Daesh : un remake de la seconde guerre mondiale avec un cadre géopolitique inédit

par Bernard Dugué
mercredi 9 septembre 2015

La crise des migrants a pris un tournant historique cette dernière semaine. L’image insupportable de cet enfant récupéré sur une plage a révélé une chose plus grave, c’est l’enfumage des peuples et l’aveuglement des dirigeants face à un virage de l’Histoire que la plupart des observateurs ne savent pas interpréter. Une terrible guerre se dessine depuis un an sur les territoires syrien et irakien. Les belligérants et les victimes sont arabes et kurdes, avec une opposition idéologique du côté arabe entre les chi’ites et les sunnites. Restreindre l’analyse à ce territoire s’est rater la compréhension globale de ce conflit dont les enjeux dépassent de très loin le territoire occupé par Daesh. Je vous avoue être animé d’un sentiment perplexe. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi aucune lecture éclairante des événements ne soit accessible dans les médias alors que nous disposons de tant d’intellectuels et de professeurs sans compter les conseillers et autres stratèges qui émargent dans les instituts dévolus à la défense et la géopolitique. Je ne sais plus quoi penser. Ou bien les élites sont aveugles et dépourvues d’intelligence, ou bien les élites sont corrompues. Mais il en reste quelques uns. Je suis certain que Hubert Védrine aurait des choses pertinentes à dire si on lui laissait une bonne heure d’antenne pour exposer ses interprétations. Et puis pour être honnête, Pierre Servant et Alain Marsaud ont été très perspicaces sur BFM en évoquant l’importance de faire entrer dans le « jeu » contre Daesh l’Iran et la Russie. Les consciences vont peut-être s’ouvrir. Et c’est rassurant d’entendre des paroles éclairées. Néanmoins, l’affaire est plus compliquée, dans l’espace géopolitique mais aussi dans le temps historique.

C’était il y a plus d’un an. Les Occidentaux médusés constataient l’avancée de Daesh en Irak et en Syrie avec la prise de Mossoul, ville au million d’âmes, kurdes pour la plupart. Cette prise de contrôle par Daesh rappelle évidemment la guerre éclair conduite par la Wehrmacht et l’étrange défaite analysée par Bloch et qui fut aussi une débâcle. Des centaines de milliers de Français jetés sur les routes. On a tous vu ces terribles images. Les migrants étaient français en 1940. En 2015, un an après la guerre éclair de Daesh, les migrants sont syriens, kurdes et aussi africains, de Libye ou d’ailleurs. La juxtaposition de ces images historiques n’a aucune valeur interprétative mais elle sert d’illustration pour entrer au fond des choses.

Le nazisme n’est pas arrivé comme un numéro de casino tiré à la roulette. C’est le fruit d’un processus socio-historique et géopolitique étalé sur plusieurs décennies. On pourrait même situer les germes semés à l’époque de Bismarck. Entre-temps, la guerre de 1914 et un événement considérable pour le 20ème siècle, l’avènement de l’empire soviétique en 1917 suivi par le fascisme de Mussolini. Puis le capitalisme, la crise de 29 et les jeux pas vraiment clairs entre les hommes de pouvoir américains et le régime nazi. D’après certains historiens, des complicités se seraient dessinées entre les nazis et quelques milieux financiers et politiques proches de la Maison blanche. Cette éventualité est plausible si l’on sait la phobie des Américains à l’égard des communistes. Ensuite, je ne crois pas que ces connivences aient été déterminantes pour le cours historique des choses. Elles éclairent plus la psychologie du pouvoir que les causes profondes de l’Histoire et du reste, je n’ai pas envie de m’étendre sur ces os à ronger en offrant une opportunité aux complotistes de chez Cheminade ou bien ceux qui traquent les illuminati. Les mouvements sectaires n’apportent rien à la pensée philosophique. Les dissidences, oui !

