Ce qu’a révélé la tournée asiatique de Barack Obama
par Joaquim Defghi
vendredi 2 mai 2014
Le président américain s’est rendu lors d’une grande tournée de printemps au Japon, en Corée du Sud, en Malaisie et aux Philippines, afin d’entamer réellement ce qu’il a lui-même qualifié de « pivot vers l’Asie ». A cause du mur budgétaire l’an dernier, il avait été contraint de reporter ce déplacement dont le but avoué consiste à contrer la montée en puissance de la Chine.
Avant d’évoquer le contenu des échanges diplomatiques, regardons simplement une carte : Le Japon, la Corée du Sud, la Malaisie et les Philippines forment une sorte de barrage maritime face à la Chine. Leur position géographique illustre déjà la stratégie d’endiguement américaine. Autre élément intéressant dans l’organisation de la tournée : Barack Obama a respecté l’ordre décroissant des PIB nationaux de ses hôtes (Japon, Corée du Sud, Malaisie, Philippines).
Soutien militaire inédit et âpres négociations pour le traité transpacifique au Japon
Le Japon fut donc le premier pays à accueillir la délégation étasunienne. Avant même d’atterrir sur le sol nippon, une première déconvenue attendait les américains : le partenariat transpacifique avait peu d’espoir d’aboutir à la signature d’un accord, ce que Shinzo Abe, le premier ministre japonais, confirma à son invité le soir même.
Il existe une différence majeure entre les partenariats transatlantique et transpacifique : le premier est négocié dans le secret tandis que le second fait l’objet de débats rapportés régulièrement dans la presse japonaise. Ainsi, le non qu’a opposé M. Abe au président américain résultait d’une tension interne manifestant que le premier ministre japonais écoute son peuple. Malgré tout, l’optimisme reste de mise des deux côtés pour aboutir sous peu à une signature.
Barack Obama n’a pas tenu rigueur à Shinzo Abe pour ce prolongement des négociations. Il a déclaré que les Etats-Unis, à cause d’un traité de sécurité, sont tenus de protéger le Japon dans le conflit qui l’oppose à la Chine au sujet des îles dans l’est de la mer de Chine. Bien qu’il ait atténué un peu son propos pour ne pas déclencher une trop grande ire chinoise, c’était la première fois qu’il affirmait ainsi son soutien militaire au Japon dans cette affaire. La réplique de la Chine fut immédiate et réprobatrice.
Pendant ce temps au Moyen-Orient
La seconde déconvenue du président américain ne concerna pas le Japon mais Israël. Suite à la réconciliation entre le Hamas et le Fatah, les Israéliens ont voté jeudi d'avant à l’unanimité l’arrêt des pourparlers avec les palestiniens. Après l’investissement conséquent de John Kerry depuis un an dans les négociations, cela représente un camouflet d’envergure pour la diplomatie américaine.
A ce sujet, le New-York Times rapporte les paroles de Shlomo Brom, chercheur à l’Institut d’Etudes pour la Sécurité Nationale à Tel-Aviv : « Ce qui va arriver maintenant est la routine habituelle : Israël va tenter de punir les palestiniens ; les palestiniens vont se plaindre ; Israël ne va pas réellement punir les palestiniens, parce qu’il ne peut pas se permettre un effondrement de l’autorité palestinienne. Donc ce sera un nouvel épisode dans cette histoire sans fin ».
Corée : sanctions peu utiles, tensions avec le Japon
Passées les condoléances pour la catastrophe du ferry, le voisin nord-coréen a focalisé l’attention du président américain : « il est important pour nous d’envisager de nouvelles manières pour mettre la pression sur la Corée du Nord, plus de sanctions plus incisives ». Dans un même temps, il a reconnu que la pression diplomatique serait de peu d’efficacité avec un gouvernement qui ne respecte pas les règles du jeu internationales. « La Corée du Nord est déjà le pays le plus isolé du monde, nous n’allons pas trouver un remède miracle en une nuit qui résoudrait ce problème ».
Transiter par la Corée du Sud, qui est le pays asiatique qu’Obama a le plus visité en tant que président, relevait de l’obligation. En effet, des tensions entre le Japon et la Corée du Sud ont été avivées suite à des déclarations de partis nationalistes de droite japonais, minimisant l’esclavage sexuel imposé par les japonais à des femmes coréennes au cours de la seconde guerre mondiale. M. Abe a ajouté de l’huile sur le feu en disant qu’il réexaminerait les preuves utilisées pour des excuses officielles faites en 1993.
Pendant ce temps en Chine
Figurez-vous que pendant ce temps, le premier ministre chinois Li Keqiang recevait le président républicain de la chambre des représentants, Eric Cantor. M. Keqiang a vivement encouragé les Etats-Unis et la Chine à se respecter mutuellement afin de promouvoir un développement solide et stable des relations sino-américaines. « Les Etats-Unis et la Chine ont plus d’intérêts communs que de conflits ».
Li Keqiang a demandé d’assouplir les restrictions sur les exportations chinoises de produits de haute-technologie et de favoriser un environnement concurrentiel juste pour que les compagnies chinoises puissent investir aux Etats-Unis. Ces paroles rappellent, en plus des traités en cours de négociation, combien le libéralisme américain est une légende.
Parallèlement à cette visite, la Chine a rendu publics 89 documents datant de la seconde guerre mondiale et détaillant les atrocités commises par les troupes japonaises. Cette communication répond également aux provocations de type négationniste faites par la droite nationaliste japonaise.
