Cargos de nuit (vague n°4)
par morice
vendredi 9 mai 2008
Notre quête du marché des armes et de leur vecteur principal de transports que sont les conteneurs nous amène aujourd’hui à étudier attentivement le cas d’un pays méconnu, qui n’a pas encore 18 ans d’âge (c’est pour bientôt) et qui pourtant se révèle être la patrie de la contrebande, ou plus prosaïquement une République de gangsters, comme d’aucuns l’ont affublé. Un minuscule Etat, qui malgré l’absence de ports dignes de ce nom, s’est arrangé pour devenir la plaque tournante dans le monde du trafic illicite d’armes. Dans ce pays, tout est hors normes. Le pays lui-même fonctionne comme un gigantesque port franc, où les lois n’existent plus autres que celles qu’un pouvoir fort centralisé veut bien octroyer. Bien entendu, on a affaire à une oligarchie quasiment familiale, qui ne se soucie avant tout que de son intérêt personnel avant celui de sa population. Fait à noter également, c’est le seul pays de l’ex-Empire soviétique ayant recherché une indépendance pour mieux clamer son regret de ne plus être sous le joug de Moscou. Un masochisme intéressé, en réalité.
La Transnistrie, ça n’est pas un pays imaginaire (La Bordurie) échappé d’un album de Tintin (le sceptre d’Ottokar), c’est un pays, ou plus exactement une simple région, qui se prend pour un pays autoproclamé. Un pays autonome non reconnu par la communauté internationale, et issu des rebondissements de l’éclatement de l’ex-URSS. Quand on lui fait remarquer que son indépendance gagnée de la sorte en 1990 est assez critiquable, le pays et son président font référence inévitablement... à Thomas Jefferson et à sa revendication d’indépendance face aux Anglais. Là, c’est en fait l’inverse : la Moldavie devenue indépendante, la Transnistrie voulait rester... russe. Un pays qui s’est séparé sans regrets de l’original, donc, en l’occurrence ici la Moldavie, dont il ne représente que 11 % seulement du territoire. Sur 4 113 km2 seulement (l’équivalent des terres en Polynésie française ou la Belgique divisée par sept) autour de sa capitale Tiraspol, coincés entre le Dniestr et l’Ukraine vivent 550 000 habitants (Moldaves, Russes et Ukrainiens). À peine la population de Katmandou. Un minuscule pays « qui n’existe pas » légalement, marqué par une histoire terrible, celle d’un homme, Antonescu, le leader fasciste, surnommé parfois « le Pétain roumain », et sa terrible Garde de Fer, alliée aux troupes allemandes, qui commirent les pires exactions contre notamment les juifs du pays. Selon certaines sources, plus de 280 000 périrent ainsi, ce qui fait de la Roumanie la plus grande contribution à l’holocauste après l’Allemagne elle-même. En 1941, plus de 150 000 juifs de Bessarabie et du Bukinova furent déportés en Transnistrie. 100 000 seront tués à Odessa, Bogdanovka ou Akmecetka entre 1941 et 1942, dont certains directement par les Einsatzgruppe des SS. Ce lourd passé explique parfois le comportement de certains, aujourd’hui, dans le pays, qui voudraient prendre leur revanche contre la fin de la guerre en tentant à nouveau de propager les théories racistes d’Antonescu. Une fin qui avait vu les dirigeants roumains fascistes fusillés dès le 1er juin 1946, après un rapide procès.
