Chine-Etats-Unis : les privilèges du grand créancier

par Philippe Vassé
mercredi 23 mai 2012

La nouvelle a surpris en Asie, mais à Wall Street, elle a choqué plus d'un habitué du temple de l'argent aux Etats-Unis et elle provoque une certaine inquiétude légitime parmi les banquiers et intermédiaires des achats de dettes souveraines..

L'agence Reuters a en effet publié récemment des documents prouvant que le Trésor américain avait accordé des privilèges uniques en leur genre à la People's Bank of China, qui détient à cette heure une créance sur la dette fédérale américaine de 1170 milliards de dollars, en faisant le plus important créancier de l'Etat américain !

Pour les anglophones, suivre ce lien qui donne de nombreux détails sur cette affaire d'un genre particulier :

http://www.taipeitimes.com/News/front/archives/2012/05/23/2003533500

La Chine, grand créancier très privilégié du gouvernement américain

En effet, les pièces publiées par Reuters démontrent que, depuis juin 2011, dans une discrétion absolue, la Chine bénéficie du privilège exclusif de pouvoir acheter DIRECTEMENT, en dehors de «  lois du marché de Wall Street  », les bons du Trésor émis par cette administration fédérale.

Ainsi, alors que pour les autres banques ou organismes d'achat de la dette américaine, il faut passer par des intermédiaires et par Wall Street pour acheter des bons du Trésor fédéral, la Chine a de son côté obtenu un accès direct et permanent, sans frais d'intermédiaires, à l'acquisition de ces bonds.

Le Japon, qui est aussi un important créancier historique du Trésor américain, n'a jamais obtenu ces avantages, bien que ce pays possède 1100 milliards de dollars de dette américaine, soit un peu mois que la Chine et qu'il ait été dans le passé le premier acheteur de la dette américaine.

Ainsi donc, la Chine a un accès direct par voie électronique protégée et unique aux ventes du Trésor américain, avant et en-dehors de tous les autres acheteurs potentiels de dette américaine fédérale de la planète.

C'est en juin 2011 qu'elle a utilisé pour la première fois cette opportunité afin d'acquérir des bons à deux ans.

A cette heure, les montants exacts achetés par la Chine directement au Trésor américain, sans communication au public et par ce biais, ne sont pas connus.

Le privilège accordé par le gouvernement américain à la Chine était en effet gardé secret depuis sa mise en place, en juin 2011, voici 11 mois.

Pour les habitués de Wall Street, ce culte du secret est en effet curieux, mais surtout indicatif d'une tendance inquiétante.

Ainsi, des analystes estiment inacceptable, voire scandaleux, de leur point de vue, que les autorités américaines, qui se proclament gardiennes universelles des règles transparentes de l'économie de marché, n'aient jamais informé de leur décision Wall Street, la SEC (gendarme de la Bourse américaine), les médias, les marchés financiers, les banques ou les autres acteurs du marché de la dette fédérale.

Quand Wall Street n'est plus l'unique centre de financement de la dette fédérale américaine

Il semble bien que, dans cette affaire, les autorités fédérales américaines aient fait preuve d'un pragmatisme efficace, bien qu'en contradiction avec de nombreux discours de responsables sur la Chine et les positions américaines affichées en public.

Au passage, on notera que cet accès direct possible, unique, secret, à l'achat de la dette fédérale américaine qui ne cesse d'enfler, montre le peu de cas fait au financement des dettes européennes et quel est l'ordre préférentiel réel des priorités pour le gouvernement américain, ordre préférentiel que nul ne saurait critiquer en soi.

La découverte et la mise sur la place publique de ces pratiques que les deux parties semblaient vouloir cacher au monde le plus longtemps possible, et notamment à ce que l'on nomme par convention « les marchés financiers », pose de nombreuses questions sur la nature exacte des relations véritables de complicité étroite entre les deux gouvernements, mais aussi sur l'équilibre des rapports de force réels entre les deux pays.

Dans les accords passés dans un silence absolu entre les deux Etats, il sera observé que, pour la vente des bons du Trésor, la Chine devra quand même passer par Wall Street et les marchés financiers, sans les court-circuiter.

En clair, pour l'achat, il est autorisé au coût le plus bas, sans les « charges bancaires et les frais de commissions » du marché.

La vente directe par la Banque chinoise, elle, peut bénéficier par contre des avantages que le marché financier peut alors offrir, notamment de solides profits.

Bref, la Chine gagne au tirage en achetant et au grattage en vendant. Pour les finances publiques américaines, on aperçoit bien l'intérêt du système à l'achat par la Chine, mais on peut s'interroger sur les bénéfices possibles pour le Trésor américain à la vente....

Cela étant, nombre d'analystes estiment que ce privilège a aveuglé et aveugle encore en quelque sorte les marchés financiers sur l'état réel de la dette fédérale tandis qu'il détruit la transparence tant vantée par les autorités boursières américaines, du moins sur ce sujet particulier.

On ne sait pas pour le moment ce que la SEC pense de ce privilège qui est contraire aux règles d'égalité des marchés financiers.

Par ailleurs, l'octroi du privilège découvert par Reuters interroge sur le déclin, encore relatif, du rôle de Wall Street dans les échanges financiers mondiaux, mais aussi sur les contreparties, politiques ou autres, accordées par Pékin aux autorités américaines en échange de cet avantage indéniable.

Avantage que la Chine est de son côté libre d'utiliser ou non, ce qui peut faire craindre de soudaines possibles manipulations des encours de la dette fédérale américaine, que d'aucuns pourraient regarder comme des leviers potentiels de pression très efficaces sur les autorités américaines.

Chine- Etats-Unis : une complicité autour d'intérêts communs ou un jeu subtil de coexistence financière pacifique ?

Ce que nous venons d'étudier plus haut brièvement s'inscrit dans les relations mondiales nouvelles où se mélangent intérêts communs et antagoniques, selon les sphères et les sujets.

Deux conclusions générales peuvent cependant être tirées de ces faits et révélations par Reuters quant à la nature des relations sino-américaines.

La première est que, manifestement, les deux Etats se traitent mutuellement, en tout cas dans cette affaire, comme deux pays partenaires privilégiés de niveau de puissance comparable.

La deuxième indique que l'encore puissance dominante mondiale préfère nouer des alliances et accords avec les Etats qui disposent des fonds mondiaux plutôt qu'avec une Europe affaiblie, désindustrialisée et en crise.

Le proverbe a raison de dire : « on ne prête qu'aux riches » , mais, dans la culture chinoise, à un certain stade, le créancier, devenu plus riche que le débiteur, peut aussi exiger que la dette lui soit remboursée, capital et intérêts.

Des jeux subtils d'équilibre sont donc à prévoir entre les deux Etats.

Les privilèges exclusifs consentis à la Chine par le Trésor américain en sont une illustration. D'autres accords, en apparence au moins gagnant-gagnant, devraient suivre, probablement très vite sur les questions de "course aux armements" entre les deux pays.....


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