« Deux chauves se battant pour un peigne »

par Surya
vendredi 10 février 2012

C'est reparti ! Ca chauffe à nouveau aux Malouines. L'Argentine prétend que les Malouines (Malvinas) sont argentines. Les Britanniques, qui y sont définitivement installés depuis 1833, prétendent que les Malouines (Falklands, qui est le nom officiel) sont britanniques. Ce dialogue de sourds a déjà engendré une guerre en 1982, et voilà que la tension monte à nouveau à quelques semaines du trentième anniversaire de ce conflit armé. Le Royaume Uni a dépêché sur place un destroyer, ainsi que le Prince William, pilote d'hélicoptère de son état, envoyé dans cet autre bout du monde en mission de six semaines. L'Argentine, de son côté, dénonce la militarisation de l'Atlantique Sud et se plaind auprès de l'ONU. Chacun voit en l'autre une nation belligérente prête à rallumer la mèche, le Royaume Uni affirmant que le déploiement militaire d'un seul bâtiment n'est qu'une simple manoeuvre défensive de routine, l'Argentine annonçant par la voix de sa Présidente ne chercher à récupérer ces îles que par la voie diplomatique et économique.

Certes, ce fut l'Argentine qui déclencha les hostilités en 1982 en envoyant ses troupes débarquer sur une terre qui n'était pas sous sa juridiction. Il faut dire que le gouvernement argentin de l'époque n'était pas ce qu'il est maintenant devenu, car la junte était alors au pouvoir, et l'on peut en effet penser que l'Argentine démocratique d'aujourd'hui saura cette fois éviter cet écueil de la guerre. Certains pensent que ce pays ne fait en réalité que convoiter, désormais, le pétrole de cette zone. Et sans pétrole ni position géostratégique de choix, quel intérêt auraient les Britanniques à vouloir conserver à tout prix ce bout de terre perdu au large de l'Amérique latine, battu par les vents, où vivent des colonies d'oiseaux, environ trois mille personnes et cent fois plus de moutons ?

Ces personnes, arguent les Britanniques, sont britanniques, descendantes de Britanniques (1), et affirment fermement vouloir rester britanniques. Les Argentins, quant à eux, enseignent à chacun de leurs enfants dans les écoles que les Malouines sont argentines et que les Anglais ont volé leurs îles. Cette revendication sur les Malouines est également perçue comme une façon de maintenir l'union nationale en Argentine. Les récupérer serait alors une mission patriotique. Les Malouines sont situées à plus de 12000 kilomètres des côtes Britanniques, et seulement à 480 km de celles de l'Argentine. Cela constitue-t-il un motif légitime de revendication ? Et si les Britanniques prétendent et que les Argentins prétendent eux aussi, alors à qui appartiennent vraiment ces Iles ? Ces deux pays ne seraient-ils en effet que "deux chauves se battant pour un peigne", selon les propres termes de Jorge Luis Borges à propos de la guerre des Malouines de 1982 ?

Les Malouines sont-elles une colonie ? Pour essayer de le savoir, il faut bien sûr remonter le temps et examiner de près le passé. Chose peu aisée vue que l'histoire des Malouines semble assez compliquée. Qui dit "colonie", dit alors, logiquement, "peuple colonisé". On peut penser (à priori, mais l'on peut aussi débattre de cette idée) que l'on ne colonise pas une terre inoccupée, surtout si elle n'appartient à personne. On s'en empare, plutôt, on s'y installe. Cela dit, il est difficile de nommer autrement que "colonie" une terre sur laquelle un groupe de personnes venues d'ailleurs, parfois de très loin, décident de s'établir. Quoi qu'il en soit, il n'y avait personne aux Malouines, aucun peuple "autochtone", lorsque les premiers immigrants ont débarqué. Si une terre appartient de droit au premier qui s'y est installé, plutôt qu'à son dernier occupant en date, alors reste à savoir qui y est arrivé le premier. Même ce sujet fait l'objet de polémiques et d'incertitudes.