En mai 2004, des tombes juives du cimetière de Tiraspol sont profanées et un cocktail molotov jeté sur une synagogue. Un journal Moldave précise l’origine des exactions, en la personne de groupuscules néo-nazis entretenus par le pouvoir, comme le clame le représentant du parti « Pro europa », Boris Asarov."Asarov claims that extremist Russian nationalist organizations in the breakaway republic (Vityaz, the League of Slavic Youth and Lutichi are supported by the MGB (the former KGB), which allegedly helps them to run training camps on the outskirts of Tiraspol. Each of these “nationalistic and chauvinistic” organizations, according to the author, have hundreds of members who “have never hidden their antisemitic views.” Mr. Asarov focuses in his article especially on the organization Vityaz, headed by former MGB special forces officer Ruslan Pogorletsky. His organization uses a swastika like symbol similar to that used by the Russian neo-Nazi group Russian National Unity .R. I. Pogorletsky has accumulated inside Vityaz a movement of ‘skinheads’... who have organized and carried out a series of terrorist acts (bombing a synagogue, an attempt to blow up the apartment of the chairman of the Jewish community, acts of vandalism in the Jewish cemetery, etc.”. D’autres confirment les liens entre partis censés représenter la jeunesse et ces groupuscules nazis :
« In 2000 the Tiraspol oppositional publication »Voice of people« reported that the colleagues of law-enforcement agencies arrested the band of killers, who tortured to death two girls, extorting from them money and values. According to the data of this publication, those arrested ones are members of the organization »Lutichi« , being part of the bloc »Young guards« . »Young guards« , presenting itself as youth and patriotic association, actively stated about itself before the local elections in 2000. (...)The members of this association bore black jackets, shaved heads. They were suspected in many unattractive things, including in the barbarous profanation of Jewish cemetery in Tiraspol. »
L’une des autres grandes figures du pays, le ministre de l’Intérieur, Vladimir Antyufeyev , est recherché quand à lui par Interpol, pour crime de guerre en Lettonie. Avant de devenir ministre, il était député russe, membre du parti extrémiste et nationaliste de Vladimir Zhirinovsky, le LDPR, à la Douma, l’assemblée nationale russe. Le pays est donc bien ouvertement mafieux et plutôt très à droite, le président autoproclamé, Igor Smirnov, ayant le soutien direct de Poutine. Moscou participe activement à la conduite du pays pour la simple raison que pas mal d’anciens du KGB sont devenus des leaders en Transnistrie. Son président actuel en étant tout simplement l’un d’entre eux. Sa famille et son clan étant au pouvoir pour des années désormais semble-t-il, les élections étant de pures formalités en cette « Sovietland » d’un genre nouveau, qui ne fait que reprendre les principes brejneviens, voire... staliniens. Mafia, ex-KGB, ministres sur liste d’Interpol, le pays a tout pour attirer les trafiquants . Et il ne s’en gêne pas, ayant le plus bas PIB d’Europe et un commerce intérieur atone. Avec une seule marque omniprésente partout dans le pays : Sheriff Ltd, qui détient aussi bien les pompes à pétrole que les bars ou la vodka de supermarché. Une marque... mafieuse, qui détient quasiment tout le pays et qui est aux mains de... la famille du président. Un népotisme évident. Ce président Smirnov étant au départ le dirigeant d’une entreprise, Elektromash, censée être une usine de moteurs électriques (qui est en réalité une usine d’armement (le pays en possédant au moins quatre). Car le pays continue à produire des armes en quantité astronomique au regard de sa minuscule taille géographique. Et ces armes, il faut bien les écouler. Quitte à se faire donner un coup de pouce parfois...
