Crise « asiatique » : 10 ans après, un bilan et des perspectives

par Philippe Vassé
mercredi 4 juillet 2007

Le 2 juillet 1997, les autorités thaïlandaises faisaient « décrocher » la monnaie nationale, le bath, du dollar américain. C’est de ce jour que les spécialistes économiques datent le début de ce qui est communément appelé la crise asiatique de 1997. Certes, cet événement est survenu dans un contexte de causes antérieures qui ont amené au krach : il a déclenché l’incendie qui couvait, mais n’en est pas à l’origine. 10 ans après, certains tirent un bilan et établissent des perspectives...

 

Le FMI, la crise de 1997 et un continent qui prend conscience de lui

Si la crise de 1997 a pu être, selon les responsables de la BDA - Banque de développement asiatique, une institution continentale basée à Manille (Philippines) - être surmontée assez vite, le mérite en reviendrait à une hausse des échanges régionaux au détriment du commerce avec les pays dits « industrialisés ».

La thèse est intéressante en cela qu’elle manifeste et souligne une prise de conscience « continentale », un processus dans lequel une forme d’hostilité aux instruments monétaires internationaux, notamment le FMI, se fait jour.

Et nul n’est dupe que, derrière cet « éloignement » que soulignent des critiques publiques parfois acerbes, c’est la politique globale américaine en Asie qui est visée.

Récemment, le 26 juin, la BDA avait annoncé très officiellement qu’elle portait les sommes allouées au développement des énergies propres renouvelables en Asie à la hauteur d’un milliard de dollars US. Tout de suite, des observateurs locaux ont vu dans cette décision une sorte de manifestation indirecte contre l’indifférence, voire l’absence de prise de conscience de l’administration américaine dans le dossier des causes non-naturelles du réchauffement climatique. D’autant que le communiqué stipulait clairement que « la BDA entendait jouer dorénavant un rôle catalyseur dans le développement des énergies propres » !

Le 27 juin, à Singapour, se tenait la « Rencontre asiatique sur la gouvernance d’entreprise ». Cette réunion était une conséquence d’un rapport de 2003 de l’OCDE - Organisation pour la coopération et le développement économique », rapport intitulé « Livre blanc sur la gouvernance d’entreprise en Asie ». L’AFP a couvert cette rencontre et en a fait une dépêche qui semble ne pas avoir eu un grand écho en France et en Europe... Et pourtant, elle semble présenter des informations importantes.

A l’époque, en 2003, les experts de l’OCDE indiquaient que les responsables économiques asiatiques devaient faire de grands progrès dans leur « gouvernance », notamment au niveau de l’amélioration et la clarification des lois et règlements, ainsi que de leur application concrète. La rencontre a conclu ses travaux par une déclaration qui indiquait, en résumé, que la gouvernnace des entreprises en Asie avait fait de considérables progrès dans le sens voulu par l’OCDE et qu’elles continueraient dans cette voie.

Mais, ce communiqué officiel très général est peu intéressant. Il ne reflète pas l’axe central des discussions initiées par le directeur de la BDA, M. Nga, axe qui visait à impulser l’utilisation par les Etats qui en disposent de leurs réserves monétaires internationales pour la réalisation de projets urgents et nécessaires d’infrastructure sur le continent. M. Nga a vigoureusement appelé à une réflexion des participants sur ces immenses fonds et leur usage envisageable. Il a rappelé quelques faits et chiffres utiles à connaître :

Et c’est à travers ces propositions que l’on en arrive à l’essentiel : sous l’impulsion de la BDA, les dirigeants politiques, les responsables d’entreprises et les experts réunis sont tombés d’accord pour soutenir le projet commun d’un Fonds monétaire asiatique, FMA, indépendant du FMI, considéré comme une nécessité face à ce que les participants qualifient d’impéritie du FMI en Asie de puis 1997 !

FMA contre FMI ou le crédit contre la dette

Cette proposition de FMA a été appuyée fermement par des personnalités qui, jusqu’ici, n’étaient pas connues pour leurs critiques impitoyables envers le FMI et son rôle négatif en Asie, notamment en 1997 et depuis.

L’ancien ministre sud-coréen du Commerce, M. Chung Duck-Koo, a ainsi déclaré : « Le FMI a échoué dans sa mission de mise en oeuvre de réformes précises tandis que les Etats-Unis n’étaient pas en position favorable pour réagir vite quand la crise a éclaté. Plutôt que d’attendre en vain l’action d’une force internationale de pompiers, la région a besoin d’une force de pompiers volontaires(...) Toute forme de complaisance (envers le FMI-NDLR) ne pourrait qu’amener à une nouvelle crise ».

La position de M. Chung fut renforcée par les déclarations de l’ex-ministre des Affaires économiques d’Indonésie, M. Dorodjatun Kuntjoro Jakti. Celui-ci énonce que : « Les conditions imposées à l’Indonésie par le FMI pour sortir de la crise ont généré des tensions durables dans la société et le monde politique de son pays, et qu’elles ont contribué à la chute du régime de Suharto, ce qui a entraîné des années d’instabilité politique ».

Et le coup de grâce contre les « experts » du FMI fut porté par l’ex-ministre des Finances des Philippines, M. Roberto de Ocampo, qui déclara : « Quand les nations asiatiques ont proposé la création d’un Fonds monétaire asiatique pour faire face à la crise de 1997, cette proposition fut rejetée immédiatement par les "hommes sages" du FMI ».

La conclusion essentielle que la presse et les médias asiatiques ont retenue de cette rencontre, puis des discussions, débats et articles marquant le 10e anniversaire de la crise de 1997, est celle-ci qu’une dépêche de presse résume bien : un Fonds monétaire asiatique est une nécessité après que le FMI ait manifesté son incapacité à réagir vite et bien à la crise de 1997 !

Un participant à la rencontre citée plus haut tire un bilan de l’(in)action du FMI et établit de facto des perspectives pour le futur FMA en affirmant : « Le FMI est un organisme de débiteurs, le FMA sera une organisation de créditeurs ».

On ne peut être plus clair !

Le projet de FMA et le rejet du FMI : une leçon de 1997

On ne connaît pas encore, à cette heure, quelles seront les décisions concrètes tant sur la création de ce FMA que sur l’usage des 3 000 milliards de dollars des réserves monétaires asiatiques. Mais on voit déjà que la crise de 1997 a donné, en 2007, naissance à un projet continental qui peut marquer de son empreinte l’économie mondiale.

Ce qui est aussi certain, c’est que ce débat intéresse donc, de ce fait, le monde entier de manière très directe.

Si les projets de M. Nga d’utiliser cette immense masse d’argent disponible, équivalant à 62 % des réserves mondiales, se concrétisait, cela signifierait l’ouverture du plus immense marché de construction d’infrastructures matérielles jamais imaginé.

Par ailleurs, cela placerait l’Asie au premier plan de l’actualité et de l’activité économiques mondiales, donc son FMA en première ligne, et ce au détriment du FMI.


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