9/11... et le déclin de l’Empire

par Pierre
mardi 31 août 2021

Les historiens des prochaines décennies retiendront que le 11 septembre 2001, il y a bientôt 20 ans, 19 terroristes kamikazes dont 15 saoudiens mais aucun Afghan, aucun Irakien, aucun Libyen et aucun Syrien ont été à l'origine du déclin d'un empire qui devait durer jusqu'à la fin de l'histoire. Il leur a suffi de jeter trois avions de ligne sur des lieux emblématique de ce qui était alors la seule hyperpuissance pour que cette dernière, emportée par un hybris démesuré, perde toute notion de mesure et organisa une riposte tout-à-fait hors de proportion avec l'attentat.

L'image qui me vient à l'esprit est celle d'un éléphant qui a été piqué par un moustique et qui entre dans une rage folle, casse tout ce qui ne lui plaît pas autour de lui et finit par s'embourber dans un marécage dont il ne sortira peut-être pas.

 

D'abord, je ferai l'impasse sur les théories alternatives qui évoquent par exemple l'implication de dirigeants américains au plus haut niveau dans l'organisation des attentats ou le détournement des avions par des moyens électroniques.

Il y certainement des zones d'ombre dans l'enquête de la commission nationale mais à mon avis davantage pour masquer des manquements des services de sécurité intérieure et pour protéger les liens économiques et stratégiques avec l'allié saoudien.

Je n'évoquerai pas non plus le quatrième avion détourné qui n'a pas pu atteindre sa cible parce qu'il s'est écrasé au sol en Pennsylvanie suite à l'intervention des passagers suivant la version officielle.

Déterminer qui est responsable de ces attentats est finalement sans importance quand on veut évaluer les conséquences de la réaction inadéquate américaine.

 

En 2001, les États-Unis étaient au zénith de leur puissance. La Russie était moribonde et la puissance chinoise était en gestation. L'Union européenne rêvait de redevenir un acteur important dans le concert mondial avec l'avènement de l'euro et avec ses réussites industrielles et ses projets scientifiques comme Airbus ou Galileo. Son ambition était de devenir la première puissance économique mondiale. Elle ignorait encore qu'elle n'était qu'une province de l'Empire.

Il y avait bien quelques petits pays qui refusaient l'hégémonie étasunienne et ils furent immédiatement cité comme complices du terrorisme alors qu'ils étaient totalement étrangers aux attentats.

Un plan pour renverser les gouvernements de ces pays insoumis avait d'ailleurs été élaboré par le Pentagone à la demande des autorités civiles quelques semaines après les attentats. Le général Wesley Clark, candidat à la primaire démocrate de 2004, en avait été personnellement stupéfait en 2001. i

L'attentat du 9/11 a tout de suite été improprement qualifié d'acte de guerre. Cela a permis à l'administration de George W. Bush de prendre la tête d'une coalition quasiment mondiale et d'envahir certains de ces pays au nom de la lutte contre le terrorisme.

Le problème, c'est que ces attentats avaient été commis par une organisation de fanatiques et pas par un ou des États. Le soutien unanime s'est vite délité quand il est devenu évident que les États-Unis avaient décidé d'envahir des pays qui n'avaient rien à voir avec les attentats du 9/11.

Ce que les idéologues néoconservateurs n'avaient pas prévu, c'est que l'invasion ou le renversement du pouvoir de pays dirigés par des dictateurs suivant les normes occidentales mais souverain, hostiles à la politique occidentale et très majoritairement laïcs provoquerait une résistance nationale récupérée ensuite par des organisations prônant la primauté des préceptes de l'islam. Cela a finalement renforcé cette religion et étendu le terrorisme à toute la planète avec des attentats aveugles ou ciblés.

Vu le soutien quasi général dont bénéficiaient les États-Unis en 2001, y compris de la Chine et de la Russie, l'entourage néoconservateur (PNAC) ii du président George W. Bush

a vu l'opportunité d'en finir avec ce qu'ils appelaient les « rogue states » et de remodeler le grand Moyen-Orient pour en faire des démocraties de type occidental. Il s'agissait de les insérer dans leur zone d'influence. Le moins qu'on puisse dire 20 ans plus tard, c'est que l'objectif n'a pas été atteint.

 

En revanche, d'abord les difficultés militaires et ensuite les échecs politiques ont embourbé les États-Unis dans des pièges sans issue. Pendant que les États-Unis perdaient un temps précieux et beaucoup de dollars dans des guerres hybrides, la Chine développait son économie et la Russie restructurait ses forces armées, consciente que les États-Unis visaient l'hégémonie mondiale et que sa faiblesse économique et militaire pourrait faire d'elle une nouvelle cible potentielle si elle avait un jour des velléités de politique indépendante.

