Ces universités étasuniennes, triplement oligarchiques

par Laurent Herblay
samedi 6 avril 2019

Certains ne retiennent que leur renommée et leurs classements internationaux souvent flatteurs. Pour qui creuse un peu, leur prix totalement extravagant, qui barre la route des études supérieures aux classes populaires, en fait un obstacle majeur à la mobilité socialeLe récent scandale sur l’achat de places dans les meilleures universités en révèle d’autres aspects oligarchiques.

 

Un mur d’argent qui devient corrupteur
 
Il y a onze ans, Paul Krugman avait dénoncé dans son livre « L’Amérique que nous voulons  » ce système où les enfants qui sont dans le premier quart de la classe mais dans le dernier pour les revenus des parents, ont autant de chance d’aller à l’université que ceux qui sont dans le dernier quart de la classe, mais dont les parents sont dans le premier quart pour les revenus. Avec un coût annuel moyen d’une année d’université publique à dix mille dollars, et même plus de trente mille dollars pour une université privée, on comprend que le prix des études supérieures est un frein majeur à leur accession, expliquant la plus faible mobilité sociale des Etats-Unis par rapport aux pays européens.
 
Et dans ce système où l’argent est si important, jusqu’aux excès les plus extravagants de frais de scolarité à 70 000 dollars par an, faut-il être surpris par les révélations sur des stars d’Hollywood qui ont littéralement acheté les places pour leurs enfants, en trichant, bernant des universités qui ont pourtant plus que les moyens pour repérer les fraudes ? Et ce n’est pas un cas isolé, mais bien un véritable système qui a été mis à jour, accentuant plus encore le caractère profondément oligarchique de ces universités, où, au mur de l’argent, difficilement surmontable pour les classes populaires, même brillantes, s’ajoute une possibilité choquante de corruption et de triche pour les plus riches.
 
Avec cette terrible affaire, The Economistsouvent critique à l’égard du système éducatif supérieur étasunien, a déniché un autre aspect profondément oligarchique de ces universités. Il révèle en effet que pour un même niveau académique excellent, quand un élève lambda a une chance sur six d’être pris, si un élève d’une famille aux bas revenus a bien un bonus (près d’une chance sur quatre), la prime pour l’enfant d’un ancien étudiant est largement plus forte, avec plus d’une chance sur deux. En outre, le caractère opaque de la sélection de ces établissements peut faire penser que ce n’est pas seulement la performance des futurs étudiants qui permet d’expliquer de tels écarts.
 
En clair, ces universités qui font rêver sont triplement oligarchiques : non seulement leur coût exorbitant en prive de la possibilité d’accès à beaucoup d’étudiants issus des classes populaires, mais leurs procédures d’admission byzantines semblent favoriser trop fortement la reproduction sociale, avec une chance de réussite trois fois plus importante pour les enfants d’anciens élèves à niveau équivalent. Et pour couronner le tout, dans le passé, il a été possible pour les plus riches de littéralement acheter des places pour leurs rejetons, comme le montre le récent scandale. Bref, avec leur système universitaire, les Etats-Unis ont un triple mécanisme oligarchique qui efface le rêve étasunien.
 
 
Ce qui est intéressant ici, c’est cette démonstration de ce que peut produire l’excès de laisser-faire, qui finit par produire une loi des plus forts, à savoir des plus riches dans nos sociétés actuelles. Merci à The Economist de pointer si régulièrement et dénoncer aussi clairement les excès du système universitaire étasunien, que beaucoup trop en France regardent, à tort, comme un modèle.

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