A trop jouer avec le feu, on se brūle

par morice
mercredi 28 novembre 2007

On sait qui il est, maintenant, et quelle est sa méthode. En fait il n’en a pas, prenant tout par le petit bout de la lorgnette. Plusieurs épisodes récents démontrent l’incapacité présidentielle à s’élever au-dessus de la mêlée et à raisonner constamment au ras des pâquerettes.

L’une des scènes les plus typiques de cet état de fait, ce n’est pas l’esclandre quimpéroise avec le pêcheur breton. L’homme sera rendu coupable d’injure à chef d’Etat, pour sûr... mais le chef d’Etat ne sera pas rendu responsable, lui, d’avoir ce jour-là abandonné le rang qui est le sien pour s’abaisser à tenir une violente diatribe de comptoir bistrot qui tourne mal. Des rédacteurs d’Agoravox attentifs ont clairement expliqué ici ce qu’il en était. Non, la scène significative s’est passée quand des militants d’une ONG, avec Jane Birkin comme invitée, ont demandé à être reçus à propos de la Birmanie. Notre homme, qui ne fonctionne qu’au pathos, s’est senti obligé ce jour-là de promettre d’évacuer le pétrolier Total de la région. Rien n’y prédisposait, même si de lourdes accusations existent sur des liens étroits entre la junte, son armée et le groupe pétrolier. Au point d’ailleurs qu’un ministre actuel, chanteur à ses heures perdues, avait été pressenti pour rédiger un rapport complaisant prouvant le contraire. Ce jour-là, notre président-enfant, qui fonctionne à l’affectif avant tout, se sent obligé de se sentir en pleine communauté d’esprit avec des gens qui accusent le groupe pétrolier d’être partie prenante dans la région. Surprise des intervenants, qui n’en demandaient pas tant. Heureusement pour notre président gaffeur, un de ses conseillers et sherpa personnel, Jean-David Levitte, à sa gauche... le reprend immédiatement à la volée en lui signifiant qu’il ne faudrait pas s’aventurer sur ce chemin. La connaissance du dossier de la part du président est donc voisine de zéro, et sa décision hâtive est "totalement" irraisonnée (c’est le mot)... Encore une fois, son action consiste et se résume à obtenir une photo au sortir de la réunion où il prendrait Jane Birkin dans ses bras (une Jane Birkin qui n’en sait pas plus que lui sur le dossier birman, d’ailleurs !), une attitude qui chez lui devient symptomatique. La dernière en date étant la fille d’Albert Camus, qui doit se retourner dans sa tombe à voir à quel niveau est descendue la fonction présidentielle. Camus avait dit un jour vouloir "élever ce pays en élevant son langage”. On est visiblement redescendu tout en bas de l’échelle depuis ces six derniers mois.

Des sorties orales à l’emporte-pièce, notre président en est coutumier. Il dit souvent en aparté ce qu’il pense tout bas... et sa pensée profonde est loin d’être géniale ou clairvoyante. Nous savons qu’il a lâché en tête à tête à un père dont le fils avait été agressé sexuellement qu’il était partisan de la peine de mort, dans ce cas. Evidemment, les services de l’Elysée ont démenti aussitôt, gênés aux entournures par l’incroyable sortie élyséenne. Le problème de notre président, c’est qu’on se retrouve souvent avec une affirmation donnée parole contre parole. Et que c’est le dernier qui quitte son bureau qui a raison. Sa pensée ne suit aucune ligne directrice, tout consiste à satisfaire l’interlocuteur, quitte à faire fi de l’opinion d’un quart d’heure avant. Nicolas Sarkozy agit en VRP de la République, voulant à chaque fois "emporter le marché" du propos et de la pensée devant son interlocuteur, quitte à tomber bien bas devant ce dernier. Cela donne une politique de navigation à vue, qui ne s’extrait d’aucun problème, mais les gère sur l’instant, sans plus. Nicolas Sarkozy est l’homme de l’immédiateté constante. Et pas celui de la réflexion à long terme.

