Assassinats ciblés : assiste-t-on à une « libanisation » de la Casamance ?

par FAMA
mardi 15 janvier 2008

Alors que l’assassinat rocambolesque et atypique, perpétré le 30 décembre 2006 en Casamance (sud du Sénégal), sur El hadji Omar Badji, haute personnalité sénégalaise et proche du président Wade, n’a pas soufflé sa première bougie funèbre, et que l’enquête n’a officiellement rien révélé, le Sénégal a perdu dans les mêmes circonstances et dans la même région une autre haute personnalité : Chérif Samsidine Dino Néma Aïdara, 48 ans, chargé de mission à la présidence de la République. Vu sous l’angle des points et traits communs entre les deux hautes personnalités d’une part, mais aussi, comparés d’autre part à ce qui se passe depuis maintenant plusieurs mois au Liban, peut-on alors parler d’une « libanisation » de la Casamance ?

C’est une lapalissade que d’avancer que le double assassinat en moins d’un an, en Casamance, de hautes personnalités comme El Hadji Omar Lamine Badji et Chérif Samsidine Dino Néma Aïdara n’a pas été de tout hasard. Ces assassinats sont loin d’être accidentels. Surtout, si l’on se fonde sur le mode opératoire des assaillants. Lequel est devenu un secret de polichinelle dans cette partie du pays d’Abdoulaye Wade qui en a connu plusieurs au fil des 25 ans de conflit indépendantiste.

Une nouvelle forme de signature des forfaits ?

Avec la double exécution d’Omar Lamine Badji ex-président du Conseil régional de Ziguinchor (455 km au sud de Dakar) et de Dino Aïdara chargé de mission à la présidence de la République, on est en droit de penser à une « nouvelle » forme de signature. Une signature d’autant plus identique ici et là que, selon les témoignages, les deux maisons des victimes sont encerclées par les assaillants ; un petit groupe entre, histoire de bien les identifier, avant de passer à l’acte. Pour finir, les assaillants mettent tout bonnement le feu à la maison comme qui dirait, dans le but d’enrayer toutes traces susceptibles d’ébaucher une piste aux enquêteurs.

Avant de tomber sous le feu de leurs assaillants, qui n’ont certainement pas choisi leur jour au hasard, à savoir la veille de l’Aïd El Adha, Omar Lamine Badji et Samsidine Aïdara ont semblé avoir été suivis au millimètre près par ceux-ci. Au sens où leurs itinéraires du jour de leur assassinat les ont menés de Ziguinchor à leurs domiciles familiaux respectifs, après une courte escale à Bignona, une ville secondaire de la Casamance. L’heure de leur « mise à mort », 21 heures GMT, n’en est pas moins éloquente. Et puis, pourquoi, les témoignages recueillis ici et là aidant, les assaillants parlent-ils de « mission à accomplir » dans le cas de Omar Lamine Badji et d’« ordre à exécuter » concernant la mort du Chérif ?

Les forfaits portent quelle signature ?

D’ailleurs, en matière de signature, même si tous les observateurs de la crise casamançaises, ou presque, ont parlé d’éléments supposés appartenir au Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), un mouvement qui revendique l’indépendance du sud du Sénégal, ceux qui sont directement impliqués dans la dynamique de résolution de ce conflit ont vite pris les devants (officiellement parlant), micros ouverts et caméras braquées sur eux, pour dire que « non ! » ce n’est pas la signature du MFDC. C’est le cas de l’actuel ministre sénégalais des transports aériens. M. Farba Senghor n’a-t-il pas dit urbi et orbi qu’à aucun moment l’assassinat du Chérif chargé de mission à la présidence de la République ne saurait être le fait des « rebelles » du MFDC. Puisque, selon lui, en tant que « plus grand défenseur des rebelles » et connaisseur de « tous les camps », citant au passage quelques-unes des bases rebelles, il serait absurde de penser que le maquis du MFDC se serait rabaissé à ce point. Ce qu’il a dû omettre de dire, c’est que les camps en question sont sous le contrôle de la coalition regroupant les flancs des chefs rebelles Ismaïla Magne Diémé et César Atoute Badiate. Et que ces derniers sont évidemment acquis à la cause de la paix dans la région méridionale du Sénégal. Mais il y en a qui sont carrément hostiles à la paix. Par exemple l’autre Salif Sadio, un autre chef rebelle dont on dit qu’il s’est établi en Gambie, cette ancienne colonie anglaise enclavé dans le Sénégal. Si bien que disculper, tout de go, tout le monde au profit d’une hypothétique jalousie, prend les contours d’une conclusion hâtive ; même si c’est un avis personnel. Un avis qui reste toutefois celui d’une autorité étatique.

