Démagogie autour de la dépouille du Clémenceau
par Jo Le Guen
mardi 16 mai 2006
Démagogie autour de la dépouille du Clémenceau
L’impact médiatique autour de l’acharnement de l’Etat à se débarrasser du Clem au mépris de ses engagements internationaux aurait pu être un atout pour chacun :
- L’Etat lui-même
- Les ONG qui cherchent à améliorer les conditions de démantèlement des navires
- Les ouvriers des chantiers de démolition asiatiques
- L’environnement
- L’Union européenne
Au lieu de cela, l’Etat s’est arc-bouté sur le mensonge qui faisait du Clem un navire de guerre (le chantier indien avait acheté de la ferraille, pas un navire de guerre).
Les ONG tenaient leur os à ronger et semblaient plus dans une logique de communication que de construction.
Chacun est conscient que le démantèlement des navires en Asie pose des problèmes au plan social, celui de la sécurité des travailleurs locaux, au niveau environnemental, au plan éthique également, puisque ce sont, pour une grande part, les navires appartenant à des armateurs originaires de pays riches qui se débarrassent dans des pays pauvres ou en voie de développement de leurs vieux bateaux au prix de la ferraille, se lavant les mains de la manière dont tout cela est traité.
S’il est possible d’organiser dans chaque pays le recyclage des biens de consommation, ce n’est pas chose aisée pour ce qui est des navires. On voit mal comment Panama, le Libéria, Malte et Chypre, pour ne citer qu’eux, pourraient s’équiper pour démanteler les navires auxquels ils ont complaisamment donné leur pavillon.
Le démantèlement est donc délocalisé, et obéit aux lois du marché.
Le propriétaire du navire se contente de négocier un prix de vente avec un chantier de démolition, souvent indien ou bengali, lequel chantier revend l’acier récupéré.
La marge obtenue par les chantiers de démolition ne leur permet pas de s’équiper aux normes. S’ils le faisaient, ils augmenteraient leurs coûts et se retrouveraient avec un prix de revente de l’acier récupéré trop cher pour le sacro-saint marché.
Du pays de la métempsychose, ce n’est sans doute pas un hasard, les navires nous reviennent sous forme de machines à laver ou de congélateurs.
Il est enfin admis aujourd’hui par les opinions publiques que l’utilisateur d’un produit ne peut se désintéresser de ce qu’il devient en fin de vie.
Partant de ce principe, l’armateur, utilisateur du navire, doit être financièrement associé au coût du démantèlement de son navire.
Un navire en fin de vie ayant connu plusieurs propriétaires, il ne serait pas équitable de faire peser la charge du coût sur le dernier propriétaire.
Une des solutions serait de constituer un fonds, alimenté par les armateurs tout au long de la vie du navire, sous la forme d’une somme forfaitaire perçue à chaque escale du navire.
Cette idée d’un fonds international qui permettrait d’équiper les chantiers de démantèlement et d’y améliorer les conditions sociales et environnementales est entre les mains de l’OMI, l’Organisation maritime internationale et de l’OIT, l’Organisation internationale du travail.
Force est de reconnaître que les discussions peuvent durer encore fort longtemps, qu’elles déboucheront certainement sur un projet de convention... qui sera soumis à ratification... qui entrera en vigueur si... si... etc., etc. On connaît cela par coeur. Il est clair qu’on n’est pas rendu au bout du chemin.
L’impact médiatique de l’agonie du Clemenceau aurait certainement permis la mise en place d’un fonds européen de démantèlement des navires, comme l’impact médiatique des marées noires de l’Erika et du Prestige a permis la mise en place du Fipol supplémentaire.
Il est utile de rappeler qu’en cas de marée noire sur nos côtes, une somme d’environ 900 millions d’euros serait aujourd’hui à la disposition des victimes, en lieu et place des 182 millions d’euros pour les victimes de l’Erika et des 171 millions d’euros pour celles du Prestige.
Petite parenthèse : six ans et demi après le naufrage de l’Erika, le Fipol a payé seulement 117 millions d’euros sur les 182 disponibles, trois ans et demi après celui du Prestige, 57 millions sur les 171 disponibles.