Dans le pays, une organisation nationaliste, ПРОРЫВ, PRORIV ou « Breakthrough », a été fondée par un officier de haut rang des services secrets de Transnistrie (MGB), Dimitri Soin, à l’organisation entièrement copiée sur le FSB russe (le nouveau KGB). L’homme semble passablement... dérangé. Son organisation ayant une idéologie un peu... spéciale : franchement d’extrême droite, elle voue un culte surprenant à Che Guevara, perçu comme un héros guerrier romantique, admiré par d’étranges admiratrices blondes subjuguées par le grand maître Soin. On est au bord de la dérive sectaire. Sur les sites internet de l’organisation, tous les liens mènent pourtant à des sites d’extrême droite européens, où apparaît en double notre homme en compagnie d’idéologues connus et répertoriés comme Alain de Benoist, du GRECE, à qui l’on doit le terme « pensée unique ». Ou ceux de Ratzel, sur l’« espace vital » que reprendra Hitler dans Mein Kampf. Soin est aussi le fondateur d’une pseudo-ONG, appelée Strategiya, en fait une partie de l’alliance The Young Patriots - Molodaya Gvardiya, et qui est en réalité une milice véritable, dont le passe-temps favori est d’aller détruire les bureaux des associations rivales ou des opposants politiques. Des paramilitaires, déguisés en ONG, voilà qui fait plus moderne, avec un patron portant catogan et constamment suivi par une cour de jeunes admiratrices blondes... et un quatuor de gardes du corps armés. Rien ne manque à son folklore. Notre homme, en dehors de faire dans l’inhumanitaire, fait aussi, à ses heures perdues, dans la vente d’armements. Quand il ne tue pas de ses propres mains, ayant déjà deux crimes reconnus et répertoriés par Interpol sur le dos. Faire dans la vente d’armement, et ce, sans trop de difficultés : le pays dispose du plus grand dépôt de munitions laissées par les forces soviétiques lors de leur retrait de la Moldavie. Un édifiant documentaire de Canal+ et Capa de 52 minutes de décembre 2005 montrait le contenu de l’effarant dépôt de 132 hectares de Colbasna. 45 000 tonnes d’armes à l’effondrement de l’Union soviétique, dont il reste encore 22 000 tonnes à neutraliser. « En 1999, la Russie a promis d’évacuer cet inquiétant arsenal d’ici fin 2002. En dix-huit mois, seuls trois convois ferroviaires sont partis. D’après les calculs de l’OSCE, il en faudra environ 400 supplémentaires. Si la cadence est maintenue, l’évacuation des stocks ne sera donc terminée qu’aux alentours de l’année 2150... »
Un document extraordinaire de Xavier Deleu que ce reportage, que je vous invite à consulter toutes affaires cessantes, visible ici en cinq épisodes successifs d’une dizaine de minutes. « A heaven for arms trafficking, here... »peut-on entendre dire dans le récit, où l’on voit le général Lebed, lui qui n’est pas un ange, annoncer que, dans le lot, traînaient encore il n’y a pas si longtemps des armes nucléaires tactiques. Le même Lebed qui a déjà dit ailleurs que les dirigeants du pays sont une « clique mafieuse et totalement corrompue ». IL connaît bien le pays : il a été le chef de la fameuse XIVe armée russe stationnée en Transnistrie. Un peu plus loin, on découvre Brian Johnson Thomas, un journaliste au Sunday Times, un homme qui a de la suite dans les idées, puisqu’il réussit à piéger les autorités en quelques rendez-vous pour obtenir facilement une « bombe sale ». Une « Dirty bomb », de tout petit format, annoncée pour 200 000 dollars. Avec leur vecteur de dispersion, puisqu’il reçoit en même temps une offre pour quelques missiles Alazan radioactifs, parmi les 38 du stock existant... avec comme interlocuteur exclusif... Dimitri Soin. Le tout vendu avec la signature sur des papiers officiels du ministre de l’Environnement local, Y. B. Cheban ! Interrogé, le général Bernard Aussedat, expert militaire à l’OSCE ne remet pas en cause la véracité des documents que lui remettent les journalistes : selon lui, la Transnistrie trafique clairement dans l’armement. Et même dans le nucléaire ! Johnson, spécialiste des trafics d’armes, n’en est pas à son coup d’essai : il a récidivé en 2007 en Somalie, en se faisant passer cette fois pour un représentant de l’Union of Islamic Courts (UIC), organisation liée à Al-Quaïda, auprès d’Alexander Radionov, un Russe, qui voulait lui vendre 8 tonnes d’armes, à bord d’un Antonov 12 BK N°. 8345805 de Victor Bout, et son entreprise Air Cess. Le fax reçu à Guernesey indiquait “We would like to receive in advance total amount $200,000 (£98,000) for aircraft positioning. The cost of each flight will be $50,000 plus ground expenses and fuel required. Await your reply, Regards, Alexander Radionov". Un Antonov, ou un Boeing 707, ce vieil engin numéroté 9G-OAL, numéro 19350, d’une compagnie Kyrgyze basée à Sharjah, aux Émirats arabes unis, qui aurait aussi pu servir au transfert envisagé. L’avion était démuni de tout marquage extérieur, et croisait régulièrement à Sharjah les Illyiushin 18 bien connus d’Air Cess.
