Chine et Afrique : mariage de raison ou mariage de cœur ?
par David TCHUENTE
mercredi 16 novembre 2005
A l’heure où de nombreux pays africains croupissent sous le poids de la dette, attendant une hypothétique annulation de cette dernière, la diversification de la coopération semble la solution la mieux indiquée. A ce titre, celle du type sud/sud, en tête de laquelle un partenariat préférentiel avec la Chine s’impose.
L’idylle entre la Chine et de nombreux pays africains date de l’époque de feu le Président Mao Tse Toung, dans les années 1970 ; même si elle a longtemps souffert de différends idéologiques, et surtout du problème de Taïwan, cette relation a beaucoup évolué, et est passée d’un mariage de cœur à un mariage de raison.
Pourquoi cette évolution ?
La Chine est un pays du Tiers monde, au sens de la définition du sommet de Cancun ; c’est le pays le plus peuplé de la planète (plus d’un milliard trois cents millions d’âmes) ; elle est comme de nombreux pays africains, pauvre si on se réfère au PIB et au RNB, mais extrêmement développée. Il n’est un secret pour personne que les occidentaux et les Américains ont les yeux de Chimène pour ce pays, dont les performances technologiques et scientifiques sont extraordinaires. L’Afrique a compris que son progrès peut passer par ce géant au grand cœur, dont les actions envers le continent noir sont diamétralement opposées à celles ayant traditionnellement cours ; en effet, s’il est établi que la dette contractée par nombreux pays du continent est aujourd’hui un fardeau ressemblant au rocher de Sisyphe, on n’explique pas assez que ce sont les intérêts cumulés qui l’alourdissent, la mettant hors de portée d’un remboursement, eu égard de la conjoncture actuelle ; avec la Chine, non seulement les prêts se font sans intérêts, mais les conditions de remboursement sont souples, se faisant parfois par compensation avec les ressources naturelles (pétrole, bois ou autres). Voilà, en substance, ce qui motive aujourd’hui de nombreux pays du continent à se tourner vers ce partenaire, non exigeant, ayant des conditions de remboursement souples, et des travaux de bonne qualité, après exécution des marchés qu’ils obtiennent en les finançant de leurs poches.
Que peut gagner l’Afrique de sa coopération avec la
Chine ?
La coopération sino-africaine est bénéfique à plus d’un titre ; en effet, comme nous l’avons souligné plus haut, la dette chinoise est sans intérêt, remboursable à long terme et, chose particulière, dans le cas où cette dernière est contractée pour la réalisation des grands travaux, elle bénéficie dans son exécution de l’assistance technique et humaine de la partie chinoise. S’agissant principalement de l’intérêt, c’est une donnée motivante, dans la mesure où aujourd’hui, dans le montant de la dette de l’Afrique, une part importante est due à l’intérêt généré par l’emprunt de base ; il s’agit évidemment d’une donnée très importante. Un autre fait marquant est digne d’intérêt, la diversification des secteurs d’interventions, qui couvrent les domaines scientifiques, techniques et de technologies de pointe.
A -) Les secteurs traditionnels d’intervention : * Les grands travaux : La Chine intervient généralement en Afrique dans les grands travaux ; ainsi, dans de nombreux pays africains, les nombreux stades de football (stades omnisports de Yaoundé et de Douala au Cameroun, au Bénin, et dans bien d’autres pays) , Palais du peuple à Djibouti et aux Comores, bâtiment du ministère des affaires étrangères à Djibouti encore et en Ouganda, Hôtel Sheraton à Alger, Palais de la culture à Abidjan, Assemblée nationale et palais du Sénat à Libreville, logements en Centrafrique, Algérie et Guinée Bissau, l’architecture chinoise fleurit un peu partout sur le continent noir ; nombre de supporters africains - notamment maliens, djiboutiens, et bientôt centrafricains - encouragent leur équipe dans des stades bâtis par des entreprises chinoises, qui ont également construit des routes en Guinée équatoriale, érigent actuellement le Sénat à Libreville et terminent le nouvel aérogare d’Alger, dont le chantier avait été abandonné pendant plus de dix ans.
Côté infrastructures, la Chine a financé et construit des aéroports au Mali, à Nouakchott le port autonome, au Maroc trois barrages, en Algérie un réacteur nucléaire expérimental.
