Cassandre : Berlin 1989, Europe 2025, Mémoire profanée, Épisode 2 « L’oubli des 27 millions et le cynisme diplomatique »
par Cassandre G
vendredi 2 mai 2025
Dans cet Épisode 2, Cassandre prolonge son combat contre le Mémoirel, cette machine silencieuse qui broie la mémoire, dévoilée dans Épisode 1. De Berlin 1989, où l’amnésie naît dans la liesse, à l’Europe de 2025, qui réarme à coups de milliards et bafoue les accords de Minsk tout en oubliant les 27 millions de morts soviétiques, ce texte est un cri prophétique contre la trahison de l’Histoire. Ni fiction, ni essai aride, il murmure les vérités proscrites pour ceux qui refusent l’oubli organisé.
« Le passé qui ment, le présent qui triche, le futur qui oubliera. »
Le Mémoirel n'est pas une théorie. C'est une machine silencieuse qui broie la mémoire, réécrit l'histoire, exile les lucides. Ce n'est pas un complot. C'est pire : une œuvre collective, un consentement diffus, une fatigue complice. Pour comprendre, il faut raconter…
Berlin 1989 : L’Illusion d’un triomphe
L'oncle de Cassandre, alors jeune homme, avait fait la route depuis Paris avec des amis pour vivre ce qu'ils croyaient être la fin du siècle de fer, de larmes et de sang. Ils arrivèrent à Berlin le jour même de la chute du Mur.
Dans le froid vif de novembre, au milieu des Trabant brinquebalantes, des brèches colorées dans le béton, des roses tendues aux soldats abasourdis, ils crurent vraiment que l'humanité, enfin, venait de triompher de ses vieux démons.
Ils étaient jeunes, idéalistes. Ils étaient naïfs. Mais ils étaient insensément sincères.
Sur le chemin du retour, attablés dans un restaurant d'autoroute, l'oncle de Cassandre regarda autour de lui. Parmi tous ces Allemands bruyants, sexagénaires en liesse, fêtant l'ouverture du monde. Et soudain, la pensée le frappa, violente, impardonnable, gravée par les larmes de son histoire familiale.
Le calcul était simple : en 1989, la Seconde Guerre mondiale était finie depuis quarante-quatre ans. Ces hommes et ces femmes, aujourd'hui à peine grisonnants, avaient vingt ans en 1945. Ils avaient été, probablement, soldats. Ils avaient été, vraisemblablement, membres des Jeunesses hitlériennes. Peut-être plus — l'innommable, le crime imprescriptible.
Peut-être avaient-ils marché dans la boue de Pologne, d'Ukraine, de Russie et de Biélorussie, là où 25 % de la population avait disparu. Peut-être avaient-ils serré la main sanglante des bourreaux.
Qui étaient-ils vraiment ? Les résistants, à cette époque, étaient rares. Que portaient-ils encore en eux ? Dans quelle mesure ce passé pouvait-il être effacé d'un sourire et d'une bière partagée ?
L'oncle, déjà, pressentait que cette liesse masquerait une amnésie, que les silences de 1989 préfiguraient ceux d'un futur 9 mai, où l'Europe, en 2025, célébrerait la victoire sur le nazisme tout en taisant les sacrifices soviétiques et en réhabilitant des ombres criminelles.
L'oncle — à une époque où Cassandre n'était pas encore née — osa poser la question. Ses amis l'écoutèrent, gênés. Puis repoussèrent sa parole d'un haussement d'épaules. « C'est du passé », disaient-ils. « Aujourd'hui est un jour de paix. »
La parole lucide fut classée : inopportune, déplacée, malsaine. Déjà, le Mémoirel agissait.
Le Mémoirel : Une machine à oublier
Le Mémoirel n'est pas une censure brutale. Il ne brûle pas les livres. Il ne fusille pas les penseurs. Il réécrit doucement. Il sélectionne, requalifie, purifie. Le Mémoirel n’est pas propre à une époque ou un lieu : il est la tentation éternelle de l’humanité de fuir la vérité pour le confort de l’oubli.
