A vendre : technologie nucléaire militaire, en kit ou clé en main

par John Lloyds
mercredi 12 novembre 2008

Vous imaginiez le domaine nucléaire militaire comme le blockhaus le plus sécurisé au monde ? C’est en fait une passoire aussi monnayable que l’entrée dans les administrations bananières. De véritables supermarchés connus, localisés, auxquels il ne manque que l’enseigne lumineuse trahissant les chalands qui s’y bousculent. Rapide survol de cette industrie - et de ses petites dérives entre amis -, la plus convoitée au monde, qui s’est jouée du contrôle des plus hautes institutions.
 
Le 3 septembre 2006, le New York Times fait cette étonnante révélation : les plans d’une bombe atomique auraient été mis en ligne sur le web. Une douzaine de documents, « des graphes, des diagrammes, des équations ». Cette publication, constituée « d’archives saisies en Irak », autorisée par l’administration Bush, avait pour but de prouver que l’Irak détenait la technologie nucléaire. Le portail « Operation Iraqi Freedom Document Portal » qui contenait ces informations a rapidement été fermé.
 
Plus insolite encore, ce composant d’arme thermonucléaire trouvé sur un site d’annonce canadien en 2007, comme l’indique ce communiqué de presse. Il est hautement probable que des composants courants, disponibles sur le net, puissent servir à la fabrication de bombes nucléaires. C’est ce qu’ont voulu expliquer Peter D. Zimmerman et Jeffrey G. Lewis dans leur analyse « the bomb in the backyard » où ils expliquent que des composants d’artillerie courants, disponibles sur le net, restent faciles d’accès, outre l’acquisition d’uranium enrichi, disponible par exemple en Russie pour un acquéreur fortuné, à raison d’un million de dollars les 100 grammes.
 
L’analyse de David Humair contredit celle de Zimmerman, dans le sens où il estime que les anciens programmes nucléaires coûtaient plusieurs milliards de dollars, alors que selon Zimmerman une cellule terroriste (qui réglerait facilement le problème d’ingénierie, vu le petit salaire de 40k d’un ingénieur d’Areva) pourrait se procurer les éléments pour 5 millions de dollars, soit un rapport de 4 000. Mais peut-on comparer le prix d’un programme avec le prix des pièces, en tant que produits finis, peut-être même le prix de pièces d’un vieux matériel désactivé ? La question reste ouverte, et le débat toujours d’actualité.
 
 
C’est dans l’alternance des vestiges et des reconstructions de l’armée russe qu’il faut aller chercher une des grandes sources d’approvisionnement du supermarché nucléaire. Une liste exhaustive ne saurait être établie sérieusement, en vertu de l’opacité de ces dossiers ultra-sensibles, toutefois cette simple déclaration donne des frissons dans le dos : « Le Gal Alexandre Lebed a affirmé en septembre 1997 que l’armée russe avait perdu la trace de plus d’une centaine de bombes nucléaires (1 kt chacune, taille similaire à une valise), dont la mise à feu peut être opérée en moins d’une demi-heure par une seule personne ». Selon Simonenko, chef du parti communiste ukrainien, ce sont 200 têtes nucléaires russes qui auraient disparu.
 
Depuis 2000, une cinquantaine de sociétés allemandes auraient été à l’origine d’un trafic de matériel nucléaire, lié à de la « technologie achetée en Allemagne et d’autres pays européens » à destination de l’Iran, en transitant par la Pologne et la Russie. Ce commerce porterait sur une somme estimée à 150 millions d’euros.
 
Selon un article du Monde de 2002, ce sont des commerçants de la République du Congo qui tentent d’écouler de l’uranium, dissimulé dans la brousse, jusqu’au Kenya. Une petite quantité, estimée à 20 kg, mais à 25 000 dollars le gramme, une fortune de pacha dans cette région désœuvrée.
 
