milliers de tonnes seraient vraisemblablement dispersées dans la combe du grand Paradis, lequel deviendrait subitement un enfer. lien

Il prônait le remplacement de ce projet dispendieux par un développement des TER, lié à une modernisation du réseau voyageur et fret.

Une jeune militante grenobloise, énervée à juste titre, eut la chance de pouvoir elle aussi s’exprimer, racontant les péripéties des noix de Grenoble prises dans des illogismes de trafic.

On connait l’aventure des pommes de terre, cultivées en France, lavées en Belgique, coupées en Italie, frites en Espagne, conditionnées en Allemagne, répondant aux impératifs des « lois du marché ».

Il semble que la « Noix de Grenoble » connaisse les mêmes déboires.

Voyant que le débat prenait enfin corps, l’animateur syndical décida qu’il était temps de passer au buffet.

Au delà de ces péripéties, ce débat eut malgré tout un intérêt, car l’assemblée constatant que, si on l’avait privé de débat, c’est que manifestement, on le craignait.

A vaincre sans débat, on triomphe sans gloire.

Elle permit aussi aux contradicteurs de se rencontrer, et renforça leur détermination à lutter contre ce projet, dont des experts indépendants avaient dit, dès 1997, (cabinet Reverdy) qu’il n’avait aucun intérêt économique, que les données présentées étaient largement incomplètes, affirmant que les chiffres proposés dans les dossiers n’étaient pas recevables. lien

20 ans ont donc passé depuis le lancement de ce projet.

Les tunnels Suisses déjà ouverts, et ceux qui vont l’être dans les mois à venir, vont capter une bonne partie des marchandises espérées sur le Lyon Turin.

Eurotunnel qui s’est lancé dans le fret ferroviaire préfère passer par Lille, Bale et Milan pour atteindre Turin, plutôt que de passer par Lyon. lien

Le canton de Genève a ouvert en décembre dernier la ligne LGV des Carpates, qui emmènent le potentiel annuel du million de voyageurs du bassin genevois à Paris ou a Lyon, sans passer par Chambéry. lien

La région Paca vient de lancer une étude pour la réalisation d’un tunnel ferroviaire à Montgenèvre lequel aura l’avantage de ne faire que 15 km de long, contre les 58 km du Lyon Turin, tout en raccourcissant le trajet. lien

En Suisse, ou 70% des marchandises prennent le train, le tunnel du St Gothard va s’ouvrir prochainement, suivant celui du Lötschberg, captant les marchandises espérées par le Lyon- Turin. lien

A tout prendre, on se demande qui serait prêt à passer 2 longues heures dans les 150 kilomètres de tunnels, ou tranchées couvertes que comporte le projet Lyon Turin coté français, prolongés par les tunnels italiens dont on nous dit que 88% du trajet serait enterré ?

De l’autre coté des Alpes, les 24 communes concernées sont hostiles (par délibération) contre seulement 5 favorables, 5 sondages ont pu être réalisés contre 34 prévus, et les dérapages financiers ont déjà commencé.

LTF (Lyon Turin Ferroviaire) a réglé sur son budget, les frais d’hébergement des forces de police pour un montant de 36 272 €, et a payé 161 400 € pour 2 sondages qui n’ont pas été réalisés : l’attribution des marchés se fait sans appel d’offres, à des prix loin de toute vraisemblance.

Aujourd’hui, Il ne reste du Lyon-Turin, ce projet ringard, prétentieux, et couteux, qu’une coquille vide, d’autant que l’Europe vient de décider en décembre dernier de le sanctionner pour cause de retards accumulés, réduisant de 9 millions d’euros la subvention prévue, et menaçant d’allouer ce qu’il reste à d’autres projets « plus crédibles et plus efficaces ». lien

L’aide européenne était de toute façon plus que modeste, car elle ne portait que sur un maigre  pourcentage s’appliquant uniquement à la partie internationale (le tunnel de base).

Celui-ci est estimé à 7,6 milliards d’euros, ce qu’il faut mettre en parallèle avec les 25 milliards du prix définitif (or contournement de Lyon, et matériel roulant) du chantier coté français.

L’aveuglement obsessionnel des partisans de ce projet est d’autant plus incompréhensible que la modernisation de l’existant, utilisant le tunnel ferroviaire qui vient d’être re-calibré à Frejus, (lien) permettrait pour une somme raisonnable de répondre aux exigences des citoyens, qui privilégient à 90% les TER, et pourrait être opérationnel en quelques années, faisant transiter jusqu'à 40 millions de tonnes de fret par an, en donnant 7 fois plus de travail aux entreprises régionales qu’avec le projet LGV.

C’est aussi la position de FNE (France nature environnement) qui déclare que « le train doit redevenir un service public de proximité  ».

Les participants à ce débat avorté se sont donné rendez-vous en avril, à La Motte Servolex, afin de permettre à la parole de s’exprimer librement, ayant fait savoir à l’animateur cheminot que lui aussi aurait la parole.

Car comme dit mon vieil ami africain : « C'est quand le puits est à sec que l'on connait la valeur de l’eau ».

 

L’image illustrant l’article provient de « blog.figaronron.com »


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