Alors, qui ? A qui appartenaient les Malouines avant de passer sous contrôle britannique ? Aux Argentins. L'Argentine a en effet possédé ces îles de 1820, apparemment, à 1833, date à laquelle les Britanniques en ont pris le contrôle. Mais nous verrons plus tard que ce n'est pas aussi simple que cela. En tout cas, logiquement, les Argentins et les Britanniques ne devraient pas être les seuls à revendiquer les Malouines, vu qu'il y a sans doute eu quelqu'un d'autre avant eux. On remonte un peu plus loin dans le temps, un peu comme le ferait un télescope dont la puissance nous permet de voir de plus en plus loin dans le passé de l'univers, et là, on tombe sur des Iles Malouines appartenant aux Espagnols. Gérées par la puissance coloniale établie... à Buenos Aires. On pourrait donc penser que les Espagnols ont également des droits sur les Malouines, puisqu'ils en ont également été les propriétaires légaux.

Mais au fait, de qui les Espagnols tenaient-ils donc les Malouines ? Cédées à l'Espagne en 1767 par... la France ! C'est en effet Bougainville qui fut le premier à s'y installer véritablement en 1764, en compagnie de nombreux marins Malouins. C'est d'ailleurs de la ville de Saint Malo que les Iles Malouines tirent leur nom français. Mais alors, pardi, c'est la France qui devrait revendiquer les Malouines !

"Rendez-nous... les Malouines ! Rendez-nous... les Malouines !!"

Mais au fait, euh... les Français furent-ils vraiment les premiers à débarquer ou s'installer aux Malouines ? Eh bien non. Avant Bougainville, le Britannique John Strong y débarqua en effet en 1690, et donna à l'archipel le nom de Falklands. Encore avant lui, c'est le Hollandais Sebald de Weelt qui débarqua en 1600, et nomma ces îles "Sebald". Et avant lui encore, il y a eu John Davis, navigateur et explorateur anglais, en 1592. Des Amérindiens auraient visité les Malouines au seizième siècle. Une chose est sûre, il n'y avait personne sur les îles lorsque le premier Européen y posa le pied.

Cet embroglio de différents propriétaires, découvreurs et visiteurs au fil du temps n'aide pas beaucoup pour se forger une opinion au sujet de qui a le droit de posséder légalement ce territoire, d'autant plus que l'on ne s'est pas jusqu'ici demandé si les nations successives en sont devenues propriétaires par la force, ou si elles les ont acquises, ou reçues gratuitement, de façon tout à fait légale.

Par le canon, ou la négociation ? A l'époque de la présence française sur les îles, le Capitaine britannique John Byron arriva en 1765 à l'ouest de l'archipel et y fonda en 1766, au nom du Roi George III, un port, dans lequel s'établirent des Britanniques. Ca ressemble à une prise de possession illégale mais, pour sa défense, il faut faire remarquer qu'il ne savait même pas que les Français se trouvaient déjà dans les parages. Puis les Espagnols auraient acheté l'archipel aux Français en 1767. Tant pis, continuons quand même à les appeler "Malouines"... Trêve de plaisanterie, après quelques déboires et avoir frôlé la guerre, le Capitaine Byron put regagner son port. Plus tard les Britanniques durent se retirer (partiellement ? les sources semblent diverger) en raison des tensions provoquées par la révolution américaine, mais, comptant visiblement revenir, ils prirent garde à poser une plaque commémorative mentionnant leur souveraineté sur le territoire. En 1806, le Gouverneur espagnol s'en fut aussi, après avoir également pris soin de poser sa plaque. Il demeura ensuite une présence espagnole dans l'archipel jusqu'en 1811. Et, à la lecture de Wikipedia, c'est là que l'on commence à s'arracher les cheveux, notamment parce que les différents articles ne relatent pas les détails de l'histoire de la même façon.

Pour simplifier, en 1820, la Frégate argentine ("Provincias Unidas del Río de la Plata", à l'époque) "Héroica" étant endommagée par une tempête, elle fit escale aux Malouines, et son Capitaine y planta tout naturellement le drapeau de la Province, revendiquant la possession au nom de la Province. (2) Les Provincias Unidas n'eurent toutefois jamais vraiment le contrôle de l'archipel en raison du contrôle partiel visiblement conservé par les Britanniques. Après une série d'incidents, les Britanniques décidèrent de réaffirmer leur souveraineté sur l'archipel. Ce fut chose faite en janvier 1833 quand, à la requête des Britanniques, le drapeau argentin fut descendu et remplacé par le drapeau britannique, sans qu'un seul boulet de canon ou aucune balle ne soient tirés. Il faut dire que l'armée argentine était composée majoritairement (3) de mercenaires britanniques, qui refusèrent de se battre contre leurs compatriotes. Les Argentins préfèrèrent donc se retirer. Alors, comment analyser cette défaite argentine, et que faut-il en conclure ?

