Le malheur est dans les prés

par olivier cabanel
jeudi 13 mai 2010

Le 23 janvier 2010, un front du refus anti-LGV espagnol-italo-français a vu le jour.

25 000 manifestants à Hendaye (12 000 pour la police) et au moins autant en Val de Suze le même jour pour défendre une même logique. vidéo

Ils dénoncent le gaspillage de l’argent public dans des réalisations de liaisons à grande vitesse non rentables.

(Il faut savoir qu’un quart des lignes LGV n’est pas rentable, au point que la SNCF prévoit de supprimer ou réduire le trafic sur certaines lignes d’ici fin 2010. lien)

Ils démontrent comment, en finançant des projets LGV couteux, c’est autant de trafic régional qui est mis en difficulté.

« La politique du tout TGV s’est faite au détriment du niveau de maintenance et d’investissement sur le réseau ferroviaire classique » : c’est ce qui était écrit en toutes lettres dans le rapport présenté le 15 septembre 2009 par Jean Louis Borloo. lien

Les anti-LGV ont même signé une charte, et vont la présenter avec leurs doléances et leurs pétitions devant l’Assemblée Européenne le 18 mai 2010 à Strasbourg.

Ils ne sont pas des «  NIMBY  », et sur leurs banderoles on peut lire, « ni dans mon village, ni ailleurs ».

Ils sont seulement des citoyens responsables excédés de voir se construire des projets pharaoniques, lesquels n’ont aucune chance de rentabilité et qui sont décidés arbitrairement sans un vrai débat public pour la plupart.

Les seuls « débats » dont on veut bien gratifier les populations ne sont que des réunions de communication au cours desquelles les promoteurs des projets sont à la tribune, choisissent leurs experts, et imposent leur projet.

Pourtant la procédure de débat public existe. lien

Elle a été introduite et cadrée par la loi L.95-101 du 2 février 1995 et modifiée par celle du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité..

Cette CNDP (Commission Nationale du Débat Public) décide des modalités de participation du public à l’élaboration des projets d’aménagement ou d’équipement ayant une incidence importante sur l’environnement ou l’aménagement du territoire, en considérant, soit que le débat public est nécessaire et que dans ce cas, elle organise elle-même ou elle le confie au maître d’ouvrage, soit qu’il n’est pas nécessaire et, dans ce cas, elle peut recommander au maître d’ouvrage de mener une concertation.

Aujourd’hui, malgré les protestations, le tronçon Tours Bordeaux vient d’être concédé à Vinci pour 7,2 milliards d’euros. L’état prend en charge le quart, l’autre quart étant pour les collectivités locales. lien

Le citoyen sera donc mis à contribution pour 3,56 milliards d’euros, espérant qu’il n’y aura pas de dépassements.

Or, dans ce domaine, les dépassements de budget sont la règle.

Sous-estimation du cout du chantier, et surestimation du trafic sont les deux mamelles des promoteurs malins.

Lorsque le projet est engagé, les citoyens n’ont plus qu’à mettre la main à la poche.

Les nombreux projets en cours font le bonheur des bétonneurs, quand ce n’est pas de la mafia qui voit là une façon pratique de blanchir de l’argent pas très propre. lien

En Italie, les NO-TAV ont déjà des preuves de l’implication de la Mafia dans le projet Lyon-Turin ainsi que l’a prouvé une enquête de la « Criminalpol ». Lien

Bordeaux-Toulouse, Lyon-Turin, Poitiers-Limoges, Paris-Rennes, Marseille-Nice, Nîmes-Perpignan, Bordeaux-Hendaye, Paris Mulhouse, Dijon-Lyon, les promoteurs ne manquent pas d’imagination.

Le Projet Lyon-Turin a décroché le pompon, avec 25 milliards à investir.

Les promoteurs affirment qu’il ne dépassera pas les 12,5 milliards (lien), mais chacun se souvient du tunnel sous la Manche dont le prix a plus que doublé. lien

Et si l’on compare le Lyon-Turin avec celui du st Gothard, dont le tunnel de base à la même longueur (58 km), rien que le tunnel de base couterait 6,7 milliards lien

Or, le Lyon Turin comporte 144 km de tunnels / tranchées couvertes.

Par une simple règle de trois, on atteint donc déjà le chiffre de 17 milliards d’euros juste pour les tunnels et les tranchées couvertes.

A cela, il faut rajouter le reste du chantier, le rachat des habitations se trouvant sur le tracé, les aménagements antibruit pour protéger ceux qui seront au bord de la voie, et le matériel roulant.

