Bilan (provisoire) du conflit Israël/Hezbollah

par Xanadu
mardi 22 août 2006

En dépit de quelques accrochages et incursions limitées, le cessez-le-feu onusien instauré la semaine dernière, a jusqu’à présent, tenu bon. Cependant, si les armes se sont tues, la tension demeure quant à elle bien palpable tandis que les deux belligérants préparent un possible second round. Aussi est-il temps de mettre à profit cette accalmie pour dresser un bilan, probablement provisoire, des affrontements qui ont fait rage entre l’État hébreu et l’organisation paramilitaire chiite durant ces dernières semaines.

Tout d’abord, sur le plan strictement militaire, et malgré les dires de beaucoup, la victoire, bien que légère, revient clairement à Israël. En effet, tant au niveau matériel qu’humain, les pertes du Hezbollah se révèlent, malgré le black-out médiatique imposé par celui-ci, incommensurablement plus élevées (approximativement de l’ordre de 6 contre un pour le nombre de combattants tués). Ces pertes sont d’autant plus importantes que c’est un arsenal et des fortifications constitués depuis plus de vingt ans qui ont été largement endommagés (309 lanceurs et près d’une quarantaine de tunnels détruits...). Et la nature propice au harcèlement des roquettes tirées par le Hezbollah - aisément dissimulables, transportables et opérationnelles - doit permettre de relativiser la puissance du mouvement terroriste au terme de ce conflit. Par ailleurs, la saignée opérée sur le réservoir humain de l’organisation d’Hassan Nasrallah ne doit pas non plus être sous-estimée. Loin d’être de simples civils ayant pris les armes, les hommes perdus par le Hezbollah constituaient l’élite - très difficilement remplaçable - de ses troupes : des combattants aguerris, très entraînés, équipés au niveau de soldats conventionnels (drones, radars, lunettes de vision nocturne...) et passés maîtres dans l’art de la guerre asymétrique. Bref, des combattants d’un tout autre niveau que les militants armés palestiniens que Tsahal, qui a perdu 116 soldats durant ce conflit, affronte quotidiennement. L’affaiblissement de la milice chiite, bien qu’insuffisant pour inhiber ses capacités de nuisance et d’influence, est donc néanmoins réel : son absence de réaction suite aux dernières opérations israéliennes est un signe qui ne trompe pas. Toutefois, si l’organisation semble pour le moment avoir regagné les ténèbres, c’est indubitablement pour préparer l’éventuel second round qui risque d’être beaucoup plus décisif et qu’elle aura certainement plus de mal à affronter.

Ceci nous amène à discuter des erreurs commises durant le conflit par le leadership politique et militaire israélien, actuellement sur a sellette. Outre la confiance bien trop importante accordée à l’outil aérien - la présence d’un membre de la Heyl Ha’Avir au poste de chef d’état major n’y est pas étrangère -, c’est la sous-estimation des capacités de l’ennemi et du facteur temps qui a constitué sa faute la plus grave. Bien que, malgré les dires de certains, les données fournies par les services de renseignements israéliens aient été relativement précises, c’est l’emploi de ces données par le commandement militaire, divisé durant le conflit, qui a été défaillant. Ainsi, selon le site d’information DEBKANews, les soldats israéliens ont critiqué leur manque de préparation et d’information quant à la nature de la menace, mais aussi le complexe de supériorité des haut responsables de Tsahal. Notons par exemple que le commandant la région militaire Nord, responsable du front libanais, fut relevé de la direction opérationnelle des forces engagées au cours des affrontements. Concernant le facteur temps, la nécessité d’un recours à une opération aéroterrestre plus massive et en profondeur a certainement été reconnue trop tardivement - à quelques jours du cessez-le feu - alors qu’une frange des officiers y était favorable dès le début des hostilités. Cependant, Tsahal a corrigé, un peu tardivement certes, son appréciation de la menace représentée par le Hezbollah et a adapté sa stratégie en conséquence. L’armée israélienne est donc désormais prête à affronter de nouveau le Hezbollah et d’en ressortir bien plus décisivement victorieuse.

