Avion civil russe. Crime et Châtiment : la punition viendra
par Renaud Bouchard
lundi 2 novembre 2015
Raskolnikov se mit à trembler tout entier, comme transpercé.
- Alors... qui donc... a tué ? demanda-t-il, n'y tenant plus, d'une voix qui s'étouffait. Porphyre Petrovitch se laissa même retomber sur le dossier de sa chaise, comme s'il avait été stupéfié, lui aussi, d'une question aussi inattendue.
Преступление и наказание – Crime et Châtiment, Fédor M. Dostoïevsky (1866)
Qui a tué ?
Peu importent les hypothèses susceptibles de cerner les causes de la destruction de l'avion de ligne russe survenue au-dessus du désert du Sinaï le samedi 31 octobre 2015. Dépressurisation explosive consécutive à une fatigue structurelle de l'aéronef, sabotage, missile, bombe, quelles que puissent être les explications qui seront officiellement fournies dans les jours, semaines ou mois à venir si jamais elles viennent à l'être pour justifier de la « dislocation » en plein vol de l'appareil, une chose est désormais certaine : la punition viendra et sera terrible.
Qui en sera l'objet ? La question reste en suspens, ouverte, car personne de sensé ne se risquerait à formuler une hypothèse. Mais est-il vraiment besoin de formuler une accusation dès lors qu'un simple faisceau d'indices non-vérifiés suffit largement ?
Cette punition inexorable est déjà en marche et l'on sait déjà qui l'administrera. La Russie, état-continent, est en effet en deuil. Elle est aussi en guerre. Elle forme un bloc parfaitement soudé. Malheureux inconscients ceux qui n'ont pas compris que dans la longue et douloureuse histoire de ce pays tout un peuple demeure capable de s'unir autour de la Mère Patrie (Родина-Мать) dès lors qu'elle appelle ses enfants à se battre pour elle. Chacun connaît ou devrait connaître cette affiche montrant le visage grave d'une femme parfaitement consciente de la menace qui pèse sur elle, sur le pays, sur la civilisation, sur la famille qu'elle a la charge de défendre.
Les analyses immédiates ne manquent pas de faire le lien entre l'entrée de la Fédération de Russie dans le théâtre d'opérations armées moyen-oriental avec comme ennemi désigné l'Etat islamique et, de manière générale, les adversaires du régime syrien bien décidés à évincer le président Bachar el-Assad de l'échiquier politique. Opération de représaille contre ces autres « croisés » que représentent les Russes, « false-flag » toujours possible (quoique d'une singulière imprudence si tel est le cas), accident technique, il n'en demeure pas moins qu'au regard du contexte général d'un engagement militaire protéiforme et d'un jeu géopolitique dont la Russie a su rebattre et redistribuer les cartes avec un talent diplomatique remarquable, tous les paramètres que représente l'interruption du vol de la compagnie russe Metrojet au-dessus du Sinaï sont désormais réunis pour qu'intervienne d'une manière ou d'une autre la « phase deux » de l'éradication de cette manifestation tératologique que personnifie l'Etat islamique.
Faux grossier, récupération habile, imputations excessives, les commentaires vont bon train pour annoncer que l'EI ne « revendique jamais un attentat qu'il n'a pas lui-même commis », même si une vidéo spécifique aux accents guerriers est bien évidemment immédiatement apparue, montrant de manière incomplète et sans plus de précision un avion victime d'une sérieuse avarie en vol. Rien n'accuse autant que rien n'exclut un auteur au bénéfice ou au désavantage d'un autre. Ainsi va le jeu de la politique internationale quant surgissent certains dérapages.
Qui donc a vraiment tué, et surtout pour quelle raison ? La réponse importe peu, dans le fond, dans la mesure où ce même EI représente nolens volens – ce qui signifie sa disparition inéluctable - la manifestation de l'ennemi parfait qui représente et synthétise en une réduction mentale parfaitement calibrée toutes les composantes que l'on attend de lui : le rejet de l'ordre politique et civilisationnel international comme incarnation absolue du Mal.
Il est à ce titre très intéressant de relever qu'il existe une figure bien particulière qui conduit l'action politique et guerrière de cette nébuleuse du terrorisme international islamique. Cette figure eschatologique est ainsi représentée par le nom de Dabiq, vitrine et titre d'une publication de propagande très particulière qui désigne aussi une localité géographiquement située dans le nord de la Syrie (enjeu de combats entre djihadistes et fidèles de Bachar el-Assad) par ailleurs destinée, ainsi que le rapporte un hadith, à servir de théâtre à une bataille décisive entre Roûm/ Byzantins/Chrétiens/ Croisés et Musulmans à l'issue delaquelle, naturellement, les soldats de Mahomet triompheront.
La destruction d'un avion civil russe dans les circonstances géostratégiques actuelles représente à n'en pas douter l'événement à exclure ou l'erreur fatale qu'il convenait, que ses commanditaires existent ou non, de ne pas commettre. Avec sans doute beaucoup moins de résonance en « Occident » que le cliché probablement promis au Pulitzer du « petit Aylan », il est probable que l'image de la petite Darina (passagère âgée de 10 mois) qui figure au nombre des 224 victimes de cette catastrophe jouera son effet auprès de l'opinion russe qui acceptera sans sourciller, si elle se produit, une « tchétchénisation » de la question islamique en Syrie.
A la différence d'une Union européenne désormais perdue dans une politique otanienne dont elle est la proie avant que de connaître les violences prochaines d'une guerre ethnique, civile et religieuse qui résultera de ce véritable tsunami migratoire dans lequel ses dirigeants criminels l'ont précipitée, la Russie a en effet quant à elle parfaitement compris le rôle qui lui incombe de jouer en tant que Troisième Rome gardienne d'une civilisation que nous ne sommes pour le moment plus capables de défendre.
Beaucoup plus profondément, il n'est pas impossible que la réaction probablement en préparation et qui prendra la forme d'un Châtiment en réponse au Crime commis puisse constituer pour cette même Russie – et peut-être pour cette Europe en perdition - une réponse concrète, militaire, à cette schizostratégie terrifiante décrite par le philosophe iranien Reza Negarestani dans sa Cyclonopédie, lieu d'un Proche-Orient incarnant une entité maléfique et monstrueuse.
Références et éléments :
https://www.youtube.com/watch?v=1d-xbnuvr7c
EI/ISIS/DAESH, Etat islamique en Iraq et au (pays du) Levant ou Dawlat al-Islamiyah fi'al-Iraq wa (Bilad) al-Sham- الدولة الاسلامية في العراق والشام
http://anaximandrake.blogspirit.com/archive/2008/09/05/cyclonopedia.html