Les études, et galeries de reconnaissances ont déjà dépassé les 100 millions d’euros. lien

Le total de 25 milliards est donc tout à fait réaliste. lien

Francis Mer, qui précédait Sarkozy au ministère des finances, disait dans un livre, tout le mal que l’on pouvait penser du Lyon-Turin. (Vous, les politiques/ Albin Michel 2004 / en collaboration avec Sophie Coignard).

Et puis il y a l’environnement : le bruit (130 db mesurés du coté d’Angers au passage d’un TGV), l’assèchement des puits, le tarissement des sources, la gestion des milliers de tonnes d’amiante et d’uranium présents à l’emplacement du tunnel sous les Alpes, et confirmés par plusieurs études. lien

Nos voisins italiens répondent avec beaucoup de pertinence aux arguments des pro-tgv. lien

Et puis, le projet de fret ferroviaire Lyon Turin est maintenant court-circuité par le Tunnel du ST Gothard, lequel va capter une bonne partie du trafic fret, et par le Tunnel du Montgenèvre, bien plus court, dont on vient d’apprendre le lancement des études. lien

Mais la plus mauvaise nouvelle pour le Lyon-Turin, est l’ouverture fin 2010 de la « ligne des Carpates transformée » qui relie bien plus directement le bassin Genevois à Paris ou Lyon. lien (Paris-Genève en 3 heures)

Alors, on fait valoir chez les pro-LGV Lyon-Turin qu’il s’agit de temps gagné.

Mais avec le TGV plus on va vite, plus on perd du temps.

Les quelques heures gagnées sur le parcours sont souvent perdues en file d’attente aux guichets, ou en temps de parcours pour rejoindre la destination finale puisque les TGV ne s’arrêtent que dans les TGV (Très Grandes Villes), avec pour le Lyon Turin le discutable plaisir de contempler pendant les ¾ du voyage les parois d’un tunnel.

Pour le fret ferroviaire, la situation de la SNCF n’est pas plus brillante : 20% de marchandises transportées en moins pour 2009.

Les raisons sont simples, transport trop lent, (La vitesse moyenne d’un wagon isolé est de 15 km/h. lien) trop cher, peu pratique. lien

En étant le plus gros transporteur routier du pays, par ses filiales interposées, la SNCF a pénalisé son fret ferroviaire. lien

En octobre 2003, mr Veyron, directeur du fret SNCF réorganisait celui-ci, ramenant le volume de TTKM (tonnes transportées au kilomètre) de 50 milliards à 35.

La dette de la SNCF était passée de 3,4 milliards de francs en 1992 à 8 milliards en 1994.

Elle est aujourd’hui de 40,5 milliards d’euros. lien et les comptes présentés le 19 avril dernier faisaient valoir une nouvelle perte d’un milliard d’euros pour l’exercice 2009. lien


612 gares ont été fermées en 10 ans à l’époque, et le mouvement a continué.

Le plan 2006 prévoit la fermeture de 252 gares fret supplémentaires. lien

On pouvait lire dans « Credo Rail » du 17 juillet 1993, la SNCF est la seule compagnie de toute l’Europe de l’ouest a avoir connu une telle régression. 60 000 emplois venaient d’être supprimés, et 12 000 supplémentaires allaient l’être entre 1993 et 1994.

Depuis 2002, 22 000 nouveaux emplois ont été supprimés, et 3700 supplémentaires vont l’être en 2010. lien

Déjà en 1992, chaque contribuable payait 1400 Fr dans ses impôts pour combler le trou de la SNCF.

Les solutions on les connait : limiter les lignes LGV aux parcours rentables, moderniser les TER, et mettre sur les rails un autre concept du fret ferroviaire qui ne nécessite pas la création d’une voie nouvelle, mais seulement d’une technique de transport nouvelle qui puisse concurrencer la route, sans l’aide de taxes. lien

En 2002, un audit avait été demandé par Raffarin afin que les projets d’infrastructures soient réexaminés.

Le rapport final à conclu que « le futur axe Lyon Turin n’était plus considéré comme prioritaire ».

Les experts ont privilégié les aménagements de capacité pour le tunnel ferroviaire actuel dit «  du Mont Cenis  » dont ils préconisent une augmentation de gabarit et une amélioration de la sécurité. lien

En 2003, un nouveau rapport à été remis au gouvernement « jugeant élevé le coût du projet Lyon Turin  ». lien

Combien de temps ce gâchis va-t-il perdurer ?

Nul ne le sait, car comme disait mon vieil ami africain :

« Le rêve est le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre ».


Illustration Olivier Cabanel


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