Quand on vous dit que ça marche bien, le Fipol...
A la suite des naufrages de l’Erika et du Prestige, l’Union européenne a fait savoir au monde maritime que si le fonds international, le fameux Fipol, n’était pas augmenté de façon significative pour faire face au coût économique réel d’une marée noire, elle mettrait en place son propre fonds, le fonds COPE, doté d’un milliard d’euros.
L’UE représentant 40% du Fipol, la mise en place du fonds européen signifiait la mort du Fipol, et par voie de conséquence, une remise en cause de l’OMI elle-même.
Le monde maritime a reçu le message 5 sur 5, et s’est dépêché de proposer un fonds supplémentaire, entré en vigueur en mars 2005.
Il a fallu deux catastrophes pour que le poids des opinions publiques permette à l’UE de faire entendre sa voix et d’imposer au monde maritime international cette mesure tant attendue, et rendue possible par la détermination de Mme Loyola de Palacio, Commissaire européen aux transports, et de son équipe.
Nos sociétés fonctionnent dans l’urgence et sous la pression médiatique.
La médiatisation de l’agonie du Clemenceau aurait sans doute permis une avancée du même type, pour peu que les uns et les autres eussent bien voulu sortir de leur vision égocentrique du problème.
Plutôt que de s’acharner à vouloir faire revenir le Clemenceau en France, ce qui ne résoudra pas le problème des autres navires, il aurait fallu en faire l’outil qui aurait permis une avancée concrète en matière de démantèlement des navires.
Les ONG auraient pu proposer à l’Etat français de les aider à mettre en place un fonds européen.
Il est logique que nous participions financièrement à la mise aux normes de ces chantiers qui recyclent nos déchets.
Il faudrait bien sûr évaluer les besoins, mais sur la base moyenne de 120 000 escales annuelles dans les ports européens, une taxe de 100 euros, sans effet sur le coût du transport, dégagerait 12 millions d’euros annuellement.
L’Union européenne pourrait avancer les sommes nécessaires à l’équipement de certains chantiers, et se faire rembourser par le fonds.
L’Etat français aurait pu provoquer une consultation réunissant des représentants d’ONG, de la Commission européenne et du Parlement européen pour jeter les bases de ce fonds européen qui aurait permis de gagner plusieurs années dans le règlement du problème du démantèlement des navires.
L’Union européenne aurait ouvert la voie, se serait affirmée face au monde maritime.
Tout n’aurait pas été mis en place immédiatement, d’un coup de baguette magique, mais les bases d’une action concrète auraient pu être posées.
« En échange » de cette initiative concernant tous les bateaux, on aurait laissé le vieux Clem mourir tranquille sur une plage indienne, tout en surveillant de près les conditions de son démantèlement.
Au lieu de cela, on a assisté à un combat de chiffonniers. On est même allé jusqu’à s’inquiéter, à juste titre bien entendu, de la santé des ouvriers indiens qui l’auraient dépecé.
Que ne s’inquiète-t-on pas, quotidiennement, de la santé des millions de personnes qui sont écartées de « la formidable fête économique planétaire », pour reprendre les termes d’un banquier en vue ?
On fait un pataquès avec le Clemenceau, pendant que des dizaines de navires bourrés d’amiante continuent à se faire démolir sur les plages indiennes et bengalis dans l’indifférence générale.
La mort du Clem aurait pu rester dans les annales comme le point de départ d’un nouveau comportement Nord-Sud en matière de démantèlement des navires.
On n’en est pas là, loin s’en faut.
Le Clem va traîner sa misère, pour quelque temps encore, dans une surenchère démagogique.
Jusqu’au maire de Brest qui s’inquiète pour son rassemblement de vieux gréements en 2008.
Voilà des années qu’il s’accommode très bien de la base de sous-marins nucléaires de l’Ile Longue !
La présence du vieux briscard qui refuse de mourir perturberait une fête que la présence de têtes nucléaires ne dérangerait en rien ?
Un jour, il faudra bien arrêter de prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages.