Branle-bas de combat à la DCNS

par Desmaretz Gérard
vendredi 26 août 2016

Le mercredi 24 août 2016, The Australian titrait à la une : « Les Français savent-ils garder un secret ? », l'article de révéler que 22 400 pages d'informations sensibles concernant les systèmes d'armes, de communication et de navigation embarqués à bord des sous-marins Scorpène avaient « fuité » ! Cette classe de sous-marins concerne principalement : le Brésil (4 ventes), le Chili (2), l’Inde (6), la Malaisie (2), mais l'affaire pourrait avoir une incidence sur le contrat du « siècle » conclu entre la France et l'Australie pour 12 sous-marins Shortfin, classe Barracuda. « Si Washington estime que sa technologie (…) ne peut être protégée, il pourrait refuser de livrer à l’Australie son système de combat le plus avancé ». Le ministre australien de l’industrie de défense a voulu se montrer rassurant en déclarant que ce programme : « se déroule dans un cadre très strict qui régit la façon dont toutes les informations et données techniques sont gérées et seront gérées à l’avenir ». Cette affaire pourrait cependant avoir des répercussions sur les négociations en cours avec : le Canada, l'Inde, la Norvège, les Pays-Bas et la Pologne.

Le quotidien de préciser : « Si l’ennemi connaît les secrets (du bâtiment), la partie est perdue » ! En voici un exemple concret, vers la fin des années soixante-dix, un officier de l'Office Naval Intelligence (service de renseignement de la marine) eut l'idée de placer un dispositif d'écoute sur le câble sous-marin reliant le quartier général d'une base de sous-marins nucléaires située sur la presqu'île du Kamchatcka, QG de la flotte du pacifique à Vladivostok. S'introduire en mer d'Okhotsk constitue déjà une violation des eaux territoriales soviétiques, mais y découvrir un câble d'un diamètre d'une dizaine de centimètres revient à chercher une aiguille dans une meule de foin. L'officier de renseignement, un esprit imaginatif parti du postulat que l'extrémité du câble partant de la rive devait probablement y être signalée par une pancarte avertissant les navigateurs de l'interdiction d'y mouiller pour éviter tout risque d'accrochage et d'endommagement du câble.

L'US Navy choisit pour cette mission un sous-marin nucléaire appartenant à la classe Halibut. Le SSN587 était officiellement présenté comme un submersible dédié au sauvetage des sous-marins et à la récupération de matériel tombé à la mer. Il était sensé transporter dans un caisson situé sur son arrière, un petit submersible de sauvetage capable de venir se clamper sur un bâtiment échoué sur le fond. Un détail n'avait pas échappé aux spécialistes, ce submersible présentait sur son avant un renflement destiné aux projets spéciaux, et le caisson arrière abritait une chambre de décompression qui permettait aux plongeurs le travail en saturation. L'équipe des plongeurs dépendait du Submarine Developpement Groupe One, une unité créée en 1967 après diverses expérimentations de plongées profondes en saturation.

Quand le bâtiment appareilla en octobre 71, les sous-mariniers assignés à cette mission ignoraient tout de leur destination ainsi que le but de celle-ci, pratique habituelle pour les missions secrètes. Après avoir mis le cap vers le détroit de Béring pour tromper d'éventuels observateurs, le commandant donna ordre de virer de bord et de mettre le cap vers la mer d'Okhotsk. Le sous-marin arrivé sur zone longea la côte à immersion périscopique (une douzaine de mètres de profondeur) à la recherche des panneaux supposés indiquer la présence du câble. Le « Pacha » pu alors apercevoir au travers de l'oculaire du périscope le fameux panneau en tout point conforme aux prévisions de l'officier de l'ONI. Il fallait maintenant passer à la seconde phase de l'opération, la plus délicate. Les plongeurs rejoignirent le caisson hyperbare pour y respirer un mélange correspondant au « niveau vie » de la profondeur à atteindre, suivi de la mise en saturation (durée au-delà de laquelle l'organisme n'absorbe plus le gaz inerte) qui allait leur permettre de plonger plus profond, et leur mission terminée de rejoindre le caisson sans avoir à effectuer de paliers de décompression. Plonger dans des eaux glacées et à une centaine de mètres de profondeur n'a rien d'une sinécure. Un ombilic (faisceau de tuyaux et câbles) permettait l'apport du mélange respiratoire à base d'hélium, assurait la circulation d'eau chaude à l'intérieur de leur combinaison étanche, une ligne électrique pour l'éclairage, une ligne téléphonique, et une ligne de sécurité. Durant la phase de mise en saturation, le submersible balayait le fond de la mer avec son sonar et une caméra à la recherche de la localisation exacte de l'emplacement du câble. Une fois celui-ci découvert et l'endroit d'intervention parfaitement localisé, les plongeurs quittèrent l'abri de leur caisson et entreprirent de dégager le câble recouvert d'une dizaine de centimètres de sédiments et concrétions. Cette partie du câble nettoyée, les plongeurs y plaquèrent un caisson étanche contenant une batterie de magnétophones. Il était hors de question de dénuder une partie du câble et encore moins d'y procéder à une épissure sans courir le risque d'un court-circuit ou de modifier les caractéristiques de la ligne. Le système de captation reposait sur le phénomène d'induction magnétique. L'intégrité physique du câble restait intacte et il était impossible de détecter l'interception par des moyens techniques classiques ! Cette étape accomplie et les plongeurs ayant rejoint le caisson, le submersible entreprit d'aller faire des « ronds dans l'eau » un peu plus loin et en profiter pour récupérer quelques débris de tir de missiles qui tapissaient le fond. Une semaine plus tard, de retour sur le câble, les plongeurs effectuèrent une nouvelle sortie pour récupérer le caisson renfermant les magnétophones. Le SSN587 était à peine de retour à son poste, que les bandes étaient expédiées à la NSA et les débris de missiles confiés aux experts. La NSA fut stupéfaite des résultats et l'analyse des fragments de missiles allait permettre la mise en place de systèmes de contre-mesures électroniques.