Une piste a priori sans fin ?

A la différence du président Wade qui, s’exprimant sur le double assassinat de Omar Lamine Badji et Dino Néma, a préféré n’indexer personne, se limitant à menacer fermement les assaillants et leurs commanditaires, tout en promettant une somme de 50 millions de CFA, un billet d’avion et un passeport diplomatique aux informateurs (du cas de Omar Lamine Badji), le ministre Farba Senghor lui, a cru devoir disculper certains. Ce, d’entrée de jeu ! Non content, il pointe un doigt accusateur sur les « fossoyeurs » de la paix en Casamance et qui, paradoxalement, ne sauraient être des rebelles. Ce sont ces « jaloux » qui, pense-t-il, ne voudraient pas que la résolution de la crise casamançaise leur soit attribuée, ou, tout au plus, au pouvoir du président Wade. De ce fait, non seulement Farba Senghor ébauche une piste à la destination incertaine, mais aussi la déduction prématurée faite des premières informations ne pourrait-elle pas induire à confondre les exécutants et leurs commanditaires ? Or, à la vérité, rares sont les cas de forfaits de ce genre où les exécutants sont ceux-là qui décident de ce que demain sera fait. Et cette thèse est si plausible que, selon les témoignages recueillis auprès des familles respectives éplorées, les membres du commando s’étant introduits dans le domicile du chargé de mission du président Wade auraient parlé « d’ordre à exécuter ». La télévision nationale sénégalaise a révélé que les assaillants s’exprimaient, entre autres langues, en anglais. Si tel était le cas, qui donnerait alors les ordres ? Qui en seraient les exécutants ?

Libanisation de la Casamance ?

Il n’est pas besoin d’être un expert en investigations criminelles pour qualifier les assassinats de personnalités en Casamance d’exécutions ciblées à l’image de celles vécues depuis 2004 au Liban. Celles-ci, rappelons-le, ont brusquement interrompu la vie d’au moins huit personnalités en trois ans. La dernière cible des malfaiteurs a été le général François El-Hajj, chef des opérations de l’armée libanaise. L’homme avait quasiment atteint la cime de son ascension lorsqu’il avait été la cible « privilégiée » de ses assassins. Alors, selon toute vraisemblance, son imminente nouvelle fonction ne devrait pas arranger ces derniers. Au regard du film et des circonstances des deux forfaits perpétrés en moins d’un an en Casamance, force est de reconnaître une certaine similitude entre les attentats à la vie des personnalités libanaises et les exécutions au pays de M. Wade. D’abord, parce que Omar Lamine Badji et Dino Néma étaient des personnalités au charisme incontestable. Le premier était le patron des militants du parti de M. Wade dans le plus grand département du sud du Sénégal, dont il était aussi le président du Conseil régional. Au plan national, Omar Lamine Badji était non seulement membre du comité directeur du PDS, l’instance suprême du parti au pouvoir, mais aussi il était extrêmement proche du chef de l’Etat sénégalais, M. Abdoulaye Wade. Mieux, il était son ami personnel. Quant au chargé de mission, il bénéficiait des mêmes faveurs, de la part du président Wade. Lequel le considérait comme son propre fils. Dino Néma était aussi un collaborateur dont le président sénégalais ne pouvait plus se passer pour se mettre à jour par rapport à l’évolution du processus de paix en Casamance. Il était si proche du résultat final, à savoir le dépôt et l’incinération des armes en Casamance que M. Wade n’en croyait pas ses oreilles lorsque M. Ousmane Ngom, ministre de l’Intérieur, lui en avait annoncé la mort tragique. En définitive, les questions, subsidiaires soient-elles, qui méritent d’être posées, sont de savoir : pourquoi les assassins ciblent-ils les personnalités si proches de M. Wade ? Ou bien est-ce le fait d’un pur hasard ? Quoi qu’il en soit, le maire de Ziguinchor, Robert Sagna, a assimilé ces assassinats de « situation préoccupante ».

 

Boubacar Diassy


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