Après la Libye Bernard-Henri Lévy part en guerre contre la Syrie

par Mouna Alno-Nakhal
samedi 5 novembre 2011

Préoccupée par les évènements en Libye et la déstabilisation de la Syrie, une auditrice a pris la peine de retranscrire les propos tenus par Bernard-Henri Lévy (BHL), invité du journaliste Patrick Cohen sur France Inter (*), au lendemain de l’assassinat de Mouammar Kadhafi après la destruction de la petite ville de Syrte par les forces rebelles et l’OTAN. Ils sont révélateurs du cynisme d’un BHL, qui depuis des décennies a œuvré pour des guerres qui ont détruit des pays entiers et jeté leurs peuples dans l’horreur : Kosovo, Afghanistan, Irak, Palestine, Soudan, Libye. (Silvia Cattori)

Qui gouverne la France ?

Même si vous vouliez tourner le dos à la désinformation partisane, il se trouvera toujours une âme charitable pour vous adresser le « lien » de trop ! Nous sommes le 24 octobre, le temps pleure, les mauvaises nouvelles pleuvent, la Turquie compte ses morts sous les décombres, la Tunisie et la Libye seraient sur le point d’adopter une constitution datant du VIIème siècle (BFM TV / MaleK Chebel), les photos d’un Chef d’État mort sous les coups de l’OTAN et de leurs alliés du CNT saignent encore sous nos yeux et n’ont pas encore quitté les écrans, les dirigeants européens sont au chevet de l’Europe malade, ou très loin ailleurs...

Vous ouvrez le lien. Une fois de plus, vous voilà en face de BHL. Il répond aux questions du journaliste Patrick Cohen.

Non, il n’est pas possible d’affecter à son égard une « indifférence ironique », d’autant plus que la vitesse avec laquelle il « sonne le glas » n’a d’égale que la façon dont le journaliste lui «  déroule le tapis » pour que BHL puisse aller naturellement de l’avant et nous conduire vers d’autres guerres, d’autres interventions étrangères sauvages comme en Libye (il l’a suffisamment répété), vers plus de souffrances et donc, plus de morts, et plus de blessés à vie !

Deux autres pays sont sur la liste de BHL comme faisant l’objet de la prochaine intervention : la Syrie d’abord, l’Iran ensuite.

Pourtant, pour nos ministres et nos élus dont la responsabilité première est l’intérêt de la France, la Syrie devrait conduire nos va-t-en guerre, si peu regardants, à mieux réfléchir sur les conséquences d’une intervention qui pourraient s’avérer encore plus dévastatrices qu’en Libye. D’une part, en raison du large soutien populaire dont dispose encore Bachar el-Assad et de la cohésion de l’armée. D’autre part, en raison de l’énorme chaos qu’un changement brutal de régime risquerait d’entraîner dans la région.

Mais Monsieur BHL n’est manifestement pas de cet avis ! Il n’a que faire des souffrances et des dizaines de milliers de morts que ces interventions étrangères qu’il appelle de ses vœux entraînent au sein des peuples qui les subissent. Les sanctions économiques imposées à la Syrie visant à étouffer les Syriens, qui ont insisté sur l’unité nationale et sur leur rejet des ingérences étrangères, ne lui suffisent pas. Après avoir obtenu la destruction de la Libye et imposé le très peu crédible Conseil National de Transition comme seul représentant légitime du peuple libyen, la question est : va-t-il encore décider de la politique étrangère de la France, et obtenir, comme si cela allait de soi, que la France prenne la tête d’une nouvelle intervention militaire en Syrie ?

Mouna Alno-Nakhal - Biologiste
Bretagne - France, le 24 octobre 2011.


Bernard Henri-Lévy répond aux questions de Patrick Cohen sur France Inter, le 21 Octobre 2011 [1]

Patrick Cohen : Bonjour BHL, que savez-vous ce matin, et ce point n’est pas anecdotique, que savez-vous de la façon dont Kadhafi a été capturé et tué ?

BHL : D’abord je crois qu’il a été capturé et tué par des révolutionnaires libyens, et pas par les forces de l’OTAN, contrairement à ce qui a été dit hier, je crois de manière un peu hasardeuse et légère, et c’est extrêmement important.

