Commentaires d’un producteur textiles au Vietnam face aux délocalisations

par Marc Blanchard
jeudi 29 mars 2012

J’écris cet article pour compléter celui publié par « rendez-nous notre industrie » le 27 mars 2012. 

On peut considérer que la délocalisation du secteur textile est due aux politiques qui ne prennent pas de mesures et que les produits d’importation ne sont pas suffisamment taxés tel que décrit dans l’article de « Rendez nous notre industrie ».

En tant que producteur textile au Vietnam je vais vous démontrer que cela n’y changerait rien.

1) Présentation.

Nous produisons pour plusieurs marques dans le monde. Canada, Chine, Singapour, Thaïlande, Australie, France, Italie, Espagne, Suisse, Belgique, Suède, Luxembourg, Royaumes Unis, …

Notre principale activité est en Europe, notamment sur le marché du luxe. Nous sommes une petite entreprise (80 personnes) et presque toutes les couturières ont une formation haute couture. Il est à noter que notre entreprise fait partie d’un des programmes de l’ONG française Alliance Anti Trafic http://allianceantitrafic.org/. Fair Fashion est un programme qui vise à réintégrer et à former des femmes ou adolescentes victimes du trafic sexuel au Vietnam et propose des conditions de travail largement au dessus de ce que proposent les multinationales étrangères (à peu prés 5 fois plus). L’équivalent d’un prof de FAC ici.

Les entreprises de marque que vous adorez tant car elles ornent vos prospectus, votre petit écran, vos stars et sportifs préférés sont ici. Le Vietnam est le deuxième producteur mondial de vêtement mais probablement le premier pour les vêtements de qualité. Je ne citerai pas de noms mais presque toutes vos marques françaises, italiennes, … haut de gamme sont produites ici !

Et pourquoi ?

Je tiens à dire que cet article n’a rien de publicitaire. Nous stoppons la vente aux particuliers par internet excepté pour les 1200 familles déjà clientes. C’est aussi la raison pour laquelle je publie cet article seulement maintenant.

2) Compétences.

Une grande partie des marques pour qui nous produisons en France viennent ici car en France ce n’est pas possible. Ce n’est pas qu’une question de prix. Au Vietnam presque tout le monde a des notions de couture, même les hommes. C’est même enseigné dans beaucoup d’écoles ainsi que la broderie. Ce qui était le cas en France il y a encore une cinquantaine d’années. Comment voulez-vous faire survivre un métier quand presque plus personne ne sait le faire. Les quelques entreprises qui subsistent en France dans ce secteur demandent des minimas de commande énormes. Ici nous proposons des quantités raisonnables et avons aidé plus de 20 entrepreneurs à créer leur entreprise en France (je ne parle pas de toutes celles pour lesquelles nous avons fait des études non abouties). Certes c’est produit au Vietnam, mais cela a permis à certains petits créateurs français de créer de l’emploi là bas ce qui est devenu impossible à réaliser dans l’hexagone. Taxer d’avantage l’importation ne résoudrait pas le problème de l’industrie textile.

La France continue de former beaucoup de stylistes designer, mais ils ne savent pas patronner, ni couper, ni coudre. Plusieurs fois par semaine nous en avons qui nous contacte pour le faire pour eux.

3) Les prix.

Alors là ça va saigner, car là vous allez peut-être comprendre comment vous avez engraissé votre oligarchie sans broncher.

Le salaire mensuel moyen dans notre entreprise est de 200 € par mois pour 44 heures par semaine. Soit 1.14 € de l’heure + la sécu (27%) entièrement prise en charge. Chez presque tous les cadors de marques connues qui ont des unités de 25 000 personnes ici, c’est à peu prés 50 € pour 72 heures. Il faut savoir aussi c’est que dans ces unités la totalité des employées savent se servir d’une machine, mais que beaucoup ne savent pas monter un vêtement. On leur apprend juste à faire un geste, elles passent à leur voisine pour en faire un autre, et ainsi de suite… Certaines sont capables de monter un vêtement, mais ce n’est pas rentable pour le PDG qui gagne le salaire de 26000 de ses employés vietnamiens à lui tout seul (c’est une moyenne pour certains c’est beaucoup plus). Donc mis à part la formation à un geste, ce qui prend 10 minutes, il n’y en a plus après. Les employés sont appelés quand il y a de la production et restent chez eux quand il n’y en a pas. Bien sûr les jours sans production ne sont pas payés.