Parfois, sa pensée le dépasse, et on à droit de grandes scènes qui laissent ses interlocuteurs perplexes. La dernière en date est en fait une réunion en deux temps où notre président se lâche et affirme le fond d’une pensée... lepeniste. Rencontrant l’ambassadeur d’Irlande, le 21 septembre, et l’ambassadeur suédois, le 3 octobre, il leur assène à tous deux ce verdict : il y a, selon lui, "un trop grand nombre de musulmans présents en Europe" qui "ont du mal à s’intégrer". La phrase n’est pas la première du genre chez lui. Mais il lui est arrivé aussi de dire exactement le contraire, toujours selon le principe de l’interlocuteur différent en face de lui. Dans une interview "volée" de sa campagne électorale ("Si tous les autres ne s’étaient pas vautrés...", quelle classe !), il vantait en effet les mérites de la famille maghrébine en regard de la famille africaine, accusée de moins bien s’intégrer que la première... en citant comme exemple "celle qu’il aime" (dixit lors de la même interview), à savoir... Rachida Dati. Notre président est donc... totalement incohérent. Un jour blanc, un autre noir, tout dépend de ce qu’il y a en face. Ou du dernier à quitter son bureau.

Le premier homme d’Etat à s’en rendre compte, ce n’est pas un chef d’Etat européen. C’est un chef d’Etat encore plus controversé que le nôtre. Mahmoud Ahmadinejad, président iranien, on le sait, se traîne de jolies casseroles sémantiques, la pire étant ses affirmations récurrentes et péremptoires sur la négation de l’holocauste. Il n’empêche, l’homme fait tourner en bourrique les Etats-Unis, qui ne comprennent pas bien sa stratégie consistant à pousser toujours plus haut le bouchon, et à jouer avec la promesse d’un holocauste nucléaire au Proche et Moyen-Orient en cas d’intervention. Une intervention qu’Ahmadinejad, provocateur-né, appelle de ses voeux. Il est assez navrant de constater que c’est l’homme d’Etat le plus provocateur qui tance l’un de ses collègues chefs d’Etat, après s’en être pris à son ministre, un chef d’Etat jugé ici-même assez régulièrement provocant... "Les occupants de l’Elysée sont devenus les exécutants de la volonté de la Maison-Blanche et ont adopté un ton encore plus dur, encore plus incendiaire et plus illogique que celui de Washington", affirme l’Iran.

Notre homme a adressé la semaine dernière une lettre à Nicolas Sarkozy cette fois, qui risque fort d’embarrasser tout le pays, en ravivant les craintes d’attentats terroristes, de jeunes cerveaux embrigadés pouvant y voir une excuse pour recourir à ces méthodes. A force d’avoir affirmé n’importe quoi, n’importe où, on se retrouve au ban de plusieurs nations, de fait, au bout d’à peine 6 mois d’exercice du pouvoir. Ahmadinejad met cela sur le fait que le président français est "inexpérimenté", selon lui. C’est un euphémisme diplomatique pour dire que Nicolas Sarkozy ferait mieux de se taire, parfois (d’aucuns disent souvent). Fidel Castro, lui, est plus direct avec d’autres chefs d’Etat. Pour résumer, le président iranien ne supporte pas l’inféodation déclarée du président français aux thèses américaines. L’alignement sinon l’allégeance au système bushien de direction du monde ne nous met pas à dos que l’Iran et les pays du Maghreb... mais aussi l’ensemble de la communauté musulmane, réfractaire à l’idée d’être assimilée à un extrémisme, mais encore, indirectement la Chine, via sa tête de pont en Afrique, le Soudan. Dans l’affaire des enfants tchadiens, où l’on découvre chaque jour une forme d’implication officielle de l’Etat français que les services de communication élyséens s’efforcent de minimiser, le Soudan vient d’entrer à son tour en lice, en accusant Paris d’en avoir trop fait et trop dit. La phrase de trop est connue, c’est celle d’un président macarthurien qui déclare "je reviendrais chercher les autres". La posture est certes belle et hollywoodienne, mais les conséquences aujourd’hui fort embarrassantes pour le pays. La diplomatie spectacle nous entraîne vers une opprobe qui peut nous coûter cher, en termes de sécurité intérieure comme de politique internationale. Le déploiement de l’Eurofor dans la région est compromise, ou va s’en retrouver retardée. Mais il y pire encore pour le pays, à l’intérieur même de la France.

