Débat sur l’Afghanistan, entre raisons officielles et motifs cachés de la présence de l’Otan
par Bernard Dugué
mercredi 17 septembre 2008
Le 22 septembre, s’ouvrira la session extraordinaire au Parlement avec en hors-d’œuvre carrément le plat de résistance, le débat sur l’engagement des troupes françaises dans la coalition de l’Otan en Afghanistan. Aucun vote n’était initialement prévu à l’issue de ces discussions. Mais, le 19 août, un communiqué de l’Elysée annonce la mort de dix de nos soldats. Le 22 août, un communiqué de Matignon annonce que les présidents des deux Chambres seront invités à faire suivre les débats par un vote, conformément à l’article 35 de la Constitution récemment modifiée à Versailles. Le 22 août, c’est aussi le jour où fut annoncée la mort de quatre-vingt-dix civils afghans suite à une bavure américaine. Le chiffre a depuis été contesté, mais pas l’événement. Que peut-on espérer de ce débat au Parlement ? D’éventuelles raisons cachées seront-elles discutées ? Le sujet est hautement sensible d’autant plus que la moitié des Français douteraient du bien-fondé de l’envoi de nos troupes dans ce conflit dont les causes et les développements sont pour le moins alambiqués.
Premiers mots de Nicolas Sarkozy après l’annonce des dix morts au combat : la France est plus que jamais déterminée à combattre le terrorisme dans le monde et défendre nos valeurs. Que penser de ce propos ? Un type facétieux désirant franchir le point Godwin répondrait la chose suivante. Terroristes ? C’est ainsi que les Allemands désignaient les Résistants qui prenaient quelques soldats nazis en embuscade ou bien faisaient dérailler les trains. Alors, ces talibans, n’auraient-ils pas le droit d’être considérés comme des résistants face à l’occupation d’Américains qui ont installé des bases sous l’égide du président Karzaï ? Avec un gouvernement à Kaboul bien plus contesté par les Afghans que ne fut celui de Vichy par l’ensemble des Français.
Selon un observateur averti (voir plus bas), les Patchouns, principale composante de la population afghane, sont pour la plupart neutres et attendent le résultat final du conflit. Et quelques-uns soutiennent les talibans. On est assez loin de la version officielle construite pour servir la propagande occidentale et, d’ailleurs, le facteur le plus déterminant, c’est la pauvreté ; à se demander ce qui aurait pu être réalisé avec l’argent dépensé dans la guerre. En plus, les bavures des armées d’occupation font basculer peu à peu l’opinion si bien que les pays de l’Otan sont devenus indésirables. Mais restons raisonnables. La cause des talibans est strictement indéfendable. Leur vision intégriste et coraniquement pure de la société est inacceptable. Mais ce n’est pas pour autant que l’intervention de l’Otan reste justifiée en 2008. Certes, l’Alliance du Nord et les Américains ont fait plier en 2001 un régime totalitaire peu soucieux du respect des femmes, des enfants, des gens. Mais, si on devait intervenir dans toutes les situations équivalentes, alors il faudrait envahir le Soudan, la Birmanie, la Corée du Nord et une bonne dizaine de pays sur la planète, au nom de la démocratie. Bref, en réfléchissant, on ne peut que mettre en doute la légitimité du maintien des forces de l’Otan dans cette contrée qui, de plus, relève d’une autre zone d’influence et dont la sécurité devrait être gérée par une autre instance transnationale. Nous y reviendrons sans doute.
A noter un élément contextuel. Dans les années 1950, pendant la guerre d’Algérie, la présence d’intérêts et autres crispations idéologiques ont pesé indéniablement sur la sérénité requise pour un examen honnête de la situation. Avec, d’un côté, les nostalgiques du colonialisme plutôt ancrés dans l’extrême droite et, de l’autre, un PC qui, bien qu’il eut raison dans cette affaire, trouvait matière à se mettre en vue dans le champ politique. En 2008, il y a tout lieu de craindre une perturbation des débats. Avec les ralliés à l’atlantisme ou, du moins, à la doctrine Bush sur l’axe du mal. Et à l’opposé, les anti-américains primaires, souvent à court d’analyse, et idéologiquement inversés, autrement dit, voyant dans l’Amérique un empire du mal. Cette situation n’est pas propice à un éclaircissement des débats, d’autant plus que l’enjeu et les ressorts sont complexes, dépassant du reste les intérêts de ce petit pays qu’est la France. Rien de commun avec la question de l’Algérie en 1960. Certes, il y eut des morts en pagaille, mais une solution de sortie de conflit fut trouvée. Ce qui n’est pas le cas pour l’Afghanistan.
