Dérives alternatives (1/2) : la crise économique du Vénézuela

par Laurent Herblay
samedi 5 mars 2016

La faillite du néolibéralisme, éclatante avec les crises de 2001 et 2008, et toutes les failles de notre modèle économique, n’a, pour l’instant, pas encore produit un véritable changement de direction politique, si ce n’est dans quelques pays d’Amérique latine. Et si un manque de distance avec les failles des politiques des pays dirigés par des alternatifs freinait le véritable changement que nous attendons ? En ne faisant pas toujours assez le tri entre le bon grain et l’ivraie, sans pour autant tomber dans les caricatures véhiculées par les tenants de la pensée dominante, le premier ne peut-il pas en être souillé politiquement ?

 
Premier exemple, le Vénézuela : même si on approuve certains aspects du chavisme, il faut reconnaître la grave crise économique que traverse le pays depuis quelques mois. L’effondrement du prix du pétrole a frappé une économie qui en était très dépendante, et qui camouflait les failles du régime.
 
Victime du marché et de mauvais choix
 
Tout le paradoxe de la situation du Vénézuela tient au fait que la crise des derniers mois provient de facto du fait que le pays a profité de manière inconsidérée des excès des marchés. Quelle ironie de constater que le chavisme doit une partie non négligeable de son succès à l’exubérance des marchés, qui avait poussé les prix du pétrole au-delà de cent dollars le baril, apportant au pays une énorme manne financière qui avait permis au gouvernement de se rendre populaire. Bien sûr, cela n’enlève rien aux choix, justes, de répartir cette manne de manière plus égalitaire que ce que le marché fait, et de refuser les diktats venus d’ailleurs. Néanmoins, l’effondrement des prix du pétrole, après leur envolée, expose les erreurs d’un régime qui n’a pas eu la prévoyance d’anticiper le retournement des marchés.
 
Bien sûr, les média ne sont pas toujours objectifs sur le Vénézuela. Ce pays, parfois présenté comme une dictature, a connu une alternance démocratique lors des dernières législatives, signe que les chavistes, s’ils ne sont pas exempts de pratiques autocratiques, sont quand même des démocrates. Malheureusement, ils ont aussi recours à des manœuvres guère démocratiques pour se protéger des conséquences de leur défaite électorale : en décembre, juste avant l’élection, ils ont nommé 34 nouveaux juges à la plus haute autorité judiciaire du pays, le Tribunal Suprême de Justice, pour en garder le contrôle, et cette dernière vient d’annoncer une limitation des pouvoirs du Parlement, sachant qu’ils avaient essayé d’invalider l’élection de 3 députés de la nouvelle majorité pour la priver de majorité qualifiée.
 
Pire encore, la crise économique que traverse le pays est extrêmement brutale puisque même le président Maduro a jugé la situation « catastrophique  », avec un recul du PIB de 7% et une inflation officielle à 141%  ! Bien des produits manquent à la population, qui fait la queue dans les magasins. Le pouvoir d’achat aurait reculé de 35% en un an, et selon une autre étude, pas moins de 76% de la population serait pauvre, plus qu’en 1998 ! En fait, le pays a cédé à un excès de création monétaire et un refus trop extrême des règles du marché en profitant de la rente pétrolière, sans construire autre chose. Du coup, à moins d’un redressement du prix du pétrole, le pays est proche d’un défaut de paiment puisqu’on estime qu’il lui manque la bagatelle de 30 milliards de dollars pour boucler la seule année 2016.
 

S’il faut reconnaître certains aspects positifs du chavisme, la déconfiture actuelle démontre aussi que ses fondations étaient fragiles et qu’il n’est pas un modèle sans (grandes) limites. Mais le succès de certaines de ses recettes (protectionnisme, création monétaire), appliquées de manière plus modérées, notamment en Asie, démontre que le problème venait surtout d’un manque de mesure.

 


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