Attentat d’Oslo : une guerre inversée
par hommelibre
mardi 26 juillet 2011
La froideur et la méthode du terroriste norvégien sont impressionnantes. Le signal qu’il donne est d’une dangerosité particulière. D’abord par le nombre de morts. Actuellement, pour faire parler de soi par le terrorisme, il faut ou viser une personnalité d’envergure mondiale, ou tuer en nombre. Un attentat qui ne tuerait qu’une seule personne n’aurait pas le même impact.
C’est moche mais c’est ainsi. Ce n’est pas nouveau. L'attentat d'Oslo n'échappe pas à cette règle.
Dans son billet Anaxagore cite le dernier paragraphe de La Peste, d’Albert Camus. La peste, métaphore de ce mal latent qui resurgit à différentes époques : l’idéologie d’exclusion (les pestiférés étaient exclus, comme les lépreux) et la volonté d’éradiquer une population et puiser sa propre force dans cette éradication (l'épidémie nourrit l'épidémie).
En effet nous ne sommes pas à l'abri de secréter de telles dérives. Il suffit de se rappeler combien l'antisémitisme a trouvé un terreau favorable en Europe dans un passé récent, avant même Hitler et le nazisme. Aujourd'hui ce ne sont plus les juifs mais le crime n'est pas très différent.
Je ne pense pas que le terroriste soit fou. Sa détermination semble au contraire démontrer une lucidité sur ses objectifs : il est en guerre et le revendique. Tuer autant de personnes suppose une préparation très calculée et un sang-froid peu communs.
Le fait d'avoir choisi de massacrer des européens et non des personnes d'origine arabo-musulmane est fait pour déstabiliser profondément notre société. Il inverse le mouvement de la guerre. La cible n’est pas le musulman, elle est nous-mêmes.
Plutôt que de faire des martyrs avec des morts musulmans, il en fait des coupables implicites : ce ne sont pas eux les victimes directes, ce ne sont pas eux dont les corps jonchent la prairie : ce sont nos enfants.
Mais à cause d'eux.
En tuant des européens c’est comme si le terroriste mettait symboliquement l’arme dans les mains de musulmans ou de marxistes. Le crime est d’autant plus pernicieux qu’il renverse les schémas connus et que, suscitant l’incompréhension, il provoque une faille de nature à contourner les réflexes de rejet habituels. L’incompréhension produit psychiquement plus d’effet que le rejet, et elle est aussi plus troublante. Elle est accompagnée d’un temps de latence dans lequel la résistance intellectuelle est amoindrie.
La guerre dont il se réclame est latente. Cet attentat fait écho au communisme de Staline et ses innombrables victimes. Il fait aussi écho aux attentats islamistes. Son idéologie pourrait trouver chez certains une légitimité de revanche.
Il n’y a pas de vraie réponse à un tel acte. La discrétion du tueur, sa préparation longue qui n’a éveillé aucun soupçon, en font un criminel invisible jusqu’au moment de son crime. De plus les idéologies d’exclusion fonctionnent, les boucs émissaires dont je parlais il y a quelques jours sont toujours là. Pas les mêmes qu’il y a 80 ans, mais peu importe. L’important est d’avoir un ennemi et de lui faire endosser la cause du malaise général de la société. Il n’y a pas lieu d’incriminer la société non plus : l’homme assume son acte et le justifie, il en est l’unique responsable.
Le terreau qui produit cette violence existe et l’idéologie est simple. Simple comme la guerre. Il suffit de désigner les bons et les méchants. Cela marche. Au point où parfois, un homme seul peut un jour déchaîner des foules. Cet acte terroriste est donc loin d’être coupé de la réalité et isolé. En même temps il oblige à poser clairement cette question : adhérons-nous à l’idéologie du tueur ? Sommes-nous en guerre contre l’islam ? Car si nous sommes en guerre, il ne faut pas s’étonner d’un tel attentat qui n’est que la traduction matérielle d’une intention mentale.
On a le droit de discuter de la manière dont l’immigration se passe dans certains pays, on peut mettre en question une religion, ou une culture si on la juge très éloignée de la nôtre. On peut mettre du temps à faire place à l’autre, celui qui ne nous ressemble pas. L’assimilation des personnes d’une autre culture est un processus long et lent. Après tout il n’y a pas de raison d’ouvrir sa porte sans demander qui vient. Le sentiment d’appartenance à un territoire est une réalité, qu’on la défende ou qu’on la déplore. D’ailleurs chaque pays défend sa propre culture et sa propre religion : ce qui semble légitime dans d’autres pays et sur d’autres continents l’est également dans nos pays européens. Le partage, la fraternité universelle, cela vient après.
Il faut donc clairement savoir si nous sommes prêts à prendre les armes. Le tueur d'Oslo l'a fait. La question est crue mais c’est bien celle que pose l’attentat d’Oslo. Si oui, pensons-nous que les problèmes économiques, le chômage, l’éducation, seront réglés par une guerre ?
Nous pouvons tenter d’isoler cet acte en l’attribuant à un fou. Mais nous ne serons pas dédouanés pour autant de prendre position : voulons la guerre ou la paix ?