L’allégeance déclarée par Nicolas Sarkozy à la pensée de Georges Bush, et réitérée avec moult emphase devant le congrès américain risque en effet de nous coûter cher. On sait aujourd’hui que la politique extérieure de W. Bush, initiée par son quarteron de politiciens néo-cons, dont Karl Rove et Richard (Dick) Cheney consistait à vouloir prendre la direction des ressources pétrolières au Moyen-Orient, afin d’assurer la subistance des Etats-Unis dans les années à venir, ou d’en contrôler le marché (les Etats-Unis ayant de la réserve) les Américains s’étant détournés de la filière nucléaire dès les incidents de Three Mile Island. Bush, en bon pétrolier texan qu’il fût, avait nommé une autre pétrolière, Condolezza Rice, comme principale pièce à avancer sur son échiquier diplomatique au Moyen-Orient. La voix diplomatique sciemment obstruée, tout a été fait pour en arriver au plus vite à la guerre avec l’Irak. Parmi les âmes damnées derrière W. Bush, l’un d’entre eux (Paul Wolfowitz) est l’auteur d’un texte appelant à un nouveau Pearl Harbor pour secouer la léthargie de l’opinion américaine. Fortuitement advenue (à vous de vous faire une idée sur comment cela a pu se produire), l’attaque du WTC et du Pentagone a donné le feu vert attendu pour une invasion qui a mis à dos des Etats-Unis l’entièreté du monde arabe musulman, l’opprobe étant jeté sur l’un d’entre eux (même si ce dernier revendique son extrémisme). Avec pour thème principal la définition donnée d’un "axe du mal", définition assez floue qui permet d’y inclure ce qu’on souhaite, aujourd’hui l’Iran, hier la Corée, redevenue plus présentable. Cet "axe du mal" serait le fruit d’un "choc des civilisations", idée chère également à W. Bush, provenant de Samuel Huntington, qui l’a formulée en 1993, et qui s’en sert comme base de l’existence de la lutte contre le terrorisme. En résumé, la resurgence d’idées religieuses radicales est une menace contre la démocratie... la plus en vue, à savoir l’Amérique, ou présentée comme telle. La vision, on le sait est simpliste... Le hic, c’est qu’elle revient aujourd’hui telle quelle dans la bouche de Nicolas Sarkozy. Une idée déjà évoquée au "discours des ambassadeurs"... où notre président, alors juste revenu de sa première entrevue avec W. Bush, évoquait pour la toute première fois le mot "guerre" en ce qui concerne... l’Iran. Les sanctions à l’ONU étant, je cite, la seule démarche "qui puisse nous permettre d’échapper à une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran". Relayé deux jours après par son ministre des Affaires étrangères, dans un propos confus et surprenant. "Nous aurions tort de sous-estimer la possibilité d’une confrontation, entre l’Islam et l’Occident", précisait également le discours présidentiel : c’est mot pour mot les paroles de W. Bush aux Etats-Unis. Notre président est donc devenu... la voix de son maître. Laurent Fabius avait peut-être bien raison, le jour de la saillie du "caniche". Caniche peut-être pas, mais bien assis à côté du gramophone américain. La similitude de propos s’accentue encore le 25 septembre dernier, à l’ONU, ou Nicolas Sarkozy évoque le "nouvel ordre mondial", ce fameux New World Order qui est sorti pour la première fois non pas de la bouche des néo-cons qui entourent W. Bush, mais de celle de Gorbatchev en 1990 (pendant la guerre de Corée, le nom est apparu, mais il n’a pas "pris" dans la presse). L’idée de Gorbatchev s’est vite transformée dans leur bouche. Un nouvel ordre du monde, certes, mais avec un seul pays leader : les Etats-Unis. On peut plutôt parler de "New new world order", aujourd’hui. Un ordre mondial... américain.

