Crise égyptienne, crise malthusienne ?

par Rémi Manso
samedi 13 juillet 2013

Au-delà de la juste opposition à l'islamisme plus ou moins autoritaire qui s'était installé en Égypte (au demeurant fort démocratiquement au départ) et contrairement à la vision romantico-révolutionnaire d'une partie de nos élites pour laquelle la perspective d'une démocratie véritable ne serait qu'une question de temps, on peut sérieusement se poser la question de savoir si l'instauration d'un régime laïque serait susceptible de changer fondamentalement la donne.

En effet, la population égyptienne (84 millions d'habitants en 2013) vit sur un territoire de 1 million de km² : cela conduit à une densité de population de 84 hab/km², ce qui semble faible a priori. Mais, du fait que 94,5% du territoire est constitué de déserts, les égyptiens vivent le long du Nil (10km de part et d'autre du fleuve et sur son delta) ce qui conduit à une densité de population (ramenée aux terrains ''vivables'' et/ou cultivables) en réalité déjà supérieure à 1.500 hab/km², ce qui à densité égale correspond déjà à 830 millions de français...

Pour mémoire, le pays ''digne de ce nom'' (c'est-à-dire qui n'est pas une petite île – type Maurice – ou une cité-état – type Singapour) le plus densément peuplé au monde est le Bangladesh dont la densité de population n'est ''que'' de 1.100 hab/km², avec pourtant les conséquences que l'on connaît (montée de l'islamisme et catastrophes naturelles ou industrielles récurrentes et meurtrières : dernière en date l'effondrement d'un immeuble-usine). Toujours à titre de comparaison, les déjà très fortes densités de population que l'on rencontre en Europe se situent aux Pays-Bas (398 hab/km²) et en Belgique, (355 hab/km²), quant à la France elle se contente de 115 hab/km².

Ceci étant, selon les dernières projections onusiennes (13/06/2013), la population égyptienne pourrait même être de 135 millions d'âmes en 2100, ce qui conduirait à une densité de 2.450 hab/km² soit plus de deux fois la densité actuelle du Bangladesh et vingt et une fois la nôtre, ce qui correspondrait d'ailleurs à 1 milliard 350 millions de petits français : chiffres tout à fait astronomiques ! On voit ici la gravité de la situation actuelle et plus encore future.

Il y a deux ans, au début de la ''révolution égyptienne'', plusieurs personnalités se sont exprimées sur le sujet. Parmi elles on peut citer le géopolitologue François Thual : "il y a une pression démographique qui a généré la misère", Youssef Courbage chercheur à l'INED : "Quand la population croît trop vite, ce sont les ressources qui diminuent proportionnellement par habitant", Boutros Boutros Ghali, de nationalité égyptienne et ancien secrétaire général de l'ONU de 1992 à 1996 : "Je dirais que les problèmes seront beaucoup plus importants parce que vous aurez dans les prochaines années 100 millions d'habitants sur 5 % du territoire égyptien" et Alexandre Adler "L'Égypte a d'abord un problème épouvantable : elle est aujourd'hui le pays le plus densément peuplé de la planète".

Mais de quoi vit donc l'Égypte ? Selon un article de l'Expansion, antérieur à la révolution égyptienne, du canal de Suez qui rapporte 2 milliards de dollars chaque année, du pétrole de la mer Rouge et du gaz (qui constituent une source de financement non négligeable), du tourisme (11% du PIB) mis à mal par l'insécurité actuelle, mais aussi d'une aide au développement qui est déjà considérable : plus de 2 milliards de dollars par an sont accordés par les États-Unis (en échange de la bienveillance du pays envers son voisin Israël) et au total, c'est 3 milliards que reçoit annuellement le pays, dont la moitié va directement au budget militaire... Au niveau alimentaire, il faut se souvenir qu'en 2008, le pays avait été frappé par les émeutes de la faim, entre autre du fait que l'Égypte doit importer 50 % de ses céréales et qu'elle en est d'ailleurs le plus grand importateur au monde (8 millions de tonnes). Finalement, tout ceci est évidemment largement insuffisant pour donner aux égyptiens dans leur ensemble un niveau de vie au minimum "correct".

Cette inadéquation population-ressource, semble donc pouvoir être qualifiée de ''crise malthusienne''. Autrefois, ces crises aboutissaient à une diminution tragique et brutale de la population. Il n'en est fort heureusement plus question aujourd'hui et le problème est donc appelé à perdurer, seulement atténué par une perfusion internationale sans fin. La seule façon d'en sortir réellement n'est envisageable que sur le long terme par la mise en place de programmes permettant de stabiliser la population sur une ou deux générations et ensuite de la faire décroître en douceur sur un terme encore plus long. Les moyens sont d'ailleurs parfaitement connus : planification familiale, gratuité de la contraception et incitations financières à la famille restreinte (inférieure ou égale à 2 enfants).

Mais pour atteindre cet objectif, il faudrait oser avouer à la population égyptienne l'origine fondamentale de ses maux, à savoir son effectif pléthorique, et lui demander de se contenter dès maintenant de un à deux enfants par couple. Mais qui osera tenir un tel discours ? Pas le précédent pouvoir en tout cas : dans un article du Figaro daté du 21 juin dernier et intitulé "Égypte : les Frères musulmans prennent le risque de l'explosion démographique", la journaliste Delphine Minoui se demandait si la surpopulation n'était pas "la onzième plaie de l'Égypte" et rapportait que les autorités risquaient d'abandonner la politique de planification familiale pourtant mise ne place par Nasser et poursuivie par Sadate et Moubarak.

Cependant, la crise égyptienne, dont l'issue est plus qu'incertaine comme indiqué plus haut, en annonce d'autres, tout autant dévastatrices. En effet, les projections de l'ONU, régulièrement revues à la hausse, prévoient entre autre une multiplication par quatre de la population africaine. En particulier, parmi les onze pays les plus peuplés de la planète en 2100, figurent six pays africains dont la population dépassera les 200 millions d'habitants : Nigeria (914 millions), Tanzanie (276 millions), RDC (262 millions), Éthiopie (243 millions), Ouganda (205 millions) et Niger (200 millions) ; à comparer aux 65 millions de français actuels qui eux disposent au départ d'un territoire ''béni des dieux'' et pourtant déjà bien malmené... Sauf à avoir su tirer les bons enseignements de la crise égyptienne actuelle, on peut, malheureusement sans grand risque de se tromper, prévoir que ces pays là ne manqueront pas, eux aussi, de faire l'objet de crises malthusiennes d'ici la fin de ce siècle : l'avenir d'un grand nombre d'êtres humains est donc fort sombre.


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