Patrick Cohen : Ce qui peut changer la vision…

BHL : Ce qui change beaucoup de choses oui, pour le CNT etc… donc ça c’est une chose… je sais parce que je l’ai vu comme tout le monde, comme les spectateurs du monde entier… c’est que la manière dont il a été mis à mort n’est pas conforme à la grandeur et à l’exemplarité de cette révolution qui se déploie en Libye depuis 8 mois. Je redis là ce que j’ai dit hier soir, ce que j’ai dit cette nuit encore à certains des responsables du CNT et notamment au Colonel dont dépendait l’unité qui a procédé à cette exécution… j’aurais… je suis de ceux qui pensent que ça aurait été mieux si, en effet, il avait été arrêté, déféré à la Cour Pénale Internationale. La place des grands assassins, des criminels de guerre, et contre l’humanité comme Kadhafi, elle est dans le box des accusés d’un tribunal, elle est pas sur le pavé, lynché de cette manière avec ces images quand même terribles !

Patrick Cohen : Tout le monde le dit cela, y compris les autorités françaises, les gouvernements occidentaux. Mais, est- ce qu’on ne peut pas penser, BHL, qu’on évite avec un procès, un déballage qui aurait pu être embarrassant pour les compagnies pétrolières qui ont fait affaire avec lui, les gouvernements étrangers qui lui ont ouvert les bras ?

BHL : Ne commençons pas à entrer… Encore un pas et on est dans la théorie du complot ! Vous ne l’avez pas franchi… mais un pas… Non, je ne crois pas. Je crois que ce qui s’est passé là… Je connais un petit peu… pas ceux là…mais enfin… j’ai rencontré, j’ai croisé la route de certains de ces chebabs plus ou moins disciplinés, et qui n’ont pas encore eu la chance d’avoir… c’est pas si vieux… un Robert Badinter qui leur explique et qui établisse que la peine de mort est le mal… est un crime absolu ! Donc voilà : ils sont en face d’un type qui incarne pour eux toute l’horreur du monde, qui a, comme le disait Guetta tout à l’heure, qui a prolongé de deux mois inutiles cette effusion de sang cette guerre…

Patrick Cohen : Vous ne lui reconnaissez même pas un certain courage, lui n’a pas fui, s’est battu jusqu’au bout ?

BHL : Oui… bien sûr ! Il y a quelque chose… Oui… je ne sais pas si on peut appeler ça du courage, mais en tout cas il y a une certaine dignité à ne pas avoir fui… c’est possible… mais c’est pas le problème ! Moi, je vous parle des jeunes garçons qui l’ont frappé, qui l’ont blessé, et qui l’ont achevé ! Ça… croyez-moi… ils ne sont pas commandités par je ne sais quelle main invisible qui voyait, dans un procès, le théâtre d’une grande scène où se seraient faits des déballages dont ils auraient pâti ! Je crois que ça c’est faux et c’est même l’inverse : je pense que la majorité des membres du CNT regrettent aujourd’hui qu’il n’y ait pas eu ce procès et ils le regrettent… pourquoi ? Parce qu’ils savent qu’une démocratie ça se fabrique pas sur un trou de mémoire et que, avec Kadhafi, est morte l’archive du crime, l’archive de l’horreur, l’archive de la dictature, et je ne veux pas vous donner de nom… peu importe… mais ils le regrettent. Voilà ! J’ai eu plusieurs conversations, hier soir, parce que tout ce que je vous dis là, je ne le dis pas en France, je l’ai dit en Libye, et je crois que ceux dont je vous parle sont sur cette longueur d’onde : ils auraient voulu un procès, ils auraient voulu que lumière soit faite sur les crimes perpétrés… alors il y a Lockerbie… il y a l’IRA… et puis il y a les crimes contre le peuple libyen !

Patrick Cohen : Le pays est donc libéré mais on est loin d’y voir clair sur ce que sera la Libye demain, sur ce que le CNT va faire de ces opposants kadhafistes ou islamistes. Aujourd’hui, BHL, l’unité de ce pays ne peut plus reposer simplement sur l’anti-kadhafisme ?

BHL : Non… mais je crois que… je ne crois pas que le seul ciment du CNT ait été l’anti-kadhafisme. L’anti-kadhafisme c’était le ciment minimal ! Il y en a d’autres ! Il y a le désir de bâtir une démocratie. Il y a le désir de faire en sorte que l’islamisme radical ne soit plus la seule alternative possible à la dictature, mais soit une opinion parmi d’autres, soumise au libre choc des opinons contradictoires. Il y a le désir d’établir un État de Droit !

Patrick Cohen :Ce sera long et compliqué ?

BHL : La Lybie de Kadhafi : il n’y avait pas de Droit du tout, il n’y avait pas d’État du tout, il n’y avait pas de Nation du tout, il n’y avait même pas de Société Civile ! Il y avait une espèce de pluralité d’atomes sociaux. Il faut reconstruire tout ça ! Le CNT en est conscient ! Je crois qu’ils en ont les moyens ! Il y a des hommes tout à fait remarquables, pas seulement Mahmoud Jibril, qui sont et qui ont pris la mesure de la tâche. Ce sera compliqué, bien sûr ! Ce sera un peu long, sûrement !

