Achille Talon, roi du Bénin

par olivier cabanel
mardi 29 mars 2016

Le monde politique du continent africain nous réserve souvent de drôles de surprises, si l’on veut bien se souvenir du sacre de Bokassa, et de quelques autres dérapages bien peu démocratiques.

Le Bénin vient d’y ajouter un chapitre en élisant un africain milliardaire au passé plutôt glauque, Patrice Talon, roi du coton, dont l’élection risque de faire quelques vagues.

Avec 400 millions de dollars, estimation de Forbes de la fortune de Talon, ce dernier est le 15ème africain francophone le plus riche au sud du Sahara.

L’origine de sa fortune est encore mal connue, mais cet homme qui fut longtemps l’un des principaux soutiens du président Boni Yayi, est un spécialiste des questions bancaires.

Il a fait carrière dans les organisations régionales de l’Afrique de l’Ouest, et dirigea la BOAD (banque ouest-africaine de développement).

Mais c’est sur le passé de Patrice Talon qu’il faut surtout se pencher…

D’après Robin Law, un historien américain, le nom de Talon apparait pour la première fois en 1797, lorsque l’ancêtre de l’élu béninois, Pierre Talon s’enrichissait grâce au commerce d’esclaves dans le port de Ouidah…puis cette famille de commerçants s’orientera vers l’huile de palme. lien

Les liens qui unissaient Yayi et Talon sont plutôt troubles, vu que ce dernier à longtemps été le mécène généreux de Thomas Boni Yayi, sauf que depuis quelques temps, Talon accumulait les casseroles : corruption, détournement d’argent…

En effet de forts soupçons de détournement de fonds pèsent sur Patrice Talon, celui-ci multipliant les succès commerciaux, remportant de nombreux appels d’offre, comme celui lui permettant de gérer les taxes douanières du port de Cotonou, ce qui n’est pas anodin, puisque les recettes annuelles de cette structure s’évaluent à 1,5 milliard d’euros, soit l’équivalent du budget du Bénin.

Auparavant il avait remporté un autre appel d’offre concernant la privatisation de la division coton, alors que le secteur cotonnier béninois représente 45% des rentrées fiscales de l’état et 60% des recettes d’exportation.

Finalement, par ses entreprises, Patrice Talon contrôlait déjà le pays, sans même avoir obtenu le poste suprême, celui de chef de l’état.

L’ex président provoqua des audits, soupçonnant des détournements de fond, et ces audits mirent en évidence un détournement depuis 2008 de plus de 9 milliards d’euros. lien

Pour compléter le tableau, il apparu que plus de 20 millions de subventions accordées par l’état avait tout simplement disparu…

Mais l’affaire la plus sordide concernant le nouvel élu remonte à 2012.

Boni Yayi et Patrice Talon séjournaient dans le même hôtel, le château du lac à Bruxelles, et d’après les enquêteurs, Talon aurait tenté d’empoisonner Yayi.

Il aurait soudoyé Zouberath Kora, nièce et gouvernante du chef de l’état lui demandant de remplacer, moyennant 1,5 million d’euros, les médicaments que prenait Yayi par des substances toxiques préparées avec la complicité du médecin personnel du président.

Fort heureusement, un garde du corps de celui-ci ayant eu vent du complot, le déjoua, et gouvernante et médecin se retrouvèrent en prison, à Cotonou, avouant finalement le nom du commanditaire qui n’était autre que Patrice Talon.

Les enquêteurs avaient découvert 27 textos incriminant le nouveau président béninois dont le contenu ne fait aucun doute sur l’implication de ce dernier : « ton grand frère et toi avez pris toutes les disposition pour ce soir ? »… le quotidien « Libération » publia plus tard un autre message dans lequel il était question de la remise de 500 millions de francs CFA, lesquels pourraient représenter la moitié de la somme promise à la nièce de Boni Yayi. lien

Le FBI confirmera la présence d’un cocktail d’hallucinogènes et d’analgésiques capables de plonger Yayi dans un état d’asphyxie qui aurait pu provoquer sa mort.

