Catastrophe routière, sécurité ferroviaire...
par Bruno de Larivière
samedi 20 février 2010
Quelques jours après la collision entre deux trains en Belgique (à Hal), il convient de prendre du recul. En terme de transport, c’est la route qui tue. Discrètement, mais sûrement. Le contraire de ce qu’exposent les médias.
Car un chiffre englouti dans l’introduction de la conférence mérite réflexion. En Belgique, 550.000 véhicules circulaient en 1950, pour 6.500.000 en 2009. Plus il y a de voitures, moins il y a d’accidents mortels ? Dans le premier cas, on obtient un rapport de 1 mort pour 523 véhicules. Dans le second, 1 mort pour 7.030. Je conviens de bonne grâce que ces chiffres ne signifient rien en eux-mêmes. C’est cependant une façon de rendre compte de la dilution des accidents mortels. Pourquoi ne pas le reconnaître également, ces calculs devraient amener les professionnels de la sécurité routière à tempérer leur enthousiasme. Certes, les automobilistes ne grillent plus les stops, respectent le plus souvent les limites de vitesse et demeurent sobres (en règle générale). Mais les véhicules sont beaucoup plus sûrs, grâce aux efforts continus des industriels. A qui n’est pas convaincu, je recommande le tableau des statistiques belges.
Les trois années durant lesquelles le nombre de morts sur la route a dépassé le seuil symbolique des 3.000 ont été 1970, 1971, et 1972. Il y a là un renseignement précieux, car les courbes françaises collent presque complètement aux courbes belges [Ined]. Au début des années 1970, la hausse spectaculaire du prix des carburants a peut-être autant influé sur la façon de conduire des Occidentaux – en les incitant à lever le pied – qu’une politique de sécurité routière. Du reste, si celle-ci primait, cela signifierait que les Belges, citoyens français bis, auraient obéi aux lois françaises. Cela n’a pas de sens. Lors de sa conférence, Etienne Schouppe ajoute un argument supplémentaire. Les périodes au cours desquelles se regroupent les accidents ne se répartissent pas équitablement dans le temps. Les deux journées du week-end (28 % du temps) ont concentré 40 % des tués sur la route en 2009. De fait, moins de véhicules circulent le week-end que pendant le reste de la semaine, mais le code de route ne varie pas selon les jours !
Les amateurs apprécieront la compilation des données. Je m’en tiens là, tirant ici de la faible baisse du nombre des blessés (- 2,3 %) l’idée que l’espoir d’une diminution de la mortalité routière est illusoire. Là, je regrette le mauvais goût du fonctionnaire francophone. Il veut visiblement mettre en avant les Wallons vertueux par rapport aux Flamands. On constate effectivement une diminution plus rapide du nombre des tués dans le premier cas que dans le second. Il esquive pourtant le rapport de force démographique. La Belgique compte 6,1 millions de Flamands, 3,4 millions de Wallons, et 1 million d’habitants dans la région de Bruxelles [Ined]. Contrairement à la présentation des faits, en 2008, les premiers meurent moins que les seconds : un mort sur la route pour 12.551 Flamands, contre un pour 8.272 Wallons (dans la région de Bruxelles, la plus urbanisée, on déplore un mort pour 40.000 habitants !). Etienne Schouppe crie donc victoire à tort. Ce détail en dit long sur l’ampleur des complexes d’un fonctionnaire francophone.
Non content de divulguer ses données, Etienne Schouppe termine par les recommandations usuelles, tellement répétées qu’elles ressemblent à des slogans pavloviens. Qu’attend-il du gouvernement ? Qu’il améliore les infrastructures et la sécurité des véhicules. Cette politique a justement incité les Belges à passer de 550.000 à 6,5 millions de véhicules en un demi-siècle. Qu’attend-il de ses concitoyens ? Qu’ils respectent davantage les règles de circulation. La sérénade est connue : Retroussons nos manches : la sécurité routière, c’est l’affaire de tous. Mesure-t-on néanmoins l’effet produit ? J’aimerais le savoir. En France, plus les campagnes de publicité stigmatisant la vitesse excessive ou la consommation d’alcool de l’automobiliste ont été intenses et répétées, moins le nombre de morts sur la route a fléchi [source]. Il ne s’agit pas ici - faut-il le préciser ? - de défendre un nihilisme routier. La question n’est pas là. Demeurent les objectifs, le chiffre de mille correspondant pour la sécurité routière belge à un seuil présenté comme mobilisateur, sans que l’on sache si cela fonctionne, et jusqu’à quel point.
Mais les symboles ne naissent pas forcément sur commande. Un accident de train est malheureusement venu chambouler la stratégie précédente. En une poignée de secondes, la catastrophe de Hal, dans la région bruxelloise, a accaparé les grands médias. Ce lundi 15 février, 17 personnes ont péri. Des dizaines souffrent de blessures graves. Le bilan va sans doute s’alourdir. Il repousse dans l’ombre les slogans de la sécurité routière et met en lumière le transport collectif dans ce qu’il a de pire. Le train deviendrait dangereux, alors qu’il est déjà accusé de manquer de ponctualité, ou de forcer les voyageurs à se supporter mutuellement dans une promiscuité plus ou moins acceptée. Le symbole apparaît ici dans toute son injuste splendeur. Car le train est remarquablement sûr. En Belgique, il n’y aura probablement en 2010 qu’une vingtaine de morts (?) sur rail, pour 750 - je reprends à mon compte l’objectif d’Etienne Schouppe - sur la route. Croit-il, ce fonctionnaire, que la voiture passera pour ce qu’elle est, mortifère ? [Au pays des illusions...]
En attendant, la vie politique reprend le dessus de l’autre côté de la frontière... L’équipe de direction des chemins de fer belge met en cause la Commission de Bruxelles, pour cause de retard dans l’harmonisation des règles de sécurité à l’échelle de l’Union. C’est un comble [Le Monde]. Le ministre - président de Flandres a préféré s’attrister depuis son lieu de déplacement américain d’un « jour noir pour la Flandre ». On imagine sans peine des déclarations réfrénées à l’occasion du récent séisme de Port-au-Prince, ou lors des attentats du 11 septembre. C’est du même tabac que la malheureuse exclamation de Raymond Barre le soir des attentats de la rue des Rosiers. Fort heureusement, le premier ministre et le roi de Belgique ont montré par leur présence qu’ils partageaient la peine de leurs concitoyens, toutes langues confondues. Kris Peeters a préféré poursuivre son périple en Californie. Question de symbole, sans doute... [RTLTV]
PS./ Geographedumonde sur la Belgique : En Belgique, ne pas confondre ‘arène politique’ et ‘panier de crabes’, Les ’divorces de raison’ plus rares que les mariages d’amour, Admirer la Sambre filer vers Namur et Maastricht, Belges, belgitude et belligérance. Sur le train : La grande barrière du Corail.
Incrustation : panneau à la Réunion...