En 2004, l’AIEA dresse cet état très amer des « incidents » relatifs aux inventaires d’armement nucléaire : « environ 650 depuis 1993 (vols, possession illégale, trafic, recel de matériaux) dont 60 % concernaient des matériaux radioactifs, 30 % des matériaux nucléaires ». En mars 2007, c’est le commissaire à l’énergie atomique lui-même, Fortunat Lumu, c’est-à-dire le garant de l’intégrité de la plus haute instance internationale dédiée au nucléaire, qui est arrêté à Kinshasa pour trafic d’uranium. Une petite affaire qui concerne une centaine de barres d’uranium à destination de Téhéran. Par une ironie du sort, « le même jour, aux Etats-Unis, l’ancien directeur de cabinet de Cheney, I. Lewis "Scooter" Libby a été condamné par un grand jury fédéral pour des charges multiples de parjure et l’obstruction de la justice en liaison avec l’opération « Yellow cake » du Niger. Selon les médias américains, l’ancien conseiller de Bush Karl Rove et l’ancien secrétaire d’État adjoint Richard Armitage ont été également impliqués ».
 
Mais les petites affaires américaines ne se limitent pas au gâteau jaune. En septembre 2006, le chef du centre anti-terrorisme de la CEI accuse les Etats-Unis d’avoir perdu des ogives nucléaires « dans la zone littorale de l’Espagne ». Pire encore, fin août 2007, ce seraient 6 ogives nucléaires qui auraient disparu aux Etats-Unis, lors d’un vol de routine. Cette affaire gravissime, dans laquelle serait impliqué le haut commandement, et pour laquelle 70 personnes ont été punis pour « perte d’armement nucléaire », se serait soldée par une série d’assassinats mystérieux, 6 membres impliqués dans le transport des missiles, tous décédés dans la semaine suivante.
 
Début 2008 : le Canada, qui n’est pourtant pas une République bananière, annonce la réforme de la gestion de son inventaire nucléaire. Motif indiqué par la CCSN (Commission canadienne de sécurité nucléaire) ; du matériel radioactif disparu, pouvant être utilisé dans une bombe sale. Cette affaire n’est pas sans rappeler les 1 300 cas de matières radioactives « perdues, volées ou abandonnées » aux Etats-Unis, recensées par le GAO en 2003.
 
En 2008, c’est la bagatelle d’un millier de composants pour missiles nucléaires qui se seraient volatilisés de l’inventaire de l’US Army. C’est Robert Gates en personne qui brandissait l’imminence de sanctions contre des généraux ayant procédé à des livraisons non autorisées à Taiwan.
 
Ces quelques exemples se chiffrent dans la réalité par centaines (voir les archives de ce site), et probablement beaucoup plus si l’on parle en grammes de matière radioactive, utilisables en activisme terroriste par le biais d’empoisonnement. On se souviendra à ce sujet de l’empoisonnement au polonium 210 (mortel à un centième de milligramme, et en vente libre sur internet) d’Alexandre Litvinenko.
 
Petits arrangements entre amis. Le 4 février 2003, le président pakistanais, Moucharraf, absout le père du nucléaire national, l’homme d’affaire Abdul Qadeer Khan. Celui-ci vient de confesser un regrettable péché ; il admet avoir arrangé le transfert de technologie nucléaire – sans en avoir informé son président, faut-il le préciser – vers des pays étrangers. « Vers l’Iran, la Corée du Nord et la Libye », ajoutera F. Chipaux, du Monde.
 
C’est un vaste réseau de sociétés écrans, parmi lesquelles la Scomi et le groupe SMB à Dubaï, impliquant un homme d’affaire britannique, Peter Griffin, un Sri-Lankais, B.S.A. Tahir, un ingénieur suisse, UrsTinner, pour ne citer que quelques noms d’une vaste nébuleuse, qui va servir à camoufler ce transfert sous le couvert de vente d’ingénierie.
 
