De Seattle à Davos en passant par Kiev

par redrock
lundi 10 février 2014

Relents de Guerre Froide ?

Depuis de longs mois déjà l’UE s’efforce d’établir des accords commerciaux avec des anciennes républiques soviétiques situées sur sa frange orientale.

Les intérêts géopolitiques ou stratégiques ne sont pas tous affichés mais ils visent globalement à essayer d’affaiblir ou contourner les positions de l’encombrant voisin Russe redevenu un acteur de poids sur la scène internationale.

Il est vrai que depuis quelques années on respire à nouveau, ci et là, quelques relents de guerre froide. Le projet de l’OTAN (dès 2007) d’installer des boucliers anti-missiles en Pologne, république Tchèque et Roumanie -pour écarter prétendument le danger d’attaque Iranienne- ne trompe vraiment que les naïfs qui veulent bien y croire et constitue une menace (in)directe contre la Russie et son territoire.

Ce projet s’inscrit d’ailleurs dans le programme plus vaste d’attirer dans le giron de l’UE et de l’OTAN les anciennes républiques périphériques de l’ex-URSS.

La dislocation du bloc de l’est en 1990-91, puis les années Eltsine avaient laissé le champ libre à « l’hyperpuissance » américaine. Entre 1990 et 1998, année de l’effondrement monétaire du rouble, le PIB de la république de Russie a été divisé par 2 et les privatisations et libéralisations à marche forcée conseillées par l’économiste Jeffrey Sachs sous l’égide du FMI et de la Banque Mondiale ont précipité le pays dans une grave crise sociale et sanitaire. L’espérance de vie pour les hommes a baissé de 8 ans environ entre 1987 et 1994, celle des femmes de 4 ans.

Une étude américaine relève un accroissement de 18% du taux de mortalité et une chute de la population de plusieurs millions d’habitants. L’économie et les richesses russes sont alors en grande partie confisquées par les sept oligarques, appelés Semibankirchtchina.

L’arrivée au pouvoir de Poutine en 1999-2000 va mettre fin partiellement au pillage de l’économie russe et permettre un redressement économique et social ainsi qu’une réaffirmation de la souveraineté Russe face à l’hyperpuissance américaine.

Au même moment, débutent Les manifestations de Seattle en 1999, premières manifestations altermondialistes fortement médiatisées. Elles sont suivies par un premier Forum social mondial, alternatif au Forum économique mondial de Davos, et par le rassemblement de Gênes en 2001 (avec la mort d'un manifestant par balle lors d'affrontements avec la police italienne) contre le sommet du G8. Cette arrivée du mouvement altermondialiste sur la scène médiatique internationale marque l’amorce d’un mouvement de rejet diffus contre l’hégémonisme occidental et l’accélération de la mondialisation libérale dans le cadre de l’OMC et l’ouverture du cycle de Doha. On retrouve étrangement des ressemblances avec les grands mouvements anti guerre du vietnam qui avaient animé le milieu des années 60.

L’endiguement de ce retour en puissance de la Russie devient alors l’un des éléments clefs de la géopolitique occidentale et explique ce parfum de guerre froide que l’on peut parfois ressentir.

Dans les marges de l’ancien empire soviétique, la méthode consiste à exploiter les tensions économiques et sociales en finançant de manière plus ou moins indirecte des mouvements de jeunes, tels Otpor qui avait réussi à faire chuter l'ex-président serbe Slobodan Milosevic en juillet 2000 et s'était déjà impliqué dans la Révolution des Roses géorgienne de décembre 2002, ainsi que dans les tentatives de renversement du régime biélorusse de 2001 et 2004. Ces mouvements seraient alimentés par des organisations occidentales, telles le Konrad Adenauer Institute, proche de la CDU, l'Open Society Institute de George Soros, le National Democratic Institute, proche du parti démocrate américain, la Freedom House, proche du gouvernement américain ou la National_Endowment_for_Democracy.