Mais aussi ceux de Phœnix aviation, société américaine bien connue également. Une société appartenant à Christopher Barratt-Jolley, pilote d’un 707 qui le 16 octobre 2001 avait fait la une des journaux. L’appareil, à l’atterrissage à Southend Air Rochford, en Angleterre, venant de Jamaïque, pour « ennuis techniques » sur la route de Belgrade, ayant laissé tomber de sa porte cargo après un demi-tour rugueux un sac d’une demi-tonne de cocaïne... mal arrimé à bord du Boeing 9L-LDU. L’appareil, qui a été de tous les trafics, finira par prendre feu en plein chargement en Turquie. L’homme est un ancien baroudeur du Vietnam et de la fameuse compagnie de la CIA, Air America, selon ses propres dires (qui doivent être inventés, notre homme ayant tendance à enjoliver sa carrière !) : « He even had an »Air America« identification pass authorised by a »Commander Milroy« and supposedly issued in Tan-Son-Nhut, a US airbase during the Vietnam war ». Il avait été dénoncé cette fois par un de ses gardes du corps, Nikolai Luzaic, un ancien de la guerre des Balkans ! L’avion était enregistré en Belgique sous le nom de Red Rock Aviation, travaillant pour Koda Air, une compagnie nigérienne, et faisant régulièrement le trajet Lagos-Belgrade. L’avion avait attendu pour faire son trajet vers Belgrade, car le 11-Septembre avait rendu tous les aéroports suspicieux. En juin 1996, notre baroudeur avait également acheté un vieux Bac 111 pour « pièces détachées », l’avait en fait inscrit au Liberia (EL-ALD) sous le registre de Balkh-Airlines, et l’avait déposé à Ostende. L’appareil faisait régulièrement des trajets Bulgarie-Afghanistan, déjà à l’époque... pour fournir Rashid Dostum, un des maîtres de guerre du pays, ancien moudjahidine, devenu... membre du gouvernement Karzaï et destitué le 22 février 2008.
Un autre 707, immatriculé en Afghanistan (YA-GAF) mais sous les couleurs de « Uganda Airlines » lui, servait aussi de cargo, toujours avec comme base de départ.. Ostende. Le Boeing, saisi en 1991 par la... Yougoslavie, abandonné sur place pendant huit ans, fut scrapé en juillet 2004. Pour en revenir à Victor Bout, ses deux compagnie principales sont... moldaves, et ont pour siège Chisinau, qui constitue bel et bien donc la plaque principale du trafic d’armes par voie aérienne : « the two companies, Aerocom and Jet Line, are registered in Chisinau since 1997, respectively 2000, but they are controlled by Victor Bout. The air companies have the premises near the international airport in Chisinau. International reports mention that the regions where these two companies shipped weapons are beyond the African space, and they also include Iraq and Afghanistan. » Selon les services secrets anglais, ces avions s’arrêtent souvent sur l’ancienne base russe de Tiraspol « the British secret service researched into Bout’s travels to Transnistria. From all the information gathered on the filed, it came out that planes belonging to both companies Aerocom and Jet Line stopped in Tiraspol and in the area around Odessa for technical reasons. The stopovers were always used as a pretext for loading or unloading weapons in areas under embargo. » Ils n’étaient pas les seuls : une plus ancienne compagnie, Renan Airways, contrôlée par les frères tchétchènes Timur and Alican Mutaliev, y étaient aussi vus avec assiduité : les frères sont des amis d’enfance de V. Bout. Eux possèdent la compagnie irlandaise « Balcombe Investments Ltd », dont le sièges est à... Chisinau, le même qu’une compagnie appelée Valeologia, fondée par un autre frère... Tamerlan Mutaliev. La firme est impliquée depuis 1994 dans un trafic d’armes nucléaires et utilisait un Antonov 74, adapté aux atterrissages courts ou sur piste non préparée, et donc bien adapté au Yemen ou en Afrique centrale. « It was already proved that Renan participated into several illegal transports to the African countries between 2000 and 2002. Moreover the Renan company is also involved in weapons trafficking to Iraq. In Baghdad, reporters of the German magazine Stern have discovered in 2003 several documents that certified weapons trafficking to Iraq using companies from Syria. SES International Corporation is the Syrian company who brought to Iraq a whole production line for Kalashnikov ammunition, previously bought from Balcombe Investments from Moldova for 8.7 million dollars. »