Les aveux d’Abdul Qadeer Khan n’empêchent nullement le trafic de se poursuivre, fort d’une organisation bien rodée, et qui semble s’accommoder de son absence. En octobre 2003, c’est un bateau arrêté en Italie, contenant des centrifugeuses fabriquées en Malaisie, à destination de la Libye, qui témoigne de la vivacité de l’activité. De la technologie « volée » aux Pays-Bas, sans qu’on sache s’il s’agit d’un vol « facilité » (voir la carte du trafic sous PowerPoint).
 
Dans un dossier du Point, paru début 2007, et intitulé « Pakistan : le souk nucléaire », il est fait mention d’une proche collaboration talibane, en la personne de l’ingénieur Sultan Bashiruddin Mahmood. Au moins un sympathisant des talibans a donc côtoyé de près Abdul Qader Khan. Toutefois, dans un film passé sur la télévision suisse, intitulé Djihad nucléaire, ce sont huit pays occidentaux qui seraient impliqués dans la fourniture de matériel secret au Pakistan, ce qui semblerait corroborer le « vol aux Pays-Bas ».
 
L’éventualité d’un tel Djihad est-elle crédible ? Selon l’expert russe Alexandre Koldobski, "Il n’est pas exclu que la conception relativement simple d’une charge nucléaire de l’arsenal pakistanais (basée sur l’uranium hautement enrichi) puisse ouvrir, en cas de pillage par les terroristes, des possibilités réelles d’utilisation secondaire de l’uranium dans un engin explosif nucléaire artisanal".
Il est toutefois curieux que le Pakistan, grand allié des Etats-Unis, laisse faire de tels agissements avec l’aval de son protecteur. La réponse pourrait être dans l’affaire des très radioactifs dossiers suisses, détruits par le gouvernement : « Islamabad vendrait des composants servant à la fabrication d’une arme nucléaire à des États voyous avec la bénédiction (sinon avec la protection) de la Maison-Blanche ! »
 
 
C’est Bush lui-même qui a alimenté cette rumeur, en signifiant, le 6 novembre, sa crainte d’un attentat terroriste dans la période de transition des deux présidents. Le lien avec l’affaire des ogives volées a été immédiatement franchi par la couche légère des conspirationistes qui y ont vu l’imminence d’un attentat nucléaire, version second 11-Septembre. Cette hypothèse, dans le sens du lien avec l’affaire du 30 août 2007, semble pourtant invraisemblable, les Etats-Unis étant capables de se procurer de l’armement nucléaire dans n’importe quelle partie de l’immense passoire internationale.
 
L’hypothèse d’un attentat n’est cependant pas à écarter, loin s’en faut : les Etats-Unis sont toujours désireux de régler le compte iranien, et d’autant avec le futur n° 2 de la Maison-Blanche, ledit Rahmbo, ultra-israélien. Mais ils sont bloqués par l’actif soutien de la Chine et de la Russie aux mollahs. Le djihad nucléaire, traduit par un attentat islamiste nucléaire, avec du matériel qui peut venir de n’importe quel endroit du bazar planétaire, serait en effet un prétexte en or pour enfoncer le portail iranien et en découdre avec l’axe du mal.
 
Les Etats-Unis semblent, curieusement et subitement, se réintéresser aux disparitions du vieil armement nucléaire russe, alors qu’ils n’en ont eu cure pendant près de vingt ans. Robert Gates s’est vivement préoccupé, depuis quelques semaines, de l’arsenal russe des années 90. Que cache cet intérêt soudain, qui consiste à rechercher des vieux poux dans la tête de cet ancien frère ennemi ?
 
Puisse cette hypothèse être spécieuse, faute de quoi nous nous dirigerions vers une guerre apocalyptique, d’autant que les Russes ont déjà remis en cause la version officielle du 11-Septembre, depuis 2007 et plus encore récemment. Dans ce contexte, il sera difficile de les convaincre de l’authenticité d’un attentat islamiste, à moins de prendre le raccourci d’accuser directement Moscou de laxisme envers son ancien arsenal nucléaire, comme Gates semble en prendre le chemin actuellement.

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