Le passé devient un roman d’édification : les douleurs, les complicités, les crimes sont aplanis, nettoyés. En Occident, le soft power façonne une Seconde Guerre mondiale de héros alliés, où les 27 millions de morts soviétiques — ce sacrifice qui a brisé la machine nazie — s’effacent en murmure sous des récits calibrés comme Il faut sauver le soldat Ryan. Pourtant, la vérité brute de Va et regarde*, requiem biélorusse sans compromis, ou de Nuit et Brouillard*, cri en noir et blanc de 1956, fracasse ces mensonges et révèle l’horreur sans fard.
Et le 9 mai 2025, sous les discours policés, elle risque de devenir une parade vide, où les responsabilités sont révisées, où les morts sont oubliés, confirmant les regrets de l'oncle : l'Histoire est trahie. Le présent triche en feignant de croire à ce récit. Le futur oubliera, parce que se souvenir serait trop inconfortable.
Le Mémoirel prospère par accord tacite. La majorité consent : par fatigue, par confort, par peur d'être celle qui gâche la fête. Ainsi, les voix discordantes ne sont pas exécutées — elles sont rayées. Regardées comme fâcheuses, réduites à complotistes, disqualifiées avant même d'être entendues.
Le bannissement n'est plus un supplice. C'est une humeur sociale. Un glissement collectif qui isole celui qui persiste à poser la mauvaise question, à rappeler la tache sous le vernis. Être Cassandre aujourd'hui, c'est vivre au bord du silence.
2025 : La mémoire trahie
Aujourd'hui, l'oncle de Cassandre regarde le monde et sent la même nausée. Non seulement les fautes du passé sont effacées, mais elles sont inversées.
On enseigne que la paix de 1945 fut le triomphe exclusif de l'Ouest, oubliant les millions de morts soviétiques — ces 27 millions d'âmes dont l'effacement progressif des mémoriaux et des commémorations est déjà visible dans certains pays d'Europe de l'Est.
On prépare le 9 mai 2025 comme une célébration biaisée, où des propositions de trêve sont rejetées sous l'influence d'un cynisme stratégique préférant la guerre à la mémoire, confirmant les craintes de l'oncle : l'amnésie de 1989 n'était que le prélude à une trahison plus grande.
On réarme l’Europe par un miracle budgétaire de 800 milliards — somme colossale débloquée en quelques jours pour les arsenaux, quand chaque euro pour la paix semblait introuvable — comme si les guerres du XXᵉ siècle n’avaient laissé nul avertissement. On prône la paix, on accuse l’autre camp de bellicisme, on feint la diplomatie, tout en bafouant les accords de Minsk et en livrant chars Leopard, missiles SCALP et Storm Shadow, comme si l’Histoire n’existait plus et ces armes n’étaient pas létales.
On repeint les anciens collaborateurs en héros de la liberté — voyez ces statues déboulonnées hier, réhabilitées aujourd'hui. La Bête n'est pas morte — le totalitarisme, le nationalisme fanatique. Elle a simplement changé de costume. Et ceux qui, comme lui, s'en souviennent, sont écartés, moqués, taxés d'archaïsme ou de trouble-fête.
Le Mémoirel, aujourd'hui, est une technologie de l'oubli. Avec l'IA aux sources exponentielles filtrant l'information — algorithmes qui noient les vérités gênantes sous des montagnes de contenus calibrés, qui relèguent aux dernières pages de recherche les archives dissonantes. Avec les médias dominants qui pratiquent non pas la censure, mais l'asphyxie sélective des récits alternatifs, réécrivant le passé en temps réel.
Résister : Un acte de fidélité
Résister au Mémoirel, ce n'est pas tant lutter contre un ennemi extérieur. C'est refuser de collaborer intérieurement.
Refuser le sourire forcé devant les récits mensongers. Refuser le silence qui entérine l'effacement.
Refuser de laisser le réel être redessiné par la paresse et la peur. Conserver un journal, transmettre une histoire, poser une question interdite : chaque geste de mémoire est une victoire contre le Mémoirel.
Cassandre n'a pas été tuée. Elle a été moquée, ignorée, rendue inaudible.Tel est le sort de ceux qui résistent au Mémoirel : Le bannissement, La solitude, Le luxe amer de la lucidité. Mais aussi — parfois — la dignité d'avoir été fidèle à ce qui fut.