La proximité des deux aveux sur l’imminence de la guerre contre l’Iran, juste après une rencontre avec celui qui tire depuis plusieurs mois la sonnette d’alarme irakienne, fait penser que les deux hommes ont eu vent des projets et des préparatifs de l’équipe Bush, et n’ont pas su tenir leur langue. Ils savent déjà tous deux que guerre il y aura, et qu’elle n’est désormais plus évitable.

Suivre aujourd’hui en France la même voie paraît suicidaire, tant les tensions accumulées sont vives. Les récents sifflets lors du match France-Maroc ne sont pas anodins : ils traduisent un profond malaise de jeunes Maghébins offusqués par l’attitude actuelle méprisante du chef de l’Etat, qui rejaillit sur le pays et ses représentants. Le discours de Dakar écrit par Guaino, tout emprunt de condescendance, digne de Tintin au Congo et d’un colonialisme rétrograde, l’affaire des enfants tchadiens traité à la hussarde par Nicolas Sarkozy, les lois Hortefeux à l’ouvrage, tout cela exaspère un population touchée indirectement le plus souvent par l’un des trois exemples cités. Le gouvernement, en ce sens, rajoute de l’huile sur le feu en banlieue, ou rien n’a changé ou presque depuis 2005 (et l’instauration du couvre-feu !). Cet article a été rédigé avant les événements de Villiers-le-Bel, dommage qu’il ne soit pas paru plus tôt. On trouve en banlieue une circulation d’armes inquiétante que dénonçait il y a quelques jours un très bon article du Monde. Des armes de gros calibres sont vendues, jusqu’au RPG7, un bazooka, qui s’échange 350 euros. Ce matin, on apprend qu’on a tiré avec des armes de "gros calibre" sur les forces de l’ordre. Le titre de l’article en question résume l’ampleur des dégâts : artillerie lourde en banlieue. Ce n’est peut-être pas le moment d’avoir un discours présidentiel... guerrier.


De l’autre côté de l’Atlantique, l’objectif de paix irakienne bien mal embranché, W. Bush est obligé aujourd’hui de s’en prendre à son voisin, faute de ne pas retrouver dans son propre électorat le vieux fond de faucon qui sommeille en tout Américain, persuadé d’apporter la civilisation à celui dont il foule le territoire à coups de chenilles, de M-16 et de boîtes de Coca-Cola. Cette vision ne coûte pas trop cher sur le sol américain, difficile à atteindre pour des hommes désireux d’y mener des actions terroristes sur place. Le renforcement de la sécurite intérieure américaine y contribue, avec les lois du Homeland Security déjà décrites ici. En revanche, en Europe, où résident déjà beaucoup de jeunes musulmans facilement contaminables par les vues terroristes, le danger est énorme. L’Amérique a les moyens d’éviter les attentats sur son territoire, en France, c’est un luxe dont nous ne disposons pas, malgré le renforcement de la sécurité intérieure, calquée maladroitement et avec nettement moins de moyens sur le modèle américain.

De tout cela, il ressort que nous disposons d’un président qui n’est tout simplement pas à la hauteur... de sa fonction présidentielle, que doit être faite de retenue et tout en diplomatie face à un monde où les rapports de force des uns et des autres ne sont plus les mêmes depuis l’invasion provoquée de l’Irak. Les frasques de ces derniers mois entament fortement le crédit du pays à l’étranger, et placent la France dans une situation intérieure délicate, sinon en grand danger de terrorisme incontrôlable sur son propre territoire. Si on y ajoute la propension présidentielle à ne pas vouloir perdre la face devant des grévistes tendance dure, nous vivons en ce moment même l’affirmation de ce que l’on pouvait prévoir lors de l’élection présidentielle, à savoir un homme qui n’est pas à la place où une majorité pourtant l’a porté, en ayant écouté uniquement que ce qui leur plaisait individuellement dans le personnage. On ne dirige pas un pays de cette façon, on ne se comporte pas de cette manière quand on a choisi d’exercer la fonction suprême. Attiser les confrontations n’est pas œuvre sereine en politique étrangère. Elle ne l’est pas plus à l’intérieur du pays. L’Histoire jugera du discrédit mondial vers lequel on s’achemine, à grand bruit de bottes.

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