 

Selon le magazine Forbes, plus de 2000 milliards de dollars aurait été injectés en Afghanistan iiiet le coût pour l'ensemble des guerres étasuniennes depuis 2001 est estimé entre 6 000 et 12 000 milliards de dollars si on tient compte des conséquences de longue durée comme par exemple la prise en charge de dizaines de milliers de soldats blessés et handicapés à vie qui seront encore à charge du budget des États-Unis pour de longues années. iv

 

Le retrait des troupes américaines d'Afghanistan, presque 20 ans après son occupation, marque un échec cuisant de la politique interventionniste des États-Unis et de ses alliés de l'OTAN.

Sauf situation exceptionnelle, cela mettra sans doute fin pour longtemps à de nouvelles opérations de ce genre dans des pays tiers pour y instaurer des démocraties de type occidental. Après le retrait d'Irak, la boucle sera bouclée. Si le but des néoconservateurs américains était d'insérer le Moyen-Orient dans leur zone d'influence, c'est le résultat inverse qui a été atteint.

 

Malgré les milliers de milliards de dollars investis dans des guerres et des programmes de formation des élites, l'Occident se trouve dans une situation pire qu'avant le 9/11.

L'Irak est sous influence iranienne et l'Iran s'est renforcé et va incessamment faire partie de l'Organisation de coopération de Shanghai. v En Libye, le fils de Mouammar Kadhafi vi a de bonnes chances de gagner lors de la prochaine élection présidentielle. Bachar al Assad est plus que jamais l'incontestable maître en Syrie. Le Liban et la Somalie sont toujours dans le chaos et l'Afghanistan revient à la situation de départ avec le retour des talibans.

C'est le fiasco de la méthode qui consistait à acheter les chefs de guerre locaux pour ne pas avoir à les combattre et à saturer les gouvernements d'armes pour obtenir une supériorité militaire contre les groupes rebelles.

Finalement, Al-Qaïda dans sa structure d'origine a quasiment disparu et est devenu une franchise pour toute une série d'autres organisations islamiques. L'organisation a laissé des métastases dans le monde musulman : Boko Haram, AQMI, GICM, MIO, PIT. vii et a inspiré l'État islamique. Ses sources de financement fournies par de riches personnalités du monde musulman s'étant taries, Al-Qaïda a laissé une recommandation pour l'avenir : « laisser l'initiative du djihad à des groupes auto-formés. » C'est ce qui rend la lutte contre le terrorisme si compliquée pour les services de sécurité et cela oblige les pays occidentaux à avoir recours à des lois d'exception qui réduisent les libertés de leurs citoyens.

Les États-Unis ont perdu leur crédibilité mais le pire est sans doute que pendant que toute leur attention était dirigée vers les guerres au Moyen-Orient, la Russie, sans faire de vagues, est redevenue un acteur majeur sur la scène internationale.

 

Si les économistes conviennent que les attentats eux-mêmes n'ont coûté que deux ou trois dixièmes de pourcent au PIB des États-Unis pour les années 2001 et 2002, le financement de la réaction militaire a causé une dette souveraine irremboursable. Elle sera passée de 5 000 milliards de dollars à l'arrivée de George W. Bush à la présidence à plus 30 000 milliards de dollars au départ de Joe Biden. viii Les graphiques montrent que la courbe est exponentielle et les 5 000 milliards de dollars du plan de relance de Joe Biden vont encore l'accentuer.

Les guerres d'Irak et d'Afghanistan n'ont eu qu'un impact limité sur l'économie américaine vu que ces guerres ont été financées par de la création monétaire (à charge des générations futures) plutôt que par des impôts qui auraient impacté les ménages américains. Une conséquence est cependant le manque de fonds pour des investissements dans les infrastructures qui se trouvent dans des états de délabrement inquiétants mais cela tient peut-être aussi au système néo-libéral qui se désinvestit de ses charges régaliennes.

 

Cela n'a été possible que parce que la Chine a gardé confiance dans la devise américaine et a continué à l'accepter pour ses transactions commerciales.

 

L'explication du retrait précipité d'Afghanistan et bientôt d'Irak s'explique aussi par les difficultés budgétaires. Les États-Unis ont beau faire tourner la planche à billets, viendra le jour où le dollar devra partager le principal rôle de monnaie de réserve avec le yuan renminbi.

Les Américains feraient bien de se remémorer le proverbe : « Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. »

 

L'actualité du moment incite à laisser quelques commentaires sur l'Afghanistan. ix

 

 

En plus des commentaires, il y a aussi beaucoup de questions.

