Ahmadinejad est-il le nouveau Nasser ?

par Florentin Gastard
dimanche 11 octobre 2009

Tandis que les mots de félicitations fusent dans le camp occidental après le prix Nobel de la paix de Barack Obama, il est préférable, somme toute, de s’intéresser aux véritables relations internationales, et de laisser derrière nous l’angélisme et les confetti. A l’heure où l’on veut nous faire croire qu’il y a d’un côté du monde les démocraties libérales, pacifiques, respectueuses de la volonté du peuple, et de l’autre côté les démocraties corrompues, les dictatures, les monarchies bellicistes et dirigées par des hommes infâmes, c’est au bon sens historique des citoyens que nous en appelons. Quoi que l’on veuille nous fait croire, les secrets d’Etat n’ont pas disparu ; en politique internationale, rien ne va de soi.

 
S’il y a un homme que les médias français et occidentaux détestent, Mahmoud Ahmadinejad est celui-là. Président de la république islamique d’Iran depuis 2005, il a sans cesse alimenté la presse écrite et les journaux télévisés en unes catastrophistes, scoops ou anecdotes déplacées et à la limite du racisme, comme cette récente "révélation" sur les pseudo-origines juives d’Ahmadinejad. De fait, dans cette guéguerre qu’ont entreprise les médias occidentaux, où l’image choc le dispute à la petite phrase, il ne manque qu’une chose : un regard historique honnête et sérieux.
 
 
Comme Nasser en 1956, Ahmadinejad est l’ennemi public numéro 1
 
En 1956, année noire pour les deux grandes puissance européennes et coloniales du moment, la France et la Grande-Bretagne, et année faste pour les pays du tiers monde, l’ennemi public numéro 1 des Français a pour nom Gamal Abdel Nasser. Président égyptien, après avoir fomenté le coup d’Etat contre le roi Farouk en 1952, il est alors l’une des trois grandes figures qui forment à parir de 1956,avec Tito et Nehru, le mouvement des non-alignés. En effet, à la conférence de Bandoeng, en avril 1955, il a ouvertement dénoncé le Pacte de Bagdad et incité les Algériens à se battre pour leur indépendance.
 
Cependant, son plus haut fait de gloire demeure la nationalisation de la compagnie du canal de Suez en juillet 1956, devant le refus américain de financer la construction du barrage d’Assouan (un refus qui est la conséquence des livraisons d’armes de l’URSS à l’Egypte quelques années plus tôt pour organiser une armée capable de rivaliser avec Israël). Or cette nationalisation n’arrange ni la Grande-Bretagne ni la France qui étaient les principaux actionnaires de la compagnie, même si elle est parfaitement autorisée (le canal reste d’accès libre).
 
Dès lors, c’est un véritable flot d’injures qui va pleuvoir dans les journaux français et britanniques. N’hésitant pas à comparer la nationalisation de la compagnie du canal à "la remilitarisation de la Ruhr", comparant en permanence Nasser à Hitler, prétendant que le président égyptien veut détruire l’Etat d’Israël, hommes d’Etat et militaires préparent l’opinion à une offensive qui a en réalité d’autres raisons d’être (le gouvernement socialiste de Guy Mollet a surtout l’intention de redorer son blason après la défaite de Diên Biên Phu, et pense par ailleurs que Nasser est le principal instigateur du mouvement indépendantiste en Algérie, ce qui est faux...).
 
L’attaque d’Israël, en octobre 1956, est vite suivie des interventions française et britannique, qui font semblant de s’interposer entre les deux protagonistes, alors qu’ils avaient conclu un accord secret avec l’Etat juif. On passera les détails rocambolesques de leurs problèmes de coordination. En tous les cas, les Etats-Unis, pas fâchés de voir les deux grandes puissances européennes en posture si délicate, les forcent à se retirer d’Egypte. L’URSS brandit la menace nucléaire. C’en est trop ; humiliés, Français et Britanniques rentrent chez eux. L’Egypte s’impose comme le leader de la renaissance arabe. Les Israéliens, eux, réussissent à sécuriser leur frontière en incitant les casques bleus de l’ONU à venir camper dans le désert du Sinaï...
 
A plus d’un titre, le comportement des médias à l’égard du président iranien Mahmoud Ahmadinejad rappelle celui qui fut le leur en 1956. L’insistance sur un prétendu antisémitisme que rien ne prouve, le boycott automatique, les accusations de fraudes électorales, les petites phrases tapageuses ; surtout, l’ingérence permanente dans les affaires intérieures de l’Iran, par l’intermédiaire des petits gadgets à la mode made in USA tels le site "facebook" ou son dernier avatar, "twitter", et les encouragements à manifester dans les rues (d’ailleurs, les slogans des manifestants sont pour la plupart en anglais...) en livrant, si possible, quelques Iraniens à la mort, comme la fameuse Neda, sans oublier de les filmer et d’envoyer les images aux Etats-Unis, afin d’émouvoir les citoyens des Etats pacifiques, démocratiques et libéraux ; tout cela sent à plein nez l’instrumentalisation démagogique.
 
 
Qui prendra la défense de l’Iran ?
 
La situation d’Ahmadinejad est toutefois bien différente de celle de Nasser.
 
Il est vrai que le président iranien est aujourd’hui considéré comme le seul adversaire de taille pour les puissances occidentales. Il porte avec lui les espoirs d’une grande partie du monde arabe, et on peut à cet égard considérer que son message reprend quelques traits à la rhétorique nassérienne panarabiste. En tous les cas, et contrairement à ce que disent certains, il n’y a rien en lui qui rappelle le panislamisme, apanage, par exemple, du mouvement terroriste al-Qaida (primat de l’ "umma" -communauté des croyants- sur le "watan" -la nation), étant donné qu’il s’adress d’abord aux Iraniens. En revanche, son islamisme, assumé, est un véritable travestissement du panislamisme (auquel il n’appartient pas), et se veut une synthèse entre "watan" et "umma", ce qui est a priori sacrilège. En effet, pour un musulman, les intérêts nationaux ne peuvent aucunement être mis sur un pied d’égalité avec la croyance, universelle et non pas nationale, en Dieu.
 
Ainsi, contrairement à Nasser, qui ne se disait pas islamiste et qui revendiquait une union de touts les peuples arabes sous sa domination (c’est le sens de l’éphémère République arabe unie qu’il mit sur pied en unissant le destin de son peuple à celui du peuple syrien de 1958 à 1961), Ahmadinejad se veut davantage l’idéologue d’un système défensif vis-à-vis de l’Occident qui menace de corrompre les moeurs et la culture iraniennes, faisant du Coran un facteur qui soude le peuple, loin des prétentions panislamistes des Frères musulmans, en tant qu’il a conscience de la fragilité de son Etat et de la nécessité de le renforcer par tous les moyens.
 
Seulement, tandis qu’en 1956, les Etats-Unis et l’URSS avaient pris la défense de l’Egypte, les puissances occidentales semblent toutes d’accord sur les sanctions à prendre contre l’Iran, au demeurant quatrième producteur mondial de pétrole, s’agissant des "provocations nucléaires" du président Ahmadinejad. La Russie semble se désintéresser de l’affaire. Toutefois, un tiers monde renaissant, galvanisé par les propos anti-occidentaux, anti-israéliens et anti-impérialistes d’Ahmadinejad, suit l’Iran conservateur, qui, s’il parvient à éviter la guerre qui se profile contre lui, saura sans doute offrir davantage aux pays défavorisés et exploités par les puissances occidentales que les 20 milliards d’euros que M. Obama leur a si généreusement accordés pour sortir de la crise...
 
 
 

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