Comment font-ils avec des salaires pareils ? 1 kg de riz coûte 0.44 €. Un café dans un bar 0.30 €, un paquet de cigarette de marque 0.62€, une bombonne d’eau minérale de 20 litres 0.74€, 1l d’essence 0,7€ … Dans un rayon de 100 métres il y a 4 épiceries et plein de petits commerces. Pas besoin de voiture pour faire ses courses d'ailleurs très peu en ont. Un scooter suffit (500€ pour un scoot de marque) Tout le monde est là aussi. Knorr, Nestlé, coca cola, Casino, Metro,… et je vous prie de croire que les prix n’ont rien à voir avec les vôtres. Quel en est la cause ? Pourquoi payez-vous tout 10 fois plus cher ? Qui se gave ?

La raison est que vous gagnez 10 fois plus quand vous avez un boulot mais que vous payez 10 fois plus cher et que vous en bavez autant qu’un vietnamien (voir plus, car ici tout le monde à le sourire). Qui est-ce qui récolte les 9 d’écart ? (vous pourriez poser la question aux sociétés du CAC 40 où ils récoltent leurs fonds pour leur expansionnisme mondial (notamment en Asie) et leurs bénéfices record. Les citoyens français US et Europe, ... sont tous des actionnaires mais sans les actions et sans savoir qu'ils les ont financé). Pour la réponse je vous invite à lire un article que j’avais écrit sur AV il y a quelques années. http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/votre-pouvoir-d-achat-et-la-49465.

4) Les solutions.

Je n’en vois pas d’autre que de privilégier l’alternatif et de boycotter tout le système bancaire et multinationales de marque. En ces périodes de crise le marché du luxe ne s’est jamais aussi bien porté, j’en sait quelque chose car c’est dans ce secteur que nous réalisons 70% de notre chiffre d’affaire. Privilégiez tout ce qui est commerces locaux et dont vous connaissez les origines car de nombreux acteurs du commerce équitable qui ne sont pas transparent sont des charlatans, mais au moins quelques fois le pognon n’atterrit pas dans les poches des nomades inutiles parasites (comme dirait Soral) c'est-à-dire le capital qui nous étouffe et fait crever à petit feu pour piquer ce qui reste ! Même les plus pauvres de la planète sont visés via des programmes style Planète Finance de J Attali servant à achever et asservir ceux qui n’ont déjà presque plus rien.

Conclusion : Pendant 7 ans nous avons communiqué sur les vêtements de façon transparente. Prix de vente en France. Prix départ Vietnam, Combien pour le tissus, combien pour la couturière, combien pour le marketing, le transport, les taxes, … Malgré une centaine de visites par jour sur notre site les résultats sont navrant. Je pensais en créant ce site inédit que c’était révolutionnaire et que nombreux se jetteraient sur l’opportunité. A peine 1% de résultat. On fait notre business dans le luxe. Quand on propose au peuple la même chose 10 fois moins cher il boude. Si je me permets de dire cela maintenant c’est parce que nous sommes en train de supprimer notre site de vente en ligne (pas le site juste la vente. Notre production et distribution est assurée par d’autres marques). Et que diffuser ce genre de message me démangeait depuis des années pour dire. « On peux râler et se plaindre, mais à un moment il faut réagir ».

Ce n’est pas un reproche, mais juste pour dire. Quand une opportunité fiable se présente. Saisissez-la ! Ce n’est pas en taxant plus l’importation que cela sauvera l’emploi en France, c’est en cassant la finance par tous les moyens possibles qu’est la solution. De tout temps les civilisations se sont échangé des savoirs et compétences. Aujourd’hui la compétence de la couture n’existe plus en France.

 Nous avons contacté des dizaines de médias mainstream pour faire part de notre existence et notre action. Aucune réponse. Nous avons contacté les plates formes de commerce équitable. Aucune réponse sauf une qui nous demandait 1500€ pour étudier notre dossier.

 En Argentine durant la crise et les délocalisations les ouvriers reprenaient de force les usines délocalisées par les multinationales pour continuer l’activité à leur compte. Faites pareil !


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