Suite de la tournée en Malaisie et aux Philippines
En plus du traité transpacifique, le passage en Malaisie de Barack Obama, le premier d’un président américain depuis Lyndon B. Johnson en 1966, avait pour objectif de souligner l’agrandissement des libertés dans ce pays. Ceci bien que l’ancien premier ministre M. Anwar, acquitté en 2012 après six ans de prison pour accusation de sodomie, se trouve à nouveau poursuivi pour les mêmes charges, la presse dénonçant des motivations politiques.
Avant même d’atterrir à Manille, le gouvernement américain pouvait annoncer la signature d’un accord de défense permettant aux Etats-Unis d’amplifier leur présence sur le territoire philippin. Or, la tension est grande entre les Philippines et la Chine à cause de querelles territoriales portant en particulier sur les zones de pêche. Selon le site Chine.org : « en avril 2012, un navire de guerre philippin est entré dans les eaux de l’île Huangyan, sous prétexte d’en « sauvegarder la souveraineté », et a harassé des pêcheurs chinois qui s’étaient abrités d’une tempête dans un lagon. Les relations entre la Chine et les Philippines ont ainsi tourné mal. »
La réaction chinoise, une fois de plus, ne s’est pas faite attendre, malgré les propos toujours rassurants de Barack Obama disant qu’il ne cherche pas à « contenir » la Chine. Le ministre chinois des affaires étrangères a ainsi rétorqué : « la Chine a constaté que des responsables américains avaient fait des déclarations similaires à différentes occasions ». Il a également souligné que la Chine surveillerait les propos et les agissements des Etats-Unis.
La BBC a rapporté suite à cette visite que des « activistes » anti-US devaient intervenir pendant la visite d’Obama pour manifester leur désaccord avec une présence américaine renforcée mettant à mal la souveraineté du pays. Peut-être ont-ils été refroidis par la manifestation du 23 avril où des policiers armés de matraques et de boucliers les ont copieusement arrosés :
Obama justifie sa politique étrangère
Rattrapé par les tourments en Ukraine et au Moyen-Orient, Barack Obama s’est vu obligé de défendre en fin de tournée aux Philippines sa politique étrangère. Il a commencé par dire que ceux qui le critiquent ont oublié de tirer les enseignements de la guerre en Irak. Ses décisions visent à satisfaire les priorités américaines ; et même si elles peuvent manquer de l’aspect dramatique d’une présidence en temps de guerre, elles permettent d’éviter de ruineuses erreurs.
Il a catégoriquement rejeté le portrait d’un homme inefficace face à la Syrie brossé par les républicains. Il a opposé la coalition internationale que les Etats-Unis ont réunie pour faire pression sur Vladimir Poutine aux propositions de certains républicains de fournir des armes aux soldats ukrainiens, qu’il a qualifiés d’inopérantes.
« Pourquoi est-ce que tout le monde est si avide d’employer la force militaire ? » a déclaré le président américain, « après que nous ayons traversé une décennie de guerre au coût énorme tant pour nos troupes que pour notre budget. Et qu’est-ce que précisément ces personnes qui critiquent auraient accompli ? »
« Si nous entreprenions toutes les actions que nos critiques ont exigé, nous perdrions le compte des conflits dans lesquels les Etats-Unis sont engagés » a dit Benjamin J. Rhodes, un conseiller à la sécurité. Les critiques pleuvent, notamment parce que le mur budgétaire a été éclipsé depuis octobre par les tensions en Ukraine et au Moyen-Orient.
Barack Obama a mis au défi ceux qui affirment que les Etats-Unis doivent entreprendre une action militaire en Syrie : « Ils disent, non, non, non, nous n’entendons pas envoyer des troupes. Bien, qu’entendez-vous envoyer alors ? ».
Il a tenu un discours similaire à propos de l’Ukraine : « Les gens pensent-ils réellement qu’en envoyant plus d’armes en Ukraine, cela pourrait dissuader l’armée russe ? Ou sommes-nous plus à même de les décourager en appliquant la sorte de pression internationale, la pression diplomatique et économique que nous appliquons ? »
Soft power mais power tout de même
Les déclarations du président américain en fin de tournée résument sa politique étrangère. On y voit bien son intention d’appliquer le soft power plutôt que le hard power prôné par les républicains. L’accord de défense avec les Philippines constitue à ce titre surtout une action préventive, 500 militaires américains étant déjà sur place depuis 2002 dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Barack Obama a dit, alors qu’il était aux Philippines, qu’il accueillait favorablement une montée en puissance pacifique de la Chine.
Cependant, il est toujours question de force et d’hégémonie puisque cette semaine de visites avait pour objectif majeur de faire avancer, voire d’aboutir dans le traité transpacifique, ce dernier permettant de répondre aux exigences intérieures de croissance économique tout en isolant la Chine. Pour l’instant, les pays asiatiques font de la résistance économique. Barack Obama est prêt à faire des concessions, mais le Congrès américain lui laissera-t-il les coudées suffisamment franches pour aboutir rapidement à un accord ?
Joaquim Defghi, actudupouvoir.fr
Sources complémentaires des liens de l’article :
- Obama Suffers Setbacks in Japan and the Mideast, The New-York Times
- Obama Offers Solace to South Korea, and a Warning to the North, The New-York Times
- China, U.S. should respect each other, say Premier Li, Xinhuanet
- Obama makes South China waves, RT
- La Chine appelle les Etats-Unis à promouvoir la stabilité de l’Asie-Pacifique, Radio Chine Internationale
- Manille pourrait perturber le pivot vers l’Asie des Etats-Unis, Chine.org
- In Malaysia, Obama Works to Mend Troubled Ties, The New-York Times
- Ending Asia Trip, Obama Defends His Foreign Policy, The New-York Times
- Obama Completes Asia Trip Shadowed by China, Russia, Bloomberg
- Ukraine and the Trans-Pacific Partnership, The Diplomat