À propos de la France et de l’Otan

par François VAN DE VILLE
mardi 29 avril 2008

Je crois, à l’occasion du récent sommet de l’Otan, qu’il s’est passé l’un des actes les plus importants de M. Sarkozy depuis que celui-ci est arrivé aux affaires, peut-être même de l’ensemble de son quinquennat. Pourtant cela est passé presque inaperçu dans l’opinion.

On ne peut pas dire, en cette circonstance, qu’il n’y ait pas eu une certaine cohérence chez notre président.

La politique qu’il a suivie avec une certaine constance a comporté en effet plusieurs volets successifs :

a/ la mise en place d’une constitution minimale, le Traité de Lisbonne, où la France a eu un rôle très actif. Même si on peut toujours regretter ce côté minimaliste et sans réelle ambition pour l’Europe elle-même ;

b/ un rapprochement avec l’Angleterre solennisé par le voyage à Londres de M. Sarkozy ;

c/ le rapprochement très marqué avec l’Otan. Je dis bien rapprochement, mais pas réintégration car, en fait, même si le général de Gaulle en avait retiré, en 1969, les forces françaises de son commandement intégré, la France faisait toujours bien partie de l’Otan ;

d/ enfin, on cherche maintenant à créer au sein de l’Otan - et c’est là que les choses prennent une tout autre dimension - une structure reposant désormais sur deux piliers : un pilier américain et un européen.

C’est un schéma tout à fait nouveau qui n’est pas neutre du tout. Et c’est là que se situe l’importance que je soulignais plus haut du changement de stratégie de la politique étrangère française.

Ce choix stratégique a au moins deux conséquences :

1/ quoi qu’on en dise, cela amène d’abord à une distanciation très marquée de nos relations avec l’Allemagne. Or, celles-ci, depuis bien des années, ont toujours constitué le véritable moteur de l’Europe. On rompt clairement non seulement avec une tradition européenne plus ou moins intégrationniste, mais on rompt aussi avec la politique du général de Gaulle, base de toute notre politique étrangère suivie ensuite tant par Pompidou, Giscard, qu’ensuite par Mitterrand ou Chirac ;


2/ nous nous alignons désormais plus ou moins sur la politique américaine, mais sans, cependant, avoir négocié préalablement quoi que ce soit avec les États-Unis pour prix de cet alignement.

Nous voici très éloignés de la ligne gaulliste suivie par la France depuis un demi-siècle, y compris dans ses relations avec ses partenaires européens.

RUPTURE TOTALE AVEC LA POLITIQUE GAULLISTE

Un demi-siècle, me dira-t-on ? Il est vrai que depuis tout ce temps les choses dans le monde ont bien changé. Faut-il que notre politique reste donc figée sur des lignes de force qui, aujourd’hui, se sont largement déplacées ?

À la création de l’Otan, le monde occidental avait pour ennemi principal l’URSS, et ses affidés communistes qui occupaient une grande partie de l’Europe et avaient leurs missiles à nos frontières.

Aujourd’hui, l’URSS a disparu, tout comme le Pacte de Varsovie qu’elle avait créé face à l’Otan. Et la Russie n’est plus la puissance menaçante qu’elle était. Depuis, encore, l’Europe a été libérée du joug soviétique avec la chute du Mur de Berlin et une grande partie de ces peuples enfin libérés ont, depuis, intégré l’Otan, certains, même, l’Union européenne et ont frontières ouvertes avec les nôtres.

L’Otan avait donc été créée à l’origine à la demande des pays libres d’Europe pour se protéger de la menace communiste, s’associant pour cela à la toute-puissance américaine.

L’ENNEMI : LE TERRORISME INTERNATIONAL

Aujourd’hui, l’ennemi n’est plus le même : il est le terrorisme international, entretenu par les intégrismes religieux dont, notamment, le terrorisme intégriste islamique qui est désormais le plus menaçant de tous.

Le général de Gaulle avait quitté en 1969 le commandement intégré de l’Otan parce que, entre-temps, la France s’était équipée de l’armement nucléaire qui, à lui seul, constituait à ses yeux une arme de dissuasion suffisante pour éloigner toute initiative militaire du monde communiste contre nos frontières.

Cette attitude avait donc permis à la France d’adopter une politique d’indépendance vis-à-vis des États-unis sans, cependant, que nous ayons quitté toutes relations avec cet allié surpuissant et ami.

La France a commencé pourtant il y a peu, sous Chirac, de se rapprocher timidement de l’Otan en acceptant de siéger de nouveau au Comité militaire de l’Otan. Et ce pour la raison que j’ai exposée plus haut : la finalité de l’Otan avait bien changé depuis de Gaulle.

M. Sarkozy entreprend donc de continuer cette mutation de notre politique étrangère en proposant aux Européens, lors de sa future présidence de l’Europe au 1er juillet, la création d’une défense européenne, laquelle s’intégrerait dans l’Otan auprès des États-Unis.

La question qu’on peut cependant se poser dès à présent est de savoir si l’Otan est bien, ou non, la bonne structure pour lutter contre le terrorisme. On peut en douter.

Par exemple, notre engagement en Afghanistan, et son renforcement, sont établis sur des bases qui sont battues d’avance. Et, ce qui est plus grave, rien n’a été négocié avec les États-Unis pour tenter de jeter d’autres bases. La France est donc rentrée purement et simplement dans la stratégie américaine et on ignore encore aujourd’hui ce qu’elle sera dans quelques mois après le départ de Bush.

Ensuite, on sait que les Anglais restent toujours rebelles à toute défense européenne. Ils ne sont partisans que d’une défense intégrée avec les États-Unis. Et ils ne changeront pas d’avis tant qu’ils n’auront pas ratifié le Traité de Lisbonne.
Que vaut donc le projet de M. Sarkozy, même s’il a tenté d’amadouer les Anglais lors de son voyage à Londres ?

RÉCONCILIER L’OCCIDENT AVEC LUI-MÊME

Nous voici donc de retour à la vieille politique d’équilibre des puissances. Elle est complètement inadaptée face aux circonstances. Et on voit M. Sarkozy jouer tour à tour la carte des Anglais, celle des Américains, puis celle des Allemands et puis encore celle des Russes. Et M. Fillon de déclarer même, récemment, à la grande fureur des Américains, que la bonne réponse au terrorisme était "l’équilibre des puissances en Europe... avec la Russie".

Il faut aussi reconnaître que nombre de nos pays partenaires européens, notamment ceux issus de l’ex-Pacte de Varsovie, sont davantage atlantistes, donc plus proches des États-unis, qu’ils ne sont proches de l’Europe occidentale. Pour exemple le plus marquant : la Pologne.

Le projet de M. Sarkozy doit donc plus consister à réconcilier les atlantistes avec les Européens et les faire s’intégrer entre eux. Donc nécessairement avec l’appui des Américains, chefs de file des premiers. Il faudra tous convaincre que maintenant l’ennemi c’est bien le terrorisme islamique plus que tout autre chose.

C’est une nouvelle vision du monde qui est en train de naître sous nos yeux.

Il est donc devenu urgent de réconcilier l’Occident avec lui-même.

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