Au mois d'août 72, le sous-marin appareilla de nouveau pour la mer d'Okhost avec dans ses cales un nouveau matériel d'interception et d'écoutes conçu par le laboratoire Bell, un cylindre d'une demi-douzaine de tonnes à l'intérieur duquel étaient placées des bandes magnétiques de 8 cm de large et d'un mètre de diamètre ! Le système était alimenté par une pile nucléaire qui permettait plus d’une année d’autonomie ! La mission étant classée très secrète, des charges de sabordement totalisant une centaine de kilos avaient été placées à bord du bâtiment. En cas de découverte, il était exclu que l'équipement et les membres d'équipage tombent entre les mains des Soviétiques. Si pareille aventure survenait, le commandant devait se saborder, c'est à dire envoyer son unité et son équipage par le fond ! Cette éventualité peut-elle expliquer le pourquoi de la disparition d'une demi-douzaine de submersibles jamais retrouvés ?

Le sous-marin parvenu au-dessus du câble, il fallait ballaster (répartition d'eau dans les ballasts afin d'assurer la stabilité) et mouiller deux ancres pour l'immobiliser fermement et permettre aux plongeurs de travailler dans un rayon correspondant à la longueur de leur ombilic (une trentaine de mètres). La profondeur atteignant 100 mètres, il était hors de question en cas d'incident que les plongeurs remontent en surface. Leur seule chance de survie consistait à rejoindre le caisson entreposé sur le pont du sous-marin. Plus tard et pour d'autres missions, le submersible allait être équipé de patins lui permettant de se poser sur le fond pour ne plus avoir à se maintenir entre deux eaux, manœuvre délicate ayant failli compromettre une mission et coûter la vie aux plongeurs. Quand le SSN587 eut atteint sa durée de service maximum (en 1976), il fut désarmé et revendu 30 000 dollars à un pays ami.

En 1981, les experts américains furent surpris de voir sur des photographies satellitaires, un navire soviétique positionné juste au-dessus de l'endroit où le système d'écoute avait été placé ! Quand le submersible revint sur zone pour remplacer l'écoute, quelle ne fut pas sa surprise de ne pas retrouver le système précédemment installé ! Comment les Soviétiques avaient-ils découvert le « pot aux roses » ? En prenant connaissance des distinctions accordées aux bâtiments et à leur équipage qui se vit attribuer les plus hautes distinctions dont la Presidential Unit Citation ou la Navy Unit Commenda  ? La réalité était plus simple, les Russes en avaient été informés par l'intermédiaire de deux traîtres américains, preuve supplémentaire que le renseignement humain a encore de beaux jours devant lui.

Cette aventure nous démontre que le renseignement technique ne peut se passer de l'homme et qu'aucun satellite n'aurait été en mesure de se substituer à un sous-marin ni à son équipe de plongeurs. Petite information, ce genre de missions ne se limite pas uniquement à la mer du Nord, des branchements ont été effectués en mer Méditerranée sur un câble reliant l'Europe à l'Afrique ! Les océans sont devenus depuis longtemps un champ de bataille clos où sévit la guerre secrète.

Au mois de mars 2016, la presse française nous a révélé qu'un sous-marin nucléaire lanceur d’engins russe avait été repéré en janvier dans les eaux internationales du Golfe de Gascogne au large des côtes françaises. Bref, pas de quoi affoler l'État-major de la Royale (Marine nationale). De nombreux membres des équipages de la Flotte pourraient raconter des histoires bien plus sensationnelles à condition d'enfreindre le secret défense ou tout simplement le devoir de réserve. Tant qu'un submersible russe n'a pas pénétré dans le goulet de Brest...


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