Petit Manuel d’Amnésie Organisée
L'oubli sélectif : Ne rien nier, mais enterrer. Ensevelir sous des urgences médiatiques, des mantras de "résilience citoyenne", des campagnes TikTok pour l'Ukraine en mode story rabâchage — flux hypnotique de vidéos répétitives, de slogans vides, de danses frivoles sur des ruines encore fumantes.
Alors que depuis 2014, des centaines d'enfants du Donbass ont été tués sous les bombardements de l'armée de leurs soi-disant compatriotes ukrainiens— une guerre fratricide orchestrée depuis des bureaux climatisés — leurs noms sont effacés des écrans par le Mémoirel, cette pathologie du pouvoir qui transforme les technocrates en pervers narcissiques de l'Histoire.
Ce texte ne juge pas un camp, mais pleure toutes les victimes oubliées, car la mémoire sélective est la première trahison de l’humanité.
Car comment expliquer autrement ces décisions ? 800 milliards votés en 48 h pour armer l'Europe,
Les propositions de trêve rejetées par des sourires cyniques, Les peuples russe, ukrainien et européen traités en cobayes d'une guerre par proxy où seuls les architectes financiers de l'armement trouvent leur compte — ces conglomérats dont les actions grimpent à chaque nouvelle livraison de missiles.
Leur déni n'est même pas idéologique. Pire, c'est une psychose de caste : Ils se croient immunisés contre le réel, claquemurés dans leurs certitudes néolibérales comme dans un bolide blindé fonçant vers l'abîme. Des fous en costumes et breloques militaires qui administrent l'asile, persuadés que l'apocalypse sera « business-compatible », réanimant l'économie sous le masque de ce qu'ils nomment eux-mêmes, sans pudeur, leur « nouvelle ère » — cette reconfiguration du monde où la catastrophe devient opportunité d’investissement.
Lettre à Ceux qui Se Souviennent
À vous, les veilleurs silencieux, les âmes en exil intérieur, qui portez en vous ce que d'autres effacent. À ceux qui sentez, au détour d'un mot falsifié, d'un souvenir amputé, l'odeur aigre et nauséabonde de la trahison et du refoulement.
À vous, qui refusez d'oublier — non par vengeance, mais par fidélité. Qui savez que le passé n'est pas un poids mais une boussole. Qui comprenez que l'oubli organisé est toujours la prémisse des pires recommencements.
À vous, qui, face au 9 mai 2025, sentez les regrets de l'oncle de Cassandre résonner, quand l'Europe réécrit la victoire, quand des provocations mémorielles souillent les morts, et quand une trêve est rejetée par cynisme.
À vous, qui continuez de regarder les visages, les dates, les pierres, les éclats de marteaux sur les brèches du Mur de Berlin, et osez murmurer les vérités proscrites, même quand personne ne veut plus les entendre.
Ne pliez pas. Ne croyez pas que votre lucidité est vaine. Elle est une étoile dans la nuit glaciale.
Elle guide les consciences. Elle est ce qui empêchera — peut-être — que l'Histoire ne devienne qu'une parodie sans mémoire.
Vous n'avez pas besoin d'être nombreux. Vous avez besoin d'être inébranlables. Soyez les Cassandre du présent. Soyez la voix ténue qui subsiste quand tout s’effondre. Soyez ce fil invisible qui relie les morts sacrifiés aux vivants lucides.
Car un jour — un jour que nous ne verrons peut-être pas — On cherchera, dans les décombres, des traces de vérité. Alors, ils auront bonne mine, ceux qui auront trafiqué l'Histoire par idéologie. Et ils rougiront, ceux qui, en 2025, auront préféré la guerre à la mémoire.
Et ce que vous aurez gardé vivant en secret sera, comme l'explique Boris Cyrulnik dans ses travaux sur la mémoire traumatique, votre résilience, votre petite voix retrouvée, venue du fond de votre gorge étranglée. Ne vous taisez pas. Même si personne ne vous écoute. Surtout alors.
Cassandre, printemps 2025.
Légende du visuel : Le Mur de Berlin en 1989, capturé par l’oncle de Cassandre : un espoir trahi par le désespoir de 2025, où le Mémoirel efface l’Histoire.
*Requiem pour un massacre (1985, Elem Klimov), AlloCiné, https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=2688.html.
*Nuit et brouillard (1956, Alain Resnais), AlloCiné, https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=2567.html.