Pourtant, interrogé par RFI (radio France international), Patrice Talon évoque un « canular » : « c’est un canular qui n’est pas le premier et qui n’est peut-être pas le dernier. Vous savez, le ridicule ne tue pas au Bénin. je suis l’ennemi n°1 et au lieu de construire les choses les plus grotesques pour mettre un Monsieur Talon sous cloche, Dieu fasse que le président retrouve ses esprits et qu’il sache qu’après le pouvoir la vie continue, et qu’il retrouve le calme ». lien

À cette affaire de suspicion de tentative d’empoisonnement, s’ajoutera une tentative de coup d’état, Patrice Talon se trouvera accusé, sauf que le 27 mai 2013, Angélo Houssou, juge au tribunal de première instance de Cotonou, rendra un non-lieu…suivra une interjection des avocats de Boni Yayi, qui confirmera la décision du juge, mais le pourvoi en cassation qui suivra sera suspensif, le procureur général, Gilles Sodonon s’en remettant à la décision de la cour suprême. lien

Talon, par la suite, s’enfuira au Nigéria, puis en France, et alors qu’un autre juge reprenant le dossier lançait une demande d’extradition contre Talon, la justice française ne validera pas cette demande pour des raisons encore inconnues…

Plus tard Boni Yayi lui accordera son pardon, et signera un décret l’autorisant à rentrer au pays, et à se présenter à la présidentielle.  lien

Aujourd’hui, Talon est enfin parvenu au pouvoir, avec plus de 62% des voix, devant l’ex premier ministre de Yayi, Lionel Zinzou.

Mais l’affaire n’est peut-être pas terminée car s’il faut en croire « Jeune Afrique », la République du Bénin a décidé de se porter partie civile dans le cadre d’une procédure pour tentative d’assassinat et association de malfaiteurs contre Patrice Talon et ce sont 2 juges d’instruction qui sont chargés d’instruire la plainte : Sabine Khereis et Gilles Pacaud. lien

Devant cet imbroglio, bien malin serait celui qui en proposerait l’issue, car comment une république pourrait-elle faire aboutir une plainte contre celui là même qui vient d’hériter de sa présidence ?

L’occasion de rappeler l’existence de la CPI (Cour Pénale Internationale) dont les mauvaises langues affirment que seul le continent africain serait visé…

En réalité, s’il est vrai que la grande majorité des inquiétés par cette Cour sont en Afrique, d’autres poursuites ont été engagées, et ont parfois abouti, bien au-delà du continent africain, même si l’efficacité de cette Cour est plus que limitée, d’autant qu’elle n’a pas de réels moyens d’enquêter, et qu’avant d’intervenir, elle doit obtenir l’accord du pays concerné par les différentes enquêtes. lien

D’ailleurs, la CPI avait emprisonné Slobodan Milosevic pour génocide et crime contre l’humanité, même si ce dernier est décédé depuis. lien

Elle ne peut par exemple pas agir vis-à-vis des états qui n’ont pas signé le traité de Rome, ce qui englobe le Proche-Orient, sauf la Jordanie, mais aussi la Russie (qui a signé, mais pas ratifié), la Chine, l’Inde lien

Des situations ubuesques sont ainsi crées : le président soudanais Omar el-Béchir s’est ainsi retrouvé être, depuis 2009, le premier chef d’état en exercice poursuivi pour crime contre l’humanité et génocide au Darfour, ce qui ne l’empêche pas de parader aux sommets de l’Union africaine. lien

Il faut tout de même mettre au crédit de la CPI plusieurs condamnations qui ont abouti, comme par exemple celle de Thomas Lubanga, 14 ans de prison reconnu coupable de crime de guerre pour avoir utilisé au combat des enfants de moins de 15 ans dans ses troupes. lien

Le 21 mars 2016, l’ancien président congolais Jean-Pierre Bemba a quant à lui été reconnu coupable de meurtres, de viols et de pillage en 2002/2003. lien

Auparavant, l’ancien chef de guerre congolais Germain Katanga avait été condamné par la CPI pour son rôle lors du conflit Ituri qui avait fait 200 morts en 2003. lien

En tout cas, une bizarre histoire de la politique au Bénin est en train d’être tournée.

Comme dit mon vieil ami africain : « chaque marigot a son crocodile »

L’image illustrant l’article vient de « actubenin.com »

Merci aux internautes de leur aide précieuse.

Olivier Cabanel

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