Donc, ces Etats-Unis ont toujours eu une phobie du communisme avec comme preuve les soubresauts paroxystiques pendant le maccarthysme. Il est vrai qu’il fallait surveiller l’URSS au niveau planétaire et contenir son expansionnisme mais il n’était pas nécessaire de sombrer dans la parano, d’envoyer les GI au Viêt-Nam avec l’agent orange dans la jungle, ni par la suite de faire copain avec Ben Laden et les islamistes pour bouter les Soviets hors d’Afghanistan. Le régime n’était pas fait pour durer, on pouvait le savoir dès les années 1970. On sait ce qu’est devenu Ben Laden. On connaît moins l’implication de dignitaires saoudiens dans ce round historique conduisant de l’ère Gorbatchev à la guerre de 2001 contre les talibans après les attentats du 11 septembre dont les financements seraient… devinez… saoudiens sans doute.

En gros, nous sommes en 1980 avec les Afghans qui boutent les Soviets et nous passons en 2001 puis 2003 avec les Etats-Unis en lutte contre le terrorisme d’Al Quaida et un axe du mal incluant le régime de Saddam Hussein mais n’oublions pas cet événement majeur en 1992, l’éclatement de l’URSS. Quand un empire s’effondre, la suite n’est pas facile à gérer. Disons que l’Occident a laissé les choses se faire et surtout se défaire. Une Russie faible n’est pas une opportunité favorable pour l’équilibre du monde. La Russie a failli disparaître mais des forces conduites par Vladimir Poutine ont réussi à redresser cette grande nation qui fut amie de la France pendant longtemps. Pendant ce temps, on a vu une recomposition au Moyen Orient, surtout après l’intervention américaine en Irak et le départ des troupes américaines, avec un Irak livré à la guerre civile entre deux camps islamiques sans oublier les corruptions des dirigeants et le jeu trouble des monarchies arabes, notamment les Saoudiens qui ont leur responsabilité dans l’avènement de Daesh sans oublier les responsabilités américains et européennes, françaises notamment, dans la politique menée en Syrie et le soutiens à des factions islamiques qui n’avaient rien de solides questions démocraties. La politique contre Bachar al Assad a été calamiteuse et explique une part des circonstances ayant permis les conquêtes de Daesh. Il faudrait un procès d’historiens pour établir les vérités historiques sur Bush, Sarkozy, Cameron, Hollande, BHL et les dirigeants du monde arabe.

La conjoncture géopolitique a marqué un tournant en même temps que la crise financière de 2008. C’est à ce moment que des réminiscences de guerre froide ont ressurgi à l’occasion de la crise en Géorgie avec des prémices antérieures en Ukraine et sa fameuse révolution orange. Les Occidentaux sont obsédés par la démocratie et tentent de favoriser l’implantation de cet idéal sans mesurer les conséquences et les effets pervers de cette politique qui produit souvent les effets inverses. La Géorgie, l’Ukraine puis la Libye et la Syrie ont été la cible de cette géopolitique de l’accompagnement démocratique avec des résultats contraires aux effets escomptés. On ne mesure pas encore les conséquences calamiteuses de ce droit d’ingérence démocratique qui fait suite à l’ingérence humanitaire initiée par Bernard Kouchner et dont on comprend maintenant qu’elle se situe comme un prolongement du colonialisme sous couvert de bons sentiments, de moralisme humaniste avec les droits de l’homme utilisés comme idéologie.

Pour bien comprendre la configuration du problème Daesh il faut élargir le jeu géopolitique en analysant la situation dans le cadre des antagonismes entre le bloc Otan-Occident et la Russie. En précisant que la menace russe sur l’Europe n’est qu’une fiction de propagande vendue par les médias de masse avec quelques intellectuels patentés dont BHL et Raphaël Glucksmann dont on doute des aptitudes philosophiques à comprendre le monde d’un point de vue neutre. A la menace russe s’est ajoutée une menace iranienne qui n’a pas arrangé les choses. Un accord a été conclu mais la Russie est toujours considérée comme un problème avec le dossier ukrainien et la Crimée. Cet antagonisme empêche une solution militaire contre Daesh. Pas besoin d’être un général de l’armée pour comprendre que seule une intervention terrestre peut régler la situation, sinon, on en a pour 10 ans ou même 30 ans.