 

En conclusion, je voudrais préciser que déclin ne veut pas dire effondrement. Le déclin ne sera pas brutal non plus. Il est certain que les États-Unis essayeront d'enrayer l'expansion économique de sa rivale chinoise avec des pressions économiques et politiques x plutôt que de l'affronter militairement. Il y a cependant une inconnue en cas de confrontation entre la Chine et Taïwan mais je doute quand-même que des combats s'étendraient au-delà des Mers de Chine orientale et méridionale.

Je vois plutôt une montée en puissance progressive de la Chine comme celle des États-Unis au dépend du Royaume-Uni dans l'entre-deux-guerres : d'abord en Asie continentale, ensuite dans l'Océan indien, en Afrique et en Asie centrale.

Il y a d'ailleurs plusieurs analogies entre le Royaume-Uni de l'époque et les États-Unis : même taux d'endettement, industrie vieillie, présence militaire contestée répartie tout autour du globe, hégémonie globale basée sur une puissance navale devenue vulnérable...

Les présidents Trump et Biden et leurs conseillers devaient avoir de bonnes raisons pour quitter l'Afghanistan aussi précipitamment. Même si l'image d'une débâcle similaire au départ de Saïgon restera dans les mémoires, en finir avec cette guerre est majoritairement réclamé par les citoyens américains. Prolonger l'occupation ne ferait qu'encore jeter plus de dollars dans ce puits sans fond et les deux derniers présidents américains ont au moins compris cela.

Cela ne veut évidemment pas dire que les États-Unis sont prêts à jeter l'éponge dans les autres conflits, bien au contraire.

Comme du temps de la guerre froide, la stratégie sera de provoquer des guerres par procuration contre la Chine et la Russie sans plus engager directement l'US Army.

Cela ne retardera que l'échéance parce que la machine économique chinoise est lancée et la comparaison démographique de 1 contre 4 est en faveur de la Chine. xi

 

 

i En 2007, le général Wesley Clark alors candidat démocrate à la présidence, a fait cette stupéfiante déclaration. https://www.youtube.com/watch?v=vE4DgsCqP8U Les observateurs avisés le savaient depuis longtemps. Donald Rumsfeld l'avait annoncé en 2001 puis s'était rétracté suite au tollé des alliés occidentaux.

ii PNAC – Project for the New American Century (Projet pour le nouveau Siècle américain - Dissous en 2006) était un cercle de réflexion néoconservateur visant à promouvoir le leadership américain dans le monde. Les plus proches collaborateurs de George W. Bush en faisaient partie.

iii https://www.forbes.com/sites/hanktucker/2021/08/16/the-war-in-afghanistan-cost-america-300-million-per-day-for-20-years-with-big-bills-yet-to-come/?sh=17ac21e77f8d

iv https://les-yeux-du-monde.fr/actualite/actualite-analysee/42674-le-cout-des-guerres-post-11-septembre-pour-les-etats-unis

v L'OCS est une organisation de coopération politique, économique et militaire menée par la Russie et la Chine.

vi Seif al-Islam Kadhafi a dit lors d'un entretien avec le New-York Times qu'il compte présenter sa candidature à la prochaine élection présidentielle.

vii Boko Haram : groupe djihadiste nigérien d'abord proche d'Al-Qaïda et ensuite de l’État islamique. AQMI : groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda opérant au Maghreb. GICM. : organisation islamiste affiliée à Al-Qaïda opérant au Maroc. MIO : Mouvement islamique d'Ouzbékistan qui opère en Asie centrale et qui a prêté allégeance à l’État islamique. PIT : Parti islamiste du Turkestan proche d'Al-Qaïda qui opère en Chine, en Syrie et au Pakistan.

viii La dette souveraine étasunienne est de plus de 28 000 milliards de dollars en août 2021. Rien que le plan de relance de l'administration Biden va augmenter cette dette de 5 000 milliards de dollars supplémentaires s'il est approuvé par la Congrès.

ix Voici un article très intéressant d'un journaliste américain qui a été publié dans le Monde diplomatique. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les raisons de l'intervention soviétique en Afghanistan jusqu'à l'intervention de l'OTAN. https://www.monde-diplomatique.fr/2012/08/PARENTI/48065

x La crise de Nord Strean 2 est un exemple de la pression que peut exercer les États-Unis pour défendre leurs intérêts géopolitiques. Il est à remarquer que l'Allemagne et la Russie ont peut-être criés victoire trop vite. L'hiver risque d'être froid dans les chaumières en UE.

xi États-Unis : 331 000 000 d'habitants et en déclin dans tous les domaines. Chine : 1 400 000 000 d'habitants et économie en plein essor. .


Lire l'article complet, et les commentaires