Barack Obama : une terrible déception

par Pierre R. Chantelois
lundi 23 août 2010

« Nous allons assister au premier procès d’un enfant soldat dans l’histoire moderne », a déclaré, auprès du juge militaire Patrick Parrish, l’avocat d’Omar Khadr, le lieutenant-colonel Jon Jackson. « Il n’existe aucun doute que M. Khadr a été soumis à des traitements dégradants », a poursuivi l’avocat. « Quand le président Obama a été élu, j’ai cru que nous allions fermer le livre de Guantanamo et des tribunaux d’exception, mais à la place, le président a décidé d’ajouter un nouveau chapitre, triste et pathétique, à ce livre », a observé l’avocat de l’enfant-soldat, Omar Khadr,maintenant âgé de 23 ans.

Le système judiciaire d’exception a été créé, en 2006, par l’administration Bush, pour juger les détenus de Guantanamo, également connue sous le nom de JTF-GTMO (Joint Task Force Guantanamo). Le 26 octobre 2001, le président George Walker Bush signe le USA Patriot Act (« United and Strenghtening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism »),voté par le Congrès à une très large majorité, qui autorise la détention sans limite et sans chef d’accusation depuis 2001. Cette loi remet en force la notion de « combattants hors-la-loi » (unlawful combatants) pour déférer devant des juridictions militaires d’exception l’ensemble des ressortissants étrangers accusés de « terrorisme », ainsi que les membres présumés d’al-Qaida capturés hors du territoire américain (décret présidentiel du 13 novembre 2001).

Il convient de rappeler que dans le préambule de la constitution des États-Unis de l’Amérique du Nord, il est écrit :

Nous, le peuple des États-Unis, afin de former une union plus parfaite, d’établir la justice, d’assurer la tranquillité intérieure, de pourvoir à la défense commune, d’accroître le bien-être général, et d’assurer pour nous, comme pour notre postérité, les bienfaits de la liberté, nous faisons, nous ordonnons et établissons cette constitution pour les États-Unis d’Amérique.

Barack Obama, dès son arrivée à la Maison Blanche, avait tenu ses promesses en annonçant la fermeture de ce camp de prisonniers de l’armée américaine. En effet, lLe 22 janvier 2009, il avait signé un décret présidentiel ordonnant la fermeture du camp dans un délai d’un an. Depuis, il a fait volte-face. « Rien n’empêche dans le droit américain de traduire un mineur en justice », a souligné David Iglesias, porte-parole de l’accusation dans le procès d’Omar Khadr, en expliquant que le ministère public n’hésiterait pas à demander une peine de prison à vie si le jeune homme est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés. Il faut savoir également que cinq autres détenus - soupçonnés d’avoir joué un rôle important dans les attentats du 11 septembre – sont en attente de procès : retenus sans inculpation, ils ignorent s’ils seront jugés par un tribunal militaire ou civil. Entre 2002 et décembre 2008, 779 personnes sont passées par cet établissement dont cinq se sont suicidées.

Et c’est devant ce tribunal d’exception que le juge militaire américain, le colonel Patrick Parrish, a déclaré - dans un premier temps - recevables les « aveux » que l’accusé dit avoir faits sous la contrainte et décidé - dans un second temps - qu’« il n’y a aucune preuve crédible que l’accusé ait été torturé (...) même si on utilise une définition large (de la notion de torture) en tenant compte de l’âge de l’accusé ». Les aveux dans lesquelles le Canadien reconnaît avoir lancé la grenade « sont fiables, possèdent assez d’éléments probants, ont été livrés volontairement et ne résultent pas de la torture ou de mauvais traitements  », conclut le juge.

Pour Rob Freer, spécialiste des États-Unis à Amnesty International, « les États-Unis ont fait la sourde oreille face aux appels répétés de la communauté internationale, notamment de hauts responsables des Nations unies, leur déconseillant d’établir le dangereux précédent consistant à juger dans le cadre d’un procès inique une personne qui aurait commis des " crimes de guerre " alors qu’elle était mineure. […] Le juge militaire a mis environ 90 secondes pour statuer, sans fournir d’explications, que n’importe laquelle des déclarations faites par ce jeune détenu pendant cette période peut être utilisée contre lui ».

Il semblerait que le juge Parrish ait volontairement ignoré le fait que la réforme très contestée des tribunaux militaires d’exception de Guantanamo, préparée par l’administration Obama et votée par le Congrès à l’automne 2009, prévoyaiit et prévoit toujours qu’ « aucune déclaration obtenue sous la torture ou par un traitement cruel, inhumain ou humiliant, qu’elle ait été obtenue sous couvert de la loi ou non, ne peut être admise par une commission militaire ». Devant ce même juge, un des interrogateurs avait pourtant raconté avoir inventé un scénario de viol pour l’impressionner. Denis Edney, avocat civil canadien du jeune homme, a déclaré aussitôt la décision du juge Parrish connue : « C’est une honte. Le juge Parrish doit retourner à l’école apprendre les bases du droit et de l’humanité ». Radhika Coomaraswamy, émissaire des Nations unies pour les enfants dans les conflits armés, rejette ce tribunal militaire d’exception : « Les normes concernant la justice des enfants sont claires : les enfants ne doivent pas être jugés par des tribunaux militaires ».

