Afghanistan : bilan & perspectives

par Le Bulletin d’Amérique
jeudi 21 juillet 2011

Florent de Saint Victor, spécialiste des questions de Défense, revient sur la situation en Afghanistan, alors que le Général Petraeus vient de quitter le commandement de l'ISAF.

Le Bulletin d’Amérique – Le Général David Petraeus vient juste de passer le commandement de l’ISAF au général John Allen. Comment jugez vous aujourd’hui son action ?

Florent de Saint Victor* — Sous l’angle symbolique, ce départ peut être analysé comme la fermeture définitive d’une fenêtre d’opportunité, que l’on pensait à notre portée, et donc le triomphe d’un certain fatalisme. En effet, lorsqu’il arrive fin juin 2010 en Afghanistan, il est encore auréolé de son succès en Irak. Avec l’appui de son adjoint, le général Odierno, il a acquis en 2008 une marge de manœuvre fragile dans ce pays. La diminution de la violence aurait dû permettre de traiter les problèmes politiques de fond. Or, il n’en a rien été, comme le prouve la situation actuelle (où le gouvernement irakien en est à demander aux Américains de rester).

« Le départ [de Petraeus] peut être analysé comme la fermeture définitive d’une fenêtre d’opportunité »

On espérait donc que « P4″ (Petraeus et ses 4 étoiles de général) arriverait avec quelques tours dans son sac, tout en bénéficiant du travail de ses prédécesseurs, pour rééditer cet exploit. Se sont donc des recettes « à l’irakienne » qui sont appliquées avec un recours croissant et généralisé aux milices locales (sous différentes appellations), et l’emploi des forces spéciales pour capturer le « middle management » des insurgés. Le départ de son prédécesseur, le général McChrystal, spécialiste ES de ces opérations, ne ralentissait en rien leur emploi.

L’année de Petraeus est donc un mandat de transition en deux temps. Si au début, son arrivée redonne confiance, assez rapidement la conviction qu’il n’est plus possible de tenter quoique ce soit devient générale. Il fallait donc mettre toutes les ressources, en particulier celles en planification et en formation des forces afghanes, sur la préparation d’un départ, qui ne doit pas s’apparenter à une débâcle.

Quelles seraient les conséquences de court terme, pour l’Afghanistan, d’un retrait des Etats-Unis en 2014 ? Et de moyen terme ?

De ce départ, Petraeus n’en a vu à la tête de l’ISAF que les prémices avec les premiers districts (Bamyan et Laghman) confiés il y a peu aux forces afghanes. À la tête de la CIA, c’est une transition d’un autre genre qu’il aura à mener. Celle où les forces spéciales, dont certaines opéreront sous son commandement, devront jouer un rôle après 2014. En effet, aux effets d’annonce de retrait de troupes conventionnelles s’ajoutent ceux plus discrets (et moins nombreux) du renforcement des forces spéciales.

« aux effets d’annonce de retrait de troupes conventionnelles s’ajoutent ceux plus discrets (et moins nombreux) du renforcement des forces spéciales »

À court terme, ce retrait sera aussi le révélateur de la valeur opérationnelle des forces de sécurité afghanes. Certains analystes parient sur une explosion de cette fragile institution en quelques semaines. Explosion pour des raisons internes (divisions ethniques ou noyautage par les Talibans) et des raisons externes, quand il faudra s’opposer à l’armée talibane de l’ombre qui pourra opérer en plein jour. Quel sera alors le poids des unités afghanes vraiment fiables ?

Pour les Talibans et autres insurgés, ces derniers semblent être passés à autre chose. Ils préparent l’après en nouant des alliances et en se lançant pour certains dans une sanglante guerre civile de succession. Elle se fait à base d’attentats spectaculaires et ciblés (le frère du président, un haut dignitaire de l’Uruzgan, des chefs de la Police, etc.) plus qu’envers la coalition. Ils éliminent ainsi toutes les figures d’autorité qui pourraient entraver leur accession au pouvoir débutée par le bas.

C’est donc une nouvelle composition (et non recomposition) de l’Afghanistan qui devrait voir le jour avec des personnalités tirant leur autorité du commandement de milices (parfois armées grâce à la coalition), d’une expérience passée ou de l’argent amassé grâce aux trafics, à la corruption ou aux « dons » de la coalition. Les représentants de l’Émirat Islamique d’Afghanistan y joueront évidemment un rôle, tout en sachant que ceux d’aujourd’hui ne sont plus tout à fait ceux de 2001.

… et les conséquences pour les États-Unis ?

Comme cela a été dit auparavant, 2014 est loin d’être la fin pour les États-Unis. Ce retrait marque pourtant pour les États-Unis la possibilité de se libérer une marge de manœuvre stratégique. Les priorités ne manquent pas et d’autres défis les attendent. Sur le plan sécuritaire, on peut évoquer le Sahel, la Somalie ou le Yémen. Car si Obama lisse en partie le discours, la préoccupation du contre-terrorisme transcende les partis politiques et les mandats présidentiels.

« si Obama lisse en partie le discours, la préoccupation du contre-terrorisme transcende les partis politiques et les mandats présidentiels »

Sur un autre plan, c’est aussi une marge économique qui sera libérée, même si les pensions des soldats et des blessés pèseront longtemps sur les budgets. La future campagne présidentielle ne manquera pas de définir les priorités dans le domaine social, par exemple.

Plus globalement, cela marquera sans doute une phase de repli (généralement très brève dans l’histoire des États-Unis) dans la succession permanente isolationniste vs interventionnisme. Il faut recompléter les stocks avant de pouvoir les épuiser à nouveau…

Comment jugez vous maintenant l’intervention en Afghanistan ? Peut-on parler d’échec et si oui quelles en seraient les raisons premières ?

Une intervention se juge par rapport à l’atteinte ou non de ses objectifs. Ils étaient d’empêcher que l’Afghanistan ne soit un sanctuaire pour des groupes ayant une capacité de nuisance mondiale. En 2003, une grande partie de cette mission était donc accomplie…

S’il est vrai que ces groupes ont essaimé ici ou là et revigoré des causes locales, une grande partie de leurs ressources est concentrée en Afghanistan. Cette fixation sur le local pourrait d’ailleurs être considérée comme un succès. Mais, qu’en sera-t-il une fois l’Afghanistan quitté ?

De plus, un dérapage stratégique, faisant changer l’objectif, fait que la spirale de la défaite s’est enclenchée. À un objectif changeant, ne permettant pas de donner du sens à l’action, s’ajoute une coalition hétéroclite qui se frotte à la complexité afghane. Quel pays d’ailleurs n’est pas complexe ?

Vous obtenez au final treize années que tous les efforts possibles de communication auront du mal à faire passer comme un franc succès. Alors aujourd’hui, annonçons-nous un retrait ou sonnons nous la retraite ?

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*Spécialiste des questions de stratégie, Florent de Saint Victor a travaillé au centre de doctrine d’emploi des forces du Ministère de la Défense et a récemment participé à l’ouvrage Faut-il brûler la contre-insurrection ? Major de la Quartozième promotion de l’Ecole de Guerre Economique, il anime le blog Mars-attaque.blogspot.com et le réseau Alliance Géostratégique.


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