Cette belle jeunesse en lutte pour ses idéaux...

par Jean-Luc Crucifix
mercredi 24 février 2010

C’était du 14 au 16 octobre dernier, à l’hôtel Marriott de Mexico. Les représentants de 39 mouvements de jeunes du monde entier sont réunis pour le 2e Sommet de l’« Alliance of Youth Movements ». Le thème principal de la rencontre ? L’utilisation des outils technologiques du 21e siècle par les mouvements de masse luttant pour un changement social positif. En clair : comment utiliser les réseaux sociaux de type Twitter, Facebook, blogues et autres outils web pour promouvoir la démocratie, la paix et les droits de l’homme dans le monde ?

Manifestation étudiante au Venezuela
Aux côtés des délégués des mouvements de jeunesse, le sommet réunit des représentants des secteurs tant public que privé : fonctionnaires gouvernementaux, universitaires, chefs d’entreprise du monde entier. De fait, l’événement est parrainé par une belle brochette d’entreprises faisant affaire sur le web : Causecast.org, Facebook, Gen Next, Google, Hi5, Howcast Media, MTV, MySpace, PepsiCo, Univision Interactive Media, WordPress.com et YouTube.
 
Et puis surprise (qui n’en est pas vraiment une) : le Département d’État, en la personne de Hillary Clinton, appuie également l’initiative en bonne et due forme, allant jusqu’à envoyer un message vidéo aux participants. Là, le sommet prend tout à coup une autre dimension...
 
Dans la ligne de Washington
 
Mais quels étaient donc ces mouvements de jeunesse qui ont été invités à participer, tous frais payés, à ce 2e Sommet ? Je vous en donne la liste complète :
Je n’ai pas la prétention de connaître toutes ces organisations. Mais un examen ne fût-ce que superficiel permet d’affirmer que la plupart d’entre elles se situent résolument dans la ligne de Washington : elles sont clairement d’obédience libérale, voire néo ou ultra-libérale, comme il se doit.
 
Pays « problématiques » 
 
Comme par hasard, les pays « problématiques » pour le Département d’État sont particulièrement bien représentés dans la liste. Pour ceux-ci (Iran, Venezuela, Bolivie, Équateur, Cuba, Birmanie, Moldavie), il n’y a aucun doute : les organisations de jeunesse représentées au sommet militent fermement dans l’opposition au régime en place. Par contre, dans les pays « amis », comme la Colombie ou l’Espagne, elles s’opposent expressément aux organisations qui se disent « révolutionnaires », FARC ou ETA.
 
Par exemple, pour le Venezuela, représenté exceptionnellement par trois organisations, il n’y a rien de plus transparent : les délégués présents ne sont autres que les représentants du mouvement étudiant qui depuis trois ans s’affirme comme le fer de lance de l’opposition anti-Chávez. L’un d’eux est Yon Goicochea, ex-dirigeant étudiant de l’Université catholique Andrés Bello maintenant reconverti à la politique, récipiendaire en 2008 du Milton Friedman Prize for the advancement of liberties, qu’octroie le Cato Institute, le principal think tank libéral américain.
 
Twitterrévolution
 
Voyons de plus près les thèmes principaux traités au sommet :
À travers son action, l’Alliance of Youth Movements cherche donc à moderniser l’activisme traditionnel des mouvements de jeunes en y intégrant les nouvelles technologies. Un manuel pratique (Field Manual) a été édité pour montrer en détail comment procéder concrètement : le recrutement, l’élaboration du discours, l’action...
 
En d’autres termes, il s’agit de former dans le monde de jeunes leaders capables d’utiliser les outils du 21e siècle pour promouvoir les grands idéaux classiques de la démocratie étatsunienne. Sont mis en avant les droits de l’homme, la bonne gouvernance, la démocratie et la paix, thèmes particulièrement chers à la diplomatie étatsunienne. En un mot, il faut faire des mouvements de jeunes les porte-parole des valeurs fondamentales de l’Occident.
 
De plus, l’Alliance of Youth Movements vise aussi à fédérer, de par le monde, des organisations de masse autour de ces mêmes valeurs, en leur permettant d’échanger entre elles de « bonnes pratiques » d’activisme politique.
 
Opération de charme
 
Nul doute que ces beaux idéaux ont tout pour séduire certaine jeunesse encline à admirer tout ce qui vient des États-Unis. Si en plus les outils proposés pour l’action –Twitter, Facebook et autres réseaux sociaux– sont ceux utilisés par cette nouvelle génération, qui se les est appropriés depuis longtemps, la séduction n’en sera que plus totale. On se trouve donc en présence d’une vaste opération de charme, destinée en fin de course à influencer, au travers de ces mouvements de masse, des millions de jeunes dans le monde.
 
Que le Département d’État se trouve nommément derrière cette opération n’échappera sans doute pas aux leaders des organisations participantes. Mais que dire des millions de jeunes que ces organisations mobilisent ? Les voilà engagés derrière un parrain dont ils ne soupçonnent peut-être pas la présence. On se trouve là au bord de la manipulation pure et simple, avec pour objectif ultime la conquête des esprits, nerf de la guerre.
 
Pas dupes 
 
Aussi, lorsque vous verrez des jeunes descendre dans la rue, que ce soit au Venezuela, en Iran, en Moldavie, ou même au Mexique, en Colombie, ne soyez pas dupes : ils pourraient ne pas être aussi purs et innocents qu’ils veulent bien le proclamer. Et leurs mouvements pourraient ne pas être aussi spontanés qu’il n’y paraît. Que les milliers de manifestants en soient conscients ou non, la grosse main de Washington se trouve bel et bien derrière eux. Et nous ne parlons pas ici des dollars sonnants et trébuchants qui pourraient tomber, par quelque voie détournée, dans les escarcelles de ces mouvements de jeunesse...
 
L’opération de charme lancée par l’Alliance of Youth Movements n’est pas terminée : un troisième sommet aura lieu très bientôt, du 9 au 11 mars 2010, six mois à peine après le précédent. Le lieu choisi ? La ville de Londres, qui est, comme par hasard, le siège de nombreuses organisations de l’opposition d’Iran, de Moldavie et de plusieurs pays musulmans...
 
Mine de rien, nous voici en présence d’une nouvelle guerre froide qui, décidément, ne veut pas dire son nom.
 
 

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