En 2001, le services secrets anglais dénonçaient l’activité d’un compatriote, Mark Garber le directeur de Fleming Family and Partners. C’est, sept ans après, la suite de l’arraisonnement d’un cargo, le Jadran Express, à Venise. À bord, 30 000 AK47 kalashnikov, 400 missiles guidés, 10 000 roquettes pour RPG-7 et 32 millions de cartouches... L’une des plus belles prises du genre. Les armes étant soupçonnées de provenir de... Biélorussie cette fois (qui n’a pas d’accès à la mer) :« 133 containers with weapons purchased by Global Technologies International from BelarusVneshExport, a company that no longer exists, were found on board this ship. Officially, the vessel was going to Lagos, and the Eastronicom Company, ostensibly working on behalf of the local government, appeared to be the addressee of the cargo. But soon it was discovered that the governmental certificate given to the company was false. As a result Streshinsky appeared on the international wanted list. He was detained in 2001 in France and deported from there for investigation and trial to Turin, Italy ». Parmi les arrêtés, un Belge d’origine hongroise Geza Mezösy, qui est alors « accusé d’avoir eu recours à de faux certificats d’utilisateur final dans le cadre d’importants trafics d’armes vers la Croatie et la Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1994. Alors sous embargo du Conseil de sécurité de l’ONU, comme toute l’ex-Yougoslavie, ces deux pays étaient alimentés par voie maritime par la mafia ukrainienne. Selon divers journaux, le rôle de Mezösy était de fournir de faux certificats, délivrés au nom du Maroc, du Soudan, de l’Égypte et du Nigeria. »
L’Alazan du dépôt de Colbasna n’est pas une fusée comme une autre. Au départ, ce n’est d’ailleurs pas un missile militaire. C’est une fusée météorologique, chargée d’éliminer le risque de grêle, par ensemencement des nuages à l’iodure d’argent, un procédé expérimenté dans les années 60 et qui semble avoir fait depuis ses preuves. En Russie, une entreprise pyrotechnique la fabrique toujours, c’est la « CHEBOKSARY PRODACTION ASSOCIATION NAMED AFTER V.I.CHAPAEV”, née pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle fabrique toujours les recharges anti-grêle. Le procédé de l’ensemencement est actuellement étudié par la Chine, qui redoute des pluies lors des jeux Olympiques, et qui voudrait les éviter. Le Burkina l’a déjà tenté depuis plusieurs années avec son programme Saaga. Dans l’esprit de certains militaires, cette faculté d’ensemencer a donné l’idée d’équiper certaines têtes de missiles de matériaux radioactifs : le meilleur moyen et le plus économique de provoquer une attaque nucléaire sans avoir recours à une bombe ou à une explosion était né. Ou comment irradier toute une région aux moindres frais. Le missile étant de petite taille et étant très facile à mettre en œuvre, on voit tout de suite l’intérêt pour un groupe terroriste d’en posséder quelques exemplaires. Or, dans l’inventaire du dépôt de Colbasna, certains manquent bel et bien à l’appel. Où sont-ils passés, nul ne le sait à cette heure. Associée à l’idée de mini-bombes »sales", la disparition de l’engin a de quoi terrifier.
Pour écouler les armes du dépôt de Colbasna, pour les évacuer, il y a bien le terrain d’aviation de Tiraspol, hérité de l’armée soviétique, ou de la ville moldave d’à côté, Chisinau, mais aussi... les ports de la mer Noire. "If you have 6 missiles made by the Soviets and they get from the Ukraine to Iran is it an illegal transaction ?” retourne à l’envoyeur Oazu Nantoi, le directeur du Public Policies Institute à Chisinau. “Weapon smuggling is very easy to do by train, by road to the harbors of Odessa and Ilichevsk”. À Odessa, où les armes sont transportées par Ascoflot Shipping enregistrée au Panama. Odessa ou plutôt Ilichevsk en Ukraine, où Ascoflot dispose d’un quai enregistré au nom de la société, elle-même domiciliée à Chisinau... en Moldavie. Depuis 1993, disposant de 6 cargos, Ascoflot n’a pas payé un seul droit portuaire en ayant pourtant réalisé un chiffre d’affaires d’1,2 million de dollars. Une carte du pays démontre pourtant bien que l’essentiel du trafic routier du pays descend vers... Odessa.