En juin 2006, la Cour suprême des États-Unis déclarait illégales les procédures judiciaires d’exception mises en place à Guantánamo. Pour Human Rights Watch, qui avait fortement soutenu les premières initiatives de Barack Obama, « la poursuite du recours aux tribunaux militaires d’exception est une grave erreur. En raison de leur procédure de niveau inférieur, et de leur lourd passif, Human Rights Watch ne croit pas que les décisions prises par ces tribunaux seront considérées comme légitimes, aussi bien à l’intérieur des États-Unis qu’internationalement ».

Les effets se font lourds sur la réputation de Barack Obama. Richard Hétu, correspondant de La Presse à New York depuis 1994, rapporte quelques détails d’une entrevue qu’accordait au journal The Hill le porte-parole de la présidence américaine Robert Gibbs. Ce dernier s’en prenait à la gauche professionnelle américaine qui critique le président : «  J’entends ces gens dire qu’il est comme George Bush. Ces gens ont besoin d’être soumis à des tests antidopage. Je veux dire, c’est fou ». Comme le précise Richard Hétu, The Hill fait notamment allusion, dans son article, aux retards concernant la fermeture de Guantanamo.

L’Association américaine de défense des libertés civiles (Aclu) ne se montre guère, dans un rapport dévastateur, tendre envers l’administration Obama qui « risque d’établir une nouvelle norme conforme aux pires choix de l’ère Bush » en matière de sécurité nationale. Pour bien intentionné qu’il fut, Barack Obama, qui avait promis d’interdire la torture, de fermer Guantanamo ou de garantir la transparence de son gouvernement, n’a pas cessé de modifier substantiellement et progressivement son plan de match jusqu’à l’abandonner parfois. « Malheureusement la situation s’est répétée à chaque fois pendant les premiers 18 mois de cette administration : une importante réussite a été suivie par un recul », déplore l’ACLU. Le choix de la détention illimitée sans procès pour une cinquantaine de détenus de Guantanamo est inacceptable même si l’ACLU reconnaît à l’administration « le mérite d’avoir libéré 67 prisonniers » de Guantanamo.

En janvier 2010, Michel Colomès, dans une analyse qu’il signait dans l’hebdomadaire Le Point, écrivait : « il pourrait y avoir pour Obama une bonne occasion de montrer qu’il est un vrai démocrate et de se distinguer des pratiques douteuses de son prédécesseur : que les jugements d’une justice, qui ne serait plus d’exception, mais rendue au nom de la justice américaine ordinaire, fassent le tri entre les détenus qui peuvent s’amender au prix d’une légère sanction, voire être libérés, et ceux qui doivent être condamnés lourdement pour leur participation au terrorisme. Les tribunaux d’exception, quels que soient les pays qui les mettent en pratique, ont toujours des échecs exceptionnels ».

Pour ce grand pays qui donne des leçons de justice et de démocratie, pour ce président qui a jeté une vaste lumière d’espoir et de paix sur le monde, pour cet homme qui vient des minorités visibles et qui a gravi un à un les échelons de la réussite au-delà des adversités sociales, l’occasion est ratée. Hélas !

Au Canada, le gouvernement Harper souhaitait extrader Abdullah Khadr, âgé de 29 ans, frère d’Omar Khadr, vers les États-Unis qui l’accusent d’avoir obtenu des armes au nom d’Al-Qaïda. Abdullah Khadr était détenu au Canada depuis le 17 décembre 2005, après son retour du Pakistan. Le magistrat Chris Speyer a indiqué que les autorités américaines n’avaient pas respecté toutes les règles dans ce dossier. « La somme des violations des droits humains est à la fois choquante et injustifiable », a écrit le juge Speyer dans sa décision. Et le juge de poursuivre : « compte tenu de cette faute grave, il ne peut y avoir un cas plus clair qui mérite un arrêt des procédures ». C’est pour ces raisons que le juge a ordonné la libération d’Abdullah Khadr.

Alex Neve, secrétaire général d’Amnistie internationale Canada, juge grave le comportement du premier ministre Stephen Harper et de son gouvernement : « Le refus borné du gouvernement de protéger les droits fondamentaux d’Omar Khadr n’est plus seulement embarrassant. Sur la scène internationale, la position du Canada comme pays qui défend les droits de la personne universels est devenue une moquerie ». Amir Attaran, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, se montre très pessimiste : « Les Américains sont disposés à utiliser des preuves obtenues sous la torture, poursuit-il, découragé. Ils sont disposés à utiliser des preuves provenant de témoignages qui ont été modifiés ou altérés après les faits. C’est digne de la fiction. Ça n’arrive pas dans les vrais tribunaux. Et finalement, dans les pays civilisés, les enfants ne sont pas traînés en justice pour des crimes de guerre. [...] Peu importe quand le procès débutera, la seule certitude qu’on peut avoir, c’est que les États-Unis, en allant de l’avant, violeront les exigences d’équité et de transparence nécessaires à tout processus judiciaire dans le monde civilisé ».

Et Stephen Harper se fait complice de ces dénis de justice.


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