Sur le plan médiatique, la victoire revient cette fois clairement au Hezbollah. Le mouvement chiite, passé maître dans la communication en temps de guerre, et aidé en cela par les frappes aériennes israéliennes spectaculaires sur les infrastructures civiles, est en effet parvenu à s’attirer les faveurs de l’opinion publique internationale ou, du moins, occidentale. “Guidant” et “conseillant” les journalistes - ce dont certains n’ont pas manqué de s’offusquer - , imposant le silence sur ses pertes ou organisant des opérations de manipulation - notamment lors des évènements controversés de Cana, sur lesquels l’Associated Press a finalement décidé de lancer une investigation. L’organisation paramilitaire islamiste aura clairement montré ses talents de communication. Et certains scandales de malversation médiatique, comme celui entourant le photographe de Reuter Adnan Hajj, n’auront pas inversé la tendance. En outre, le Hezbollah, pour avoir fait face “avec succès” à la puissance israélienne, dispose désormais d’une aura indéniable au sein du monde arabo-musulman. Par ailleurs, sur le plan intérieur, il est fort à parier qu’en l’absence d’initiative gouvernementale en la matière, les activités sociales et de reconstruction menées par la milice paramilitaire chiite renforceront son influence et son prestige. Prestige au pays du Cèdre qu’il convient toutefois de ne pas surévaluer ; la majorité des Libanais n’ayant que peu d’estime pour cette organisation parasite.

Sur le plan politique, le bilan est pour le moins mitigé. La résolution 1701, sur le papier favorable à Israël, constitue, dans les faits, une avancée très relative. En effet, alors que le désarmement du Hezbollah est affiché comme une condition expresse, le mouvement militaire chiite, qui a regagné le Liban Sud depuis l’arrêt des hostilités, a rappelé qu’il n’obtempèrerait pas. De surcroît, le ministre des Affaires étrangères français, M. Philippe Douste-Blazy, a quant à lui déclaré que l’organisation terroriste ne serait pas désarmée par la force et le gouvernement libanais prosyrien a affirmé qu’il n’userait pas des armes contre le Hezbollah, considéré par le président Lahoud comme faisant “partie intégrante de l’armée libanaise.“ Cette dernière déclaration du chef d’Etat libanais justifie a posteriori la rhétorique israélienne qui juge le gouvernement du pays du Cèdre complice de la milice d’Hassan Nasrallah. Perçue comme un tigre de papier, la force d’interposition de l’ONU, incarnation de facto de la volonté internationale, peine, quant à elle, à trouver des participants en l’absence de règles d’engagement précises et adéquates. Le spectre du Drakkar hante en outre les esprits des dirigeants occidentaux. Toutefois, si cette situation venait à se dégrader, cela légitimerait indiscutablement une éventuelle seconde offensive de l’Etat hébreu contre laquelle la communauté internationale n’aurait que très peu d’arguments à opposer, si l’on écarte l’aspect humanitaire. Cette éventualité est d’autant plus crédible que M. Ehoud Olmert est accusé en Israël de pusillanimité et d’inconséquence par la population, les travaillistes et les partis de droite, les militaires et les réservistes. Enfin, l’implication et l’influence avérées dans ce conflit de l’Iran et la Syrie auront démontré aux gouvernements occidentaux les plus récalcitrants la réalité du danger et de la vivacité de l’axe formé par Téhéran et Damas. Concernant la théocratie iranienne, ce conflit aura constitué un premier test de la détermination internationale, notamment en prévision des possibles sanctions à venir à son encontre en raison de son programme nucléaire, mais peut être au prix d’une cartouche trop rapidement brûlée, en l’objet du Hezbollah.

En conclusion, et pour reprendre les termes du secrétaire général des Nations unies, “la situation est fragile.“ Si la mince victoire militaire d’Israël a été occultée par sa débâcle médiatique, si ses erreurs n’ont été corrigées que tardivement et que la résolution onusienne risque, dans les faits, de se révéler inefficace. Il est au contraire fort probable que le second round, s’il a effectivement lieu, aura une conclusion nettement plus décisive et probablement plus favorable pour l’Etat juif. Et afin d’englober le face à face à venir avec l’Iran dans cette conclusion, cet extrait d’un billet de l’expert militaire suisse Ludovic Monnerat s’impose : “La carte Hezbollah ayant été jouée, maîtrisée, analysée et bientôt totalement contrée, elle perd son intérêt à court et moyen terme dans le jeu iranien. Au contraire, le jeu israélien reste dans l’ombre, ses capacités incertaines, sa volonté imprévisible, surtout en rapport avec un jeu américain qui peut soudain abattre ses propres cartes.”


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