La Révolution Orange de 2004 a été le point d’orgue de cette première offensive sur fond de contestation des résultats de l’élection présidentielle Ukrainienne ; la logistique de l’opération s’est largement appuyée sur des organisations de jeunes étudiants urbains comme Pora et Znayu, qui ont des liens avérés avec le mouvement Otpor . Ils ont bénéficié de soutiens financiers étatsuniens (14 millions de dollars suivant Le Guardian) mais aussi de certains oligarques comme le milliardaire israélo-russe Boris Abramovitch Berezovsky. La Révolution Orange a profité pleinement d’un fort soutien politique et médiatique dans le camp occidental et l’élection du président Ianoukovitch a été finalement invalidée. Viktor Iouchtchenko, dont l’épouse américaine était employée par le Département d’Etat Américain, devient ensuite Président.

La crise des subprimes en 2007-2008, puis l’élection d’Obama marquent un changement dans la stratégie géopolitique américaine ; Obama veut impliquer ses alliés dans la défense des intérêts occidentaux et ne plus apparaitre comme l’unique Gendarme du monde occidental ; il prône la « smart diplomacy » et le « smart power » .

La traduction militaire de cette nouvelle orientation pourrait s’intituler « stratégie furtive  » et se caractérise par :

Le programme PRISM révélé par Snowden nous a montré qu’il ne s’agissait pas que de mots ou de velléités

NSA ... PRISM

La deuxième Guerre d'Ossétie du Sud éclate en août 2008, juste avant la fin du mandat de Georges Bush, quand la Géorgie de Mikheil Saakachvili envahit la province séparatiste d'Ossétie du Sud soutenue par la Russie. Le conflit s'est étendu à une autre province géorgienne séparatiste, l'Abkhazie. La réaction militaire immédiate de la Russie de Medvedev-Poutine entraine de fortes tensions diplomatiques et militaires avec les USA et l’OTAN et montre à quel point l’accès à la mer Noire est un enjeu stratégique majeur pour la Russie.

L’Ukraine de Viktor Iouchtchenko prend alors parti contre la Russie et menace de bloquer le port de Sebastopol à la flotte russe ; la médiation de Sarkozy-Medvedev permet de mettre fin à la phase militaire de ce conflit. Cet affrontement a montré toute l’importance de l’enjeu géopolitique pour l’OTAN et la Russie du contrôle des républiques perdues de l’ex URSS.

La révolution « twitter » » des Moldaves en 2009 marque l’apparition du smartphone et des réseaux sociaux dans la contestation des résultats d’une élection et l’amorce d’une révolte urbaine qui aboutira à l’affaiblissement du parti communiste au pouvoir depuis 2001.

Ce mouvement a préfiguré le mouvement iranien de juin 2009 contestant la réélection d’Ahmadinejad ; cette « révolution verte » utilise les cassures sociétales entre les jeunes urbains occidentalisés et les populations rurales ou suburbaines plus modestes et traditionalistes.

Le creusement de la crise économique en 2010 va servir de déclencheur aux mouvements du Printemps arabe. La Tunisie et l’Egypte finissent par dégager leurs dictateurs respectifs grâce au soutien de leurs armées, largement formées et financées par les USA. Kadhafi est éliminé en Libye grâce à une puissante intervention France-Angleterre sous le contrôle et l’assistance américaine et en outrepassant le mandat de l’ONU. Le pays est plongé depuis lors dans le chaos d’une guerre civile larvée.

La Russie de Poutine voit aussi un vaste mouvement protestataire s’organiser dans les grandes villes en perspective des présidentielles de 2012 ; il se développe suivant le modèle des « révolutions de couleur » et touche surtout les classes bourgeoises urbaines. Le Huffingtonpost en donne une assez bonne description.

La révolte sociale syrienne s’est progressivement transformée en affrontement religieux et en conflit géopolitique (OTAN-Pays du Golfe)-(Russie-Chine-Iran), champ d’action de milices djihadistes et de forces spéciales de tous bords. Chine et Russie ont cette fois mis leur véto à toute intervention militaire sous couvert de l’ONU pour éviter que la Syrie ne suive le destin de la Libye. En aout 2013, le refus du Parlement Britanique, puis d’Obama ont mis fin au projet d’intervention France-Angleterre-USA hors mandat de l’ONU ; l’opposition résolue de la Russie a certainement pesé dans ces décisions.

