Comment Poutine a scellé le sort de Nabucco

par AJ
jeudi 3 décembre 2009

 Sous l’égide du premier ministre russe Vladimir Poutine et de son homologue français François Fillon, EDF et Gazprom ont paraphé la semaine dernière un accord assurant la participation à hauteur de 10% du groupe français dans la construction du gazoduc South Stream, marquant le début d’une coopération de long terme entre les deux groupes a précisé le président d’EDF Henri Proglio. South Stream, c’est le projet russe pour approvisionner son gaz en Europe via la Mer Noire, et permettant ainsi à la Russie de contourner la Géorgie. Pour le premier producteur gazier mondial, l’assurance de l’engagement et du soutien de la France dans la construction de South Stream est un pas décisif dans l’objectif de préserver l’hégémonie du gaz russe en Europe , qui souhaite limiter sa dépendance envers les réserves sibériennes : elles représentent aujourd’hui 25% de ses approvisionnements, et, devrait se situer à plus de 70% dès 2020. Or, la nationalisation progressive de Gazprom (2004 et 2006) fait craindre à l’UE une utilisation politique du groupe, tandis que les crises ukrainiennes (cf.article) à répétition au cours des cinq dernières années discréditent la fiabilité de la Russie en tant que fournisseur.

C’est ce contexte qui a favorisé l’émergence du projet "Nabucco", un gazoduc de 3300 kilomètres, qui permettrait d’alimenter l’Europe en gaz, qui ne provienne pas des réserves de Sibérie, en passant par la Turquie. Un projet vecteur d’unité pour l’Europe, qui plus est ! Or, l’Allemagne de Schröder et l’Italie de Prodi puis Berlusconi ont cédé aux sirènes russes qui vantaient dans un même temps les mérites de North Stream et Sud Stream, deux projets sous-marins, qui contournaient ainsi les pays de transit "à risque". En conséquence, le poids stratégique de Nabucco s’en est trouvé amoindri, et seule la France, à qui la Turquie refusait une participation en raison de sa position sur la génocide arménien, avait les moyens de préserver l’attractivité du projet. En son absence, seuls la Bulgarie, la Hongrie, l’Autriche, la Roumanie, la République Tchèque et la Turquie s’embarquent dans l’aventure.

De plus, Vladimir Poutine avait souligné, au début d’année, le flou relatif qui règne quant à l’origine du gaz que transportera Nabucco : la production des pays d’Asie Centrale ne représente que 5% de la production mondiale, sans compter que l’Ouzbékistan et le Turkménistan restent sous protectorat russe de facto : leurs liens avec leur géant voisin restent trop étroits pour que l’Europe y voit l’espoir d’une dépendance gazière moins prononcée vis-à-vis de la Russie. D’autant plus que cette dernière s’active pour s’assurer l’acquisition de champs au Turkménistan ou en Ouzbékistan. Quant à l’Irak, le climat géopolitique l’empêche de l’inscrire au rang des fournisseurs fiables et sécurisés. Sans compter qu’un nouveau pas pourrait être franchi d’un moment à l’autre dans le cadre des tensions liées à la question kurde, alors que les champs gaziers irakiens se situent au Kurdistan. En somme, comme l’assure M.Poutine, Nabucco ne peut être alimenté sans l’Iran. Hors de question pour l’UE, qui n’envisage guère dépendre non plus de la Russie mais de l’Iran : blanc bonnet et bonnet blanc.

En plus de la France, Vladimir Poutine a obtenu, sans que l’accord n’obtienne une résonance médiatique en France, la participation financière de l’Autriche à South Stream, sans que cette dernière ne mette en cause son implication dans Nabucco : quoi qu’elle en dise, le gazoduc européen devient par la même occasion pratiquement caduque. En une dizaine de jours, Vladimir Poutine s’est donc assuré du soutien de la France et de l’Autriche, scellant ainsi le sort de Nabucco. Un coup de maître....

A retrouver dans son contexte original sur http://lenouvelhebdo.com


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