De quoi Israël est-il le nom ?

par Bernard Dugué
vendredi 9 janvier 2009

Voilà une question qui sera certainement fort disputée. On ne trouvera pas dans ce billet des éléments permettant de tracer s’il y a lieu un parallélisme fort aventureux entre...et…et… Mais juste la configuration d’un questionnement au sein de l’histoire contemporaine

Il ne faut pas se le cacher, les anathèmes lancés contre l’Etat d’Israël sont récurrents et de plus en plus souvent, d’aucuns n’hésitent par comparer Ariel Sharon à Hitler, tout en associant la croix gammée à l’étoile juive. Même si on peut comprendre la rage dans le camp palestinien, puis arabe, ces amalgames ne servent à rien, sauf à entretenir la haine et la confusion dans les esprits. Affirmer qu’Israël s’identifie au nazisme n’apporte rien mais c’est ainsi que l’opinion vulgaire s’exprime, tout comme elle le fait également en évoquant un prétendu « nazislamisme » comme il existerait un « nazsionisme ». Les amalgames ne se réduisent pas à ces deux champs religieux puisque la police fait aussi l’objet d’anathèmes du genre CRS SS, vieux slogan hérité de 68 et repris par les agités gauchistes qui traitent Sarkozy et sa police de fascistes. Cela ne fait pas avancer le débat et constitue de la mauvaise caricature ne faisant même pas rire.


Tracer un parallèle avec Israël et d’autres régimes classés comme musclés, autoritaires, voire totalitaires, relève d’un travail philosophique sérieux, documenté, pesant les arguments. Pour l’instant, nous constatons qu’Israël emploie des moyens militaires d’une violence inouïe pour mettre fin aux lancements de roquettes du Hamas. En prétendant du reste détruire le Hamas. Mais peut-on détruire un mouvement politique ainsi, sachant qu’il est terroriste mais aussi un recours pour des populations humiliées dans leur existence, privées de tas de choses et de la plus essentielles, un avenir ? N’est-ce pas un moyen relevant d’une solution finale ? Toujours est-il qu’Israël pratique la terreur, croyant qu’avec cette méthode il est possible de monter la population de Gaza contre le Hamas. Ces moyens sont ceux d’un Etat terroriste. Alors qu’en face, le Hamas est un mouvement lui aussi terroriste, qui a commis des attentats pendant l’Intifada et qui pratique la stratégie de la terreur en lançant les roquettes contre les villes du sud israélien. La terreur s’oppose à la terreur. Mais avec des moyens énormément asymétriques. Mettez en face des tigres face à des chats, et vous verrez le résultat.


On aura noté quelques manifestations pro palestiniennes, dont une à Paris qui s’est terminé avec des dégâts matériels conséquent. Le lendemain, des Français de confession juive ont exprimé leur soutien à l’intervention d’Israël. Cela ressemble quelque peu aux années 1930. Un fond de guerre civile mais sans les communistes ni les fascistes. La division partisane est la projection sur notre territoire d’un conflit opposant depuis des décennies un Etat, une idéologie, une religion, à un peuple sans Etat ancré lui aussi dans sa religion et son idéologie. Actuellement, on voit des scènes aussi cruelles que celles qu’on a connues dans les années 1940. La fin justifie-t-elle des moyens aussi atroces ? Telle est la question. Mais une autre se pose. Que veut réellement Israël ? La co-existence pacifique avec les Palestiniens ? Si tel était le cas, la seule solution serait de libérer la Cisjordanie et tous les territoires occupés pour qu’Israël revienne aux frontières de 1967. Mais il y a une autre hypothèse, plus dangereuse, très risquée. Israël aurait comme intention de ne pas lâcher les territoires, les considérant comme leur revenant de droit. Auquel cas, Israël aurait fait en sorte que la Palestine ne puisse pas exister, poussant ce peuple et ses représentants extrémistes à se révolter. Ce qui en retour, justifie le grand Israël et le mur récemment construit.


Comparer Israël à l’Allemagne nazie n’a pas réellement de sens car les époques et les fins sont distinctes. Mais rien ne s’oppose à ce qu’on instruise un procès contre un Etat dont l’action aurait conduit cette région à subir un théâtre d’opération désignable comme crime contre l’humanité, comme instauration d’un véritable camp de concentration à Gaza, voire même dans les localités de Cisjordanie. Les Israéliens se moquent de la diplomatie. Il ne reste plus alors que la voix des intellectuels de part le monde pour peser. Sinon, ce sera la solution finale pour les Palestiniens. Et pour peser, les intellectuels doivent savoir quel est le nom d’Israël. Etat démocratie ou bien barbarie dont le totalitarisme s’exerce sur une peuplade dans un territoire qui lui est contigu et dont il occupe une partie au mépris du droit international ?