Ces dernières semaines ont vu également apparaitre une certaine détente sur le « front iranien » avec l’élection aux présidentielles du modéré Hassan Rohani et la levée partielle des sanctions économiques et financières occidentales.

Allait-on s’orienter vers une pause dans cette nouvelle guerre froide ?

Depuis 2009 l’UE négocie des partenariats avec la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui constituent la ceinture occidentale de la Russie, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous ; la zone du Caucase reste alors le seul accès russe à la Mer Noire. Ce Partenariat Oriental devait être ratifié à Vilnius fin novembre 2013. Finalement, suite à des marchandages ou pressions de Moscou, seuls deux pays ont signé ces accords : la Moldavie et la Géorgie.

Ceinture occidentale de la Russie

L’Ukraine a choisi au tout dernier moment de signer des accords avec la Russie en échange de tarifs privilégiés pour le gaz russe et d’un prêt de 15 milliards $. La classe moyenne urbaine occidentalisée est alors descendue dans la rue et on assiste depuis à un remake de la Révolution orange de 2004. 

Mais il n’y a pas cette fois un enjeu électoral ou une contestation de résultats. L’enjeu posé est clairement l’adhésion de l’Ukraine au Pacte oriental de l’UE, puis à l’UE et à l’OTAN. On se trouve donc au cœur des tensions Occident-Russie et même au-delà du problème Ukrainien.

En effet, pour les Ukrainiens, eux-mêmes, le choix n’est pas aussi simple car il y a de sérieux risques d’éclatement de l’Ukraine entre la partie ouest catholique et la partie est russophone orthodoxe ; par ailleurs le Partenariat oriental et les accords d’ouvertures commerciales à l’UE nécessiteraient de lourdes restructurations dans l’économie ukrainienne avec des coûts sociaux élevés.

Ceci explique que les manifestations en Ukraine après une première période très dynamique et non violente aient connu un certain ralentissement puis à nouveau une radicalisation suite à des agressions sur une journaliste, puis un opposant dont les visages tuméfiés ont fait la une des médias (tout comme en 2004, le visage altéré de V.Iouchtchenko après un hypothétique empoisonnement à la dioxine).

Les manifestations s’apparentent alors plus à des scènes d’émeutes où les partis nationalistes et néo fascistes ukrainiens tels Svoboda ou Praviy Sektor assurent le gros des bataillons.

manifestant à kiev ; miliciens de Svoboda, à la cosaque !

Les scènes d’incendie, d’attaque de bâtiments publics et même de casernement policier ne semblent pas inquiéter outre mesure nos médias dominants pourtant si prompts à dénoncer le moindre affrontement entre « jeunes des quartiers » et forces de l’ordre.

Ces mêmes médias s’indignent également des lois liberticides prises par le gouvernement ukrainien alors que certaines figurent dans notre propre législation comme l’interdiction du port de masque ou cagoules ou la complicité de délit en bande organisée. De toute façon ils ne les détaillent pas ; tout comme ils ne s’intéressent guère aux lois anti manifestation prises peu avant en Espagne. On peut constater encore que la radio télévision belge nous donne encore une fois une leçon de journalisme.

Il est paradoxal qu’en Grèce ou en Espagne, les pouvoirs en place durcissent la répression contre des manifestants anti UE alors qu’en Ukraine ils aient à contenir des manifestants pro UE !

Le soutien ostensible et sans réserve de dirigeants européens ou américains venus parmi les manifestants de la place Maïdan dénote une conception très agressive et unilatérale de la retenue diplomatique. Que dirions-nous si Medvedev venait soutenir des séparatistes Corses ou des échauffourées de banlieue genre 2005. Il semblerait d’ailleurs que les USA et l’UE n’aient pas tout à fait la même analyse comme le laisse entendre le « fuck UE » de l’ambassadrice américaine.

Et pendant ce temps là, les Grands Acteurs de ce monde, dans leur forteresse bien gardée de Davos s’attelaient à « Remodeler le Monde », y compris un « scenario for the South Caucasus and Central Asia ». Démocratie bien contrôlée…

La boucle est bouclée…


Lire l'article complet, et les commentaires