En l’état actuel de la situation, nous sommes, en le disant poliment, dans un bourbier. Les Afghans ont une tradition guerrière bien affirmée. Ils ont eu raison des 200 000 soldats soviétiques, comme ils tiennent tête aux 70 000 hommes de la coalition de l’Otan. Les talibans sont déterminés et ce conflit paraît interminable. Qui peut croire à un retrait à court ou moyen terme et à une « afghanisation », selon les termes de Rama Yade, d’une entité souveraine capable de maintenir l’ordre ? Les fantassins de Karzaï risquent bien d’être balayés par des forces talibanes dont la puissance se renforce parce que les forces de l’Otan sont présentes. Bourbier, cercle vicieux. Ce qui se dessine, c’est une pérennisation de la présence occidentale pendant des décennies. Avec des bases américaines définitives (!) Ce n’est pas ce qui était prévu. N’y a-t-il pas une autre sortie de conflit ? Ainsi qu’un débat sur la légitimité de cette présence occidentale dont le motif officiel est la lutte contre le terrorisme. Jusqu’à preuve du contraire, les combattants afghans contre l’Otan n’ont pas été impliqués dans des actions de ce type. Nous sommes dans le cadre d’une guerre préventive. Principe de précaution, peurs diffuses, justifiées ou non, soupçons généralisés, fichage, sécurité, la guerre préventive fait partie du nouvel esprit occidental appliqué à la géopolitique ou aux affaires intérieures. On ne sera pas étonné de voir notre président justifier sans hésitation l’envoi et le maintien de nos troupes. Mais ne peut-on déceler des motifs cachés ?
Alors, le débat aura-t-il lieu ? On peut craindre que non. Les parlementaires ont la liberté d’entendre les intervenants selon leur souhait. Quand on préjuge d’une décision, on préfère ne pas entendre les dissonances, comme dans le cas d’Edvige où seule la ministre de la Défense sera auditionnée, mais pas les citoyens et les représentants de la société vive et civile ! La situation en Afghanistan est plus que préoccupante. Les propos de Rama Yade, ministre du Tourisme humanitaire, sur la moitié du chemin parcouru, sont, pour le dire ouvertement, des inepties ! Mieux vaut s’en remettre à un connaisseur du terrain. Francesc Vendrell, diplomate aguerri en Afghanistan depuis huit ans et envoyé spécial du NYT, rapporte la situation désastreuse de ce pays. La pire depuis 2001 selon ses dires. Avec ces civils tués dans cette guerre, pesant dans la balance. Selon Vendrell, il ne faut pas que les forces de l’Otan se retirent, mais il est souhaitable que des puissances régionales comme le Pakistan, l’Inde et l’Iran puissent intervenir. Voilà une idée intéressante, mais dénuée de pragmatisme car on ne voit pas ces nations se mettre au service des Etats-Unis, surtout l’Iran qu’on ne cesse d’emmerder. C’est bien complexe cette affaire. Je crains que nos députés ne soient pas à la hauteur de l’enjeu qui se dessine et que quelques valets vendus aux Américains ne séquestrent la discussion en optant pour un préjugé officiel validant la doctrine Bush. Wait and see. Mais l’affaire ne fait que commencer. Et le PS dans tout ça. Il a une occasion de se faire entendre. Saura-t-il la saisir ou bien se défilera-t-il, tel un troupeau d’éléphants peureux fuyant la liberté qui leur sourit ? J’ai parfois l’impression d’être en 1938. Aveuglement, l’essence du sous-homme ?
Crédit photo : Martin Tremblay | La Presse