* La coopération universitaire : si les enseignants chinois ne sont pas présents en Afrique, de nombreux Africains font leurs humanités en Chine, surtout dans la médecine, formation très prisée dans les structures hospitalières du continent africain ; de nombreux cabinets médicaux chinois ont pignon sur rue à Libreville, Douala et dans bien d’autres grandes villes africaines à l’heure actuelle. Elle intervient depuis plusieurs dizaines d’années dans le secteur de la santé, fournissant des médecins notamment en Algérie et au Cameroun, où Pékin a également financé la construction récente d’un hôpital spécialisé dans la gynéco-obstétrique ; le Gabon lui doit l’hôpital de la coopération sino-gabonaise de Libreville et de Franceville.
* Autres secteurs :
Pêche et agriculture sont également deux secteurs dans lesquels les Chinois sont très présents, que ce soit en Guinée Bissau ou au Gabon, où une entreprise de pêche industrielle sino-gabonaise a été créée en 1986. Deux autres entreprises sino-gabonaises sont spécialisées dans la transformation du bois.
Les secteurs de pointe ne sont pas oubliés : en Ethiopie, comme à Djibouti, la Chine a investi plusieurs millions de dollars dans les télécoms.
Parmi les nombreux prêts ou dons annuels de la Chine à l’Afrique, Pékin a récemment accordé 2,5 milliards de francs CFA (3,8 millions d’euros) à la Centrafrique, lui permettant de payer ses fonctionnaires.
Le financement de projets concrets "marque la différence entre la coopération Afrique-Chine et celle de l’Afrique avec d’autres pays", notait mi-décembre, lors du forum sino-africain d’Adis Abeba, le ministre capverdien de l’économie, le Dr Avelino Bonifacio, à l’occasion de la signature d’un accord sur la construction d’une cimenterie au Cap-Vert.
La coopération à la chinoise a surtout l’avantage, pour certains pays, de n’être assortie d’aucune "condition politique", comme l’a rappelé le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, dans la capitale éthiopienne.
B -) Les nouveaux secteurs d’intervention : l’empire du milieu est actuellement présent dans l’exploitation minière, notons le cas du grand chantier de mine de fer de Belinga dans la province de l’Ogooué Ivindo, au Gabon ; on retrouve également les Chinois dans l’exploitation pétrolière, le bois. L’Inde ayant souscrit aux dispositions de l’Organisation mondiale du commerce, privant l’Afrique de ses médicaments génériques, la solution qui s’offre actuellement au continent en proie à une pauvreté excessive est de se tourner vers la Chine, dont l’expertise, à ce niveau, n’est plus à démontrer, notamment pour la fabrication de médicaments traditionnels améliorés ; l’exemple des structures hospitalières chinoises, où cohabitent médecine moderne et médecine traditionnelle, est un exemple à suivre pour les pays africains, où une telle association occupe une place de choix dans les consciences collectives. L’Afrique, par sa forêt et ses végétations particulières, est une source inestimable de plantes aux vertus thérapeutiques parfois inexplorées et inexploitées ; il est temps, face au coût élevé des médicaments, de se tourner vers ce type de traitement qui a fait le bonheur de nos grands-parents et continue, de nos jours, d’être au service de nombreux Africains : l’expérience chinoise peut être bénéfique.
Un exemple de coopération réussie :
La Chine et Le Gabon. Le visiteur de Libreville, la capitale gabonaise, après dix ans d’absence n’en croit pas ses yeux ; de l’échangeur de
la RTG au ministère des affaires étrangères, en passant par l’hôtel de ville, le
tronçon de la voie express appelée communément ‘’boulevard triomphal’’ a
radicalement changé ; face à l’hôtel de ville, se dresse une bâtisse ultra
moderne, le ‘’Palais Léon Mba’’, siège de l’Assemblée nationale construit sur
environ cinq cents hectares ; diamétralement opposé, le ‘’Palais Omar Bongo Ondimba’’,
siège du Sénat, de superficie analogue à celle de l’Assemblée nationale. En
construction également, la Cité de l’information, œuvre des chinois ; à
Franceville, au sud du Gabon, le palais de la culture, récemment livré. Le
Président Omar Bongo vient d’ailleurs d’inaugurer le complexe de pêche
artisanale de Lambaréné, dont la finalité est de mettre à terme du poisson fumé
et salé sur le marché sous-régional. Toujours dans ce sens, sous l’impulsion de
la Chine, en partenariat avec le Brésil, le minerai de fer de Bélinga sera sur
le marché d’ici 2007 ; lorsqu’on sait que ce grand chantier nécessite
d’importants moyens, notamment le ralliement de la voie ferrée Boué-Belinga et
Ntoum-Santa Clara, ainsi que la construction du port de Santa Clara, on ne peut
que se réjouir, surtout que les effets induits, notamment sur l’emploi, la
création des micro activités autour des différents chantiers, sont non
négligeables... Autre facteur digne d’intérêt, l’arrivée les articles chinois à
moindre coût sur le marché. Alors qu’il y a cinq ans, peu de foyers étaient équipés
de téléviseurs couleurs et de lecteurs DVD, il est quasiment courant de rencontrer
- dans un ménage sur trois- cet équipement : même si la qualité est moindre, il
faut savoir qu’en Afrique, le prix prime sur la qualité. On note, actuellement,
dans plusieurs pays africains, le recul des partenaires traditionnels (France,
Allemagne, Angleterre) ; la Chine prend du terrain, et s’implantera durablement
en Afrique grâce à ses types de partenariats, qui prennent en compte la nature
des Africains, à savoir leur état de pays pauvres qu’il faut aider à se développer, sans
chercher à faire des affaires juteuses sur leurs têtes. Dans tous les chantiers qu’ils entreprennent, les Chinois sont eux-mêmes présents. Mais quel est ce
partenaire qui finance, assure le suivi et la réalisation du projet ?
C’est, en substance, ce qui fait grincer les dents des Africains qui jusqu’à un passé très récent, n’avaient jamais assisté à ce type de coopération ; dans les chantiers financés par les Chinois, 40 à 45% d’ouvriers, des ferrailleurs aux bétonneurs, en passant par les menuisiers, les électriciens, les charpentiers et autres, sont chinois ; les salaires sont très bas, parfois même en dessous de ceux qui sont fixés dans les chantiers détenus par les Européens ou les Africains. Lors de la construction du palais de l’Assemblée nationale gabonaise, dans les années 2002 - 2003, il n’était pas rare d’assister à des sauts d’humeur des employés africains réclamant une amélioration des conditions de travail, et notamment de la rémunération.
Autre fait nouveau, les Africains sont étonnés de voir ce type de coopérants travaillant du lundi au dimanche, sans jour de repos, faisant tous genres de travaux, sans discrimination, traversant la route à la manière des moutons de Panurge... Dans le domaine de l’insolite, marchant toujours en groupe de cinq ou dix personnes, communiquant par des signes avec les Africains, à cause de la méconnaissance de la langue ; contrairement aux occidentaux et Américains, dont la position sociale fort aisée attire plus d’une femme africaine en mal d’amour et de pécules, ces coopérants d’un type nouveau déplaisent à la gente féminine, à cause, disent les femmes, de leurs égoïsmes, système communiste aidant... ’’Les chinois sont merveilleux...’’ affirme un habitant d’un quartier populaire de Libreville, et de continuer : ‘’Ils nous apportent tout : des produits vestimentaires aux produits manufacturés, en passant par les automobiles, le matériel HiFi, les ordinateurs, les portables et autres... ils nous envoient déjà même les femmes pour rivaliser avec nos belles de nuits... C’est vraiment merveilleux‘’, conclut-il.
Et les partenaires traditionnels ?
Ils assistent, éberlués, au déferlement de cette nouvelle vague de concurrents, chouchoutés par les Africains ; ça grince, mais que faire ? Repenser un nouveau type de partenariat avec l’Afrique, en privilégiant l’économie, qui nourrit l’homme, par rapport à la politique, qui a fait les preuves de son inefficacité.
Nous pensons qu’actuellement, en Afrique, les occidentaux et les Américains doivent comprendre, dans cette percée chinoise, que l’économie est une chose suffisamment sérieuse pour qu’il faille la confier aux économistes, et non aux politiciens qui, quarante ans après les indépendances de nombreux pays africains, ont montré leur incapacité à amorcer le décollage du continent africain.
Fini, le provisoirement définitif, ou le définitivement provisoire, place au développement durable, tel semble être le leitmotiv de bon nombre d’Africains.