Face au désastre, il est plus que jamais indispensable d’user de la parole, du dialogue, de l’art d’analyser et du pouvoir de nommer. Il est question de civilisation. D’employer les mots afin que le débat ne se fasse par dans la rue, à coup d’agressions antisémites. Les philosophes savent-ils nommer et le veulent-ils ? André Glucksmann nous a servi une tribune tout ce qu’il y a de plus partisane. Lui qui n’a cessé de combattre le totalitarisme soviétique ne voit pas le camp de Gaza, tout aussi aveugle que la communauté juive. On ne leur reprochera pas. C’est après tout l’essence de l’homme que de séparer et s’aveugler. En 1930, en 1950, les communistes, intellectuels compris, toléraient parfaitement les exactions de la police soviétique, du KGB, le goulag. En 2009, il est possible, au nom de l’idéal sioniste, de ne voir qu’unilatéralement et de justifier l’intolérable et la violence d’un Etat. C’est le pas qu’à franchi BHL.


C’était en 1940 ou un peu après. Les camps étaient construits. Les nazis ont commencé par promulguer des lois anti-juives, interner les tziganes, les réfractaires au travail, puis Auschwitz. Il a fallu du temps avant que les alliés interviennent, que les faits, connus, soient dits, soient vus. En 1940, on ne voulait pas voir. En 2009, on voit, même trop, profusions d’images, propagandes de part et d’autres, mais il n’y a pas de trucage, ces images d’horreur, ce sont bien des pères portant désespérés leurs gosses aux membres déchiquetés. Et que dire des 40 morts dans cette école sous administration de l’ONU. Des populations terrorisées venues se réfugier et bombardées par Tsahal. Et de ces ambulances qui sont les cibles de tirs. Qu’en pense Glucksmann ? Etrange. Il paraît pourtant que l’armée israélienne ne vise que des cibles du Hamas. Que dire de cette famille de dix âmes ensevelies sous leur maison, bombardée parce qu’un militant du Hamas y aurait séjourné. Et Sabra et Chatila, et Cana et ces morts civils en 1986 puis 2006. L’addition est lourde. En 2009, on voit mais on ne parvient pas à dire de quoi Israël est le nom. Sapere aude, comme aurait dit Kant. Philosophe, aie le courage de te servir de ton entendement et de nommer ce qui doit être qualifié.


Alors, que les intellectuels sortent de leur silence pour parler. Car en paraphrasant ce journaliste algérien assassiné. Si tu ne parles pas, c’est le massacre et si tu parles, c’est le massacre, alors, parle ! Enfin, disons que c’est comme dans le vote du public de l’émission de Foucault, cher intellectuel, parle si tu as des choses à dire et si tu sais sinon abstiens-toi ! Car nous savons et ne savons pas encore nommer ce qui se passe là-bas, à part exprimer un sentiment d’horreur. Mais ce n’est ni avec des bons, ni avec des mauvais sentiments que le schmilblick avance. Le temps n’est pas à comprendre d’où est parti ce conflit, qui est porte la responsabilité, partagée du reste, c’est sûr. Le temps est venu pour réagir et nommer ce qu’est devenu Israël en 2009.


Par équité, on se demandera aussi de quoi le Hamas est-il le nom ? Le Hamas ne représente pas tous les Palestiniens. La rupture de la trêve avant l’investiture d’Obama paraît relever d’une stratégie suicidaire. Le Hamas savait pertinemment qu’Israël allait répliquer puisque l’opération était préparée depuis un an. Alors, on peut penser que la stratégie du Hamas est celle du martyre. Et comme Israël en « vengeur » a réagi alors le but est atteint. L’image d’Israël en a pris un sacré coup, en dépit de toutes les tentatives de contrôler l’image. Les parties en présence savent pertinemment les enjeux. Les parties se dévoilent. Israël a perdu la guerre morale de l’image. Au risque d’être nommé comme d’autres barbaries l’ont été par le passé. Mais nommer ne sert à rien si on n’entre pas dans les ressorts de ce conflit. Quant au Hamas, il joue la stratégie du martyre qui est celle de la cause désespérée et pratiquement perdue. Ce jeu est cruel, il est perdant perdant. Israël livre les traits de la barbarie étatique et les Palestiniens subissent des morts par centaines. L’image d’Israël se détruit, les Palestiniens sont détruits. Le « martyrisme » du Hamas n’est qu’une déclinaison de l’idéologie politique émanée de l’Islam, pour répondre à une situation précise, celle d’affronter le sionisme. L’Islam est plastique selon les contextes géographiques et historiques, avec les chi’ites, les sunnites, les talibans les wahhabites, les soufis…



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