Au final, les États européens « bloquent » tous sur le cas de la Transnistrie, car ils ne veulent pas lui reconnaître d’existence officielle, et se retrouvent eux, bloqués, avec le cas du contrôle de la destruction des armes qui y subsistent encore. Le plus bel exemple de cet embarras, c’est le refus des Transnistriens il y a six ans de mettre en place les coûteuses chambres de détonation fournies par l’OSCE pour faire exploser certaines bombes sans provoquer de catastrophe écologique. La première chambre Donovan T-10, fabriquée par la société US Demil (devenue CH2M Hill), arrivée à Odessa le 13 avril 2002 puis remontée par camion à Colbasna s’est vu refuser l’entrée du camp par les milices nationalistes du pays de Dimitri Soin. L’engin est retourné à Chisinau, où il est resté sous tente gardée pendant des mois. Depuis personne n’a pu vérifier son usage, qui aurait permis d’augmenter sensiblement les cadences de desctruction. Les deux autres chambres prévues n’ont jamais été envoyées. Les longues frontières (800 km à surveiller !) avec la Moldavie et l’Ukraine sont de vraies passoires car tout le monde profite des échanges, le dépôt gigantesque se vide, certes, mais surtout au rythme des ventes illégales aux marchands d’armes, et non selon celui des destructions envisagées et souhaitées. Les ventes d’armes et leur acheminement par avion ou par conteneur via la mer Noire ont encore de beaux jours devant eux. Les gouvernements y participent, comme l’avouait Victor Bout dans une interview célèbre au New-York Times : « ’’My clients, the governments,’’ he began. Then, ’’I keep my mouth shut.’’ La communauté internationale demeure un peu trop silencieuse sur le cas de la Transnistrie, qui reste avec Kaliningrad, l’abcès de l’europe. Car pour la Transnistrie, un autre problème s’ajoute à celui décrit ci-dessus : »Sur 700 000 personnes ayant fui le pays pour raisons économiques - un tiers de la population active - au moins 100 000, et peut-être 200 000, sont des jeunes femmes de 15 à 25 ans tombées dans les filets de la mafia de la prostitution« . »Aguichées par des rabatteurs de village, ces gamines naïves s’expatrient contre la promesse d’un travail à 500 ou 600 dollars« , explique Mariana Petersel, présidente de l’ONG Salvati Copiii. Séquestrées, violées, battues, vendues sept ou huit fois, elles travaillent aujourd’hui dans des bordels d’Italie (30 000 Moldaves), d’Israël, de Grèce, de Turquie, mais aussi au Kosovo. » Décidément, c’est bien le pays de tous les dangers.
La fois prochaine nous avancerons plus encore dans l’Europe des Balkans et reviendrons sur le problème des matériaux fissiles, avec le cas du port d’Anvers, qui lui aussi en fait circuler abondamment sans que la population avoisinante n’ait été mise au courant. Et nous évoquerons également à nouveau Odessa, le port du poulet congelé, entre autres sources d’approvisionnement financier d’une mafia locale omniprésente, et dans lequel Victor Bout, " the McDonald’s of arms trafficking" a aussi trempé, au Nigeria comme en Afrique du Sud. L’Ukraine est un autre axe important du trafic mondial des armes, grâce au dénommé Leonid Minin, le pendant ukrainien de Victor Bout, et l’on comprend pourquoi sous couvert de "révolution orange" les Etats-Unis s’y intéressent tant. L’enjeu géostratégique, ici, est primordial. ’’Eight hundred shipping containers are off-loaded at the port every day. Among other contraband like cigarettes and bootleg pharmaceuticals and CD’s, weapons are smuggled in and then transferred from ship to ship or ship to plane. ’’We’ve had a hundred seizures of radioactive material over 10 years,’’ précise un des pilotes de Bout au New-York Times, au cas où on ne comprendrait pas que ce port d’Odessa est LA plaque tournante de tous les trafics de la région...