Patrick Cohen : Chaotique sans doute !

BHL : Chaotique… attendez… quel est le processus révolutionnaire… vous savez… y compris d’ailleurs pour ce qui s’est passé… les images dont nous parlions tout à l’heure… les massacres de septembre pendant la révolution française en 1792, pour ne pas parler d’autres épisodes, c’est pas les Libyens qui les ont faits !!! Donc… bien sûr qu’il y aura des mouvements en arrière, des allers-retours, etc… Mais ce que je sais de ce pays fait que je… j’ai confiance… Voilà, j’ai confiance… et c’est pas seulement un acte de foi ! Je crois qu’en effet les conditions sont réunies dans les têtes et notamment parce qu’il y a eu… La grande différence avec la Tunisie et l’Égypte, c’est que les dictateurs en Tunisie et en Égypte sont partis finalement assez vite… ils se sont tirés… ils ont fui… alors en Arabie Saoudite et/ou à Charm El Sheik. Bien… là… cette guerre-là, a trempé quelque chose comme on dit d’un métal, elle a trempé l’énergie d’un peuple, elle a trempé un désir de liberté, elle a fait en sorte que se cristallise une demande de démocratie et quand ça se trempe… ça… dans le feu des combats de la fraternité, des épreuves partagées, c’est assez solide et ça ne disparaîtra pas au premier vent de la régression ou de l’islamisme, je crois que ça tiendra !

Patrick Cohen :À qui le tour aujourd’hui BHL, et que faire pour la Syrie où le régime d’el-Assad continue de réprimer et de tuer presque chaque jour ? Est-ce qu’il faut se mobiliser aussi fortement ? Est-ce que vous seriez prêt à vous mobiliser aussi fortement pour la Syrie que vous l’avez fait pour la Lybie ?

BHL : A qui le tour ? Bachar el-Assad !

Patrick Cohen : Oui. Mais comment ?

BHL : Ou... ou Mahmoud Amadinedjad, hein, ou Ahmadinedjad en Iran ! Voilà ! Il y en a deux là, qui sont évidemment dans la ligne de mire, mais, pas, pas d’la France… de l’Histoire Universelle ! C’est un théorème maintenant. C’est le théorème 2011 ! Un dirigeant qui fait donner sa police, son armée, ses milices contre son peuple, d’une manière ou d’une autre : il dégage ! Voilà, ça c’est une… c’est un théorème de l’année qui est en train de s’achever, donc, forcément Bachar el-Assad ! Forcément ! Forcément, un jour ou l’autre Ahmadinejad et le régime iranien en général. Alors… l’histoire ne se répète jamais, c’est jamais les mêmes scénari, c’est jamais les mêmes acteurs, c’est pas forcément la même initiative… Mais, l’histoire ayant plus d’imagination que les hommes, on peut supposer qu’il y aura des scénarios inédits mais dont ceux que je viens de nommer seront les victimes.

Patrick Cohen : En laissant les Syriens résister eux-mêmes et sans les aider, sans intervenir ?

BHL : Je suis partisan, je suis absolument partisan depuis le premier jour d’aider les Syriens. Vous savez dès le début, dès le mois de fffev, dès le mois de mars, j’ai dit à plusieurs reprises y compris dans des meetings sur la Syrie, qu’au fond… c’est l’absurdité de l’histoire aussi… mais la seule chance de Bachar el-Assad c’est que Kadhafi a commencé, ou plus exactement, que l’insurrection a commencé en Libye trois semaines plus tôt. Les choses auraient été différentes… euh… à trois semaines près… peut être que ce serait Bachar el-Assad qui serait aujourd’hui… euh… détrôné. Donc, je ne crois pas qu’il y ait là non plus une grande nécessité… une… un calcul géopolitique qui fasse qu’on ait choisi Kadhafi plutôt que Bachar el-Assad ! Je crois que la contingence des choses y a eu sa part ! La main du hasard et du destin, mais cette main là, elle joue pas toujours, et c’est pas une garantie pour Bachar el-Assad ! Je crois que, pour qui sonne le glas de Kadhafi, aujourd’hui il sonne pour la dictature syrienne !

Fin.

(*) Propos retranscrits mot à mot par les soins de Mouna Alno-Nakhal

 

[1] Voir : BHL / invité de France Inter / le 7-9 de Patrick Cohen /21 Octobre 2011. http://www.dailymotion.com/video/xlvc8e_bhl-sur-la-mort-de-khadafi-un-lynchage-la-nausee_news


Lire l'article complet, et les commentaires