Le verdict est simple. La solution passe par l’Iran et la Russie. Hélas, les dirigeants occidentaux sont tellement obsédés par l’Iran, la Russie et Assad qu’ils préfèrent laisser pourrir la situation en Syrie et Irak plutôt que de donner une possibilité à la Russie ainsi qu’à l’Iran d’entrer dans le jeu, y compris en remettant Assad dans le jeu, Assad étant comme on le sait un « allié » pour les Russes, ou du moins un partenaire, certes encombrant mais indispensable si on veut en finir avec Daesh. Au final, la position des Occidentaux, Israël inclus, est criminelle. Ils préfèrent laisser pourrir la situation et jouer avec le totalitarisme saoudien pour ne pas laisser une ouverture à la Russie et l’Iran. On retrouve le schéma n’avant la guerre de 39 avec des élites prêtes à soutenir le nazisme pour ne pas voir arriver le communisme. Vous ne me croyez pas ? Allumez les médias, il y a peu, des images ont été diffusées, montrant la jeune reine accomplissant le salut hitlérien. C’était avant Churchill. Tiens donc, nous sommes gouvernés par un Daladier et il nous manque un Churchill. Je ne connais pas la Constitution mais il serait temps d’envisager la destitution de François Hollande. Si la loi ne le permet pas, la rue peut faire l’affaire mais hélas, les Français sont démissionnaires comme l’a noté Houellebecq et je ne vois pas les Français manifester. Attendent-ils l’année prochaine le petit cadeau fiscal promis par François Hollande ? Ce signe marquerait avec d’autres l’effondrement prochain de l’Occident. Mais rien n’est joué, les citoyens n’ont pas forcément l’intention de devenir des sous-hommes et vont se réveiller ! Nietzschement votre ! Christiquement votre !

Au passage, je note que les Etats-Unis, même s’ils ont une part de responsabilité dans la crise actuelle, ont permis d’éviter le pire il y a deux ans en faisant machine arrière alors que Hollande était prêt à bombarder la Syrie lors de la « crise chimique », avec le risque de voir Daesh arriver à Damas et récupérer un arsenal considérable. Les Russes qui ont exercé leur médiation ont mal été remerciés avec les négociations entre l’Ukraine et les irresponsables de l’Europe. Les Etats-Unis ont aussi œuvré en faveur d’une solution politique en Iran alors que la France suivait les obsessions israéliennes. Nous sommes gouvernés par irresponsables ! Merci les Etats-Unis. Mais pas pour tout car il reste le dossier russe à régler.

En conclusion, une intervention d’alliés est possible comme en 1944. Front ouest, Russie par la Syrie et aussi les Kurdes, front est, Iran, front sud, Grande-Bretagne, France, Etats-Unis, Canada, etc… et tout ce monde qui libère Mossoul comme en 1945 Berlin fut « »libérée« », les Russes étant les premiers. En 2016 ou 2017, ce serait mieux d’avoir tout le monde ensemble, pour la photo de famille. Mais ne rêvons pas. Ce scénario repose sur l’hypothèse de dirigeants responsables. Il faut agir dans un délai court, après ce sera sans doute trop tard et plus on recule l’échéance, plus le temps pour les tragédies s’accroît.

Je laisse cette analyse à votre appréciation. Si vous pensez qu’elle est éclairante, diffusez-là, avec une âme de résistant. J’ai omis de parler en détail d’une pièce majeure de ce jeu, l’Arabie Saoudite. Ce sera peut-être pour un prochain billet. La Turquie mérite aussi un détour car elle figure comme une pièce importante du « jeu » contre Daesh. Une pièce qui peut devenir un problème et qui l’est déjà. Cela dit, je ne sais pas si le processus d’autodestruction de l’Occident n’est pas actuellement dans une phase irréversible. Tout dépend de la volonté et des capacités morales des hommes. Je n’ai pas l’intention de m’attarder sur ces choses. Des gens plus compétents et informés doivent faire le job. Moi, c’est la cosmologie, la mécanique quantique, la médecine, Darwin, la conscience et pour finir la Trinité, c’est mon job pour le 21ème siècle !


Lire l'article complet, et les commentaires