Les Argentins avaient-ils réellement le droit de hisser leur drapeau et revendiquer la possession de l'archipel lorsqu'est arrivé l'Héroica sur les côtes malouines ? Certes, la récupération de l'archipel, si l'on part du principe qu'il était bel et bien demeuré britannique, s'est faite sans effusion de sang, mais les Britanniques n'étaient pas non plus arrivés avec des bouquets de fleurs à la main, et nul doute que l'armée argentine ne se serait pas laisser ainsi expulser si elle avait eu les moyens de combattre. Une fois encore, une guerre a pu être évitée. Canon, non. Alors, négociation ?

Il demeure difficile de se faire une opinion quant à la souveraineté de l'archipel des Malouines si l'on ne se base que sur les faits historiques. 

A 480 kms des côtes argentines, à plus de 12000 des britanniques... En dehors des raisons vues plus haut, quelles motivations peut avoir l'Argentine à revendiquer les Iles Malouines ? Il semble logique que l'Argentine revendique aujourd'hui une terre située à seulement 480 kilomètres de ses côtes. Cependant, les détracteurs de l'Argentine font remarquer que ce qui compte, c'est le fait que le territoire revendiqué se trouve ou non dans les eaux territoriales du pays d'où émane la revendication. Or, les Falklands ne se situent pas dans les eaux territoriales argentines. Si cet argument est recevable, qu'est-ce que cela change, donc, que l'archipel se trouve plus proche, géographiquement parlant, de l'Argentine que du Royame Uni ? Il ne se trouve même pas dans la Zone Economique Exclusive de l'Argentine, puisque cette limite s'étend jusqu'à 200 milles marins au delà de celle des eaux territoriales d'un pays. (4) En conséquence, l'Argentine ne peut donc même pas revendiquer les Malouines comme zone de pêche exclusive. En 2009, l'Argentine a déposé devant l'ONU une demande d'élargissement de sa Zone Economique Exclusive, incluant une part de l'Antarctique disputée au Chili. Cette demande était-elle recevable ?

Et maintenant ? Les partisans du Royaume Uni ne manquent pas de faire remarquer que même si l'Argentine avait de bonnes raisons de considérer que les Malvinas lui appartiennent, il faudrait que ce pays balaye devant sa porte et rende au Paraguay les terres extorquées lors de la Guerre de la Triple Alliance

Et puis il y a le pétrole, qui ravive les tensions. Une prospection pétrolière dans les eaux malouines a été entamée en 2010. Les Argentins s'y sont fermement opposés et ont tenté de mettre des bâtons dans les roues des Britanniques. Le problème, c'est qu'actuellement les Falklands appartiennent de fait aux Britanniques, que cela soit justifié ou non, et ils ont par conséquent le droit de forer dans les eaux malouines et de posséder le pétrole qu'ils pourront y trouver. Il est difficile dans ce cas pour les Argentins de justifier leur "plaintes judiciaires devant les plus hautes instances, pour prospection et exploitation de ressources argentines". Qu'ils interdisent leurs ports aux navires britanniques transportant le matériel de forage est une autre histoire, et ils ont, on le suppose, parfaitement le droit de le faire.

Le problème des Malouines réside aussi dans le fait que chacune des parties, arguments à l'appui, considère que c'est dans son bon droit de vouloir posséder ce groupe d'îles. Les Britanniques, qui ne veulent pas entendre parler de céder les Falklands aux Argentins, refusent de négocier également en raison du fait que les habitants de l'archipel ne veulent en aucun cas devenir argentins.

A chaque anniversaire de la guerre de 1982, les tensions sont un peu ravivées. Cette fois, avec le trentième anniversaire qui approche, cela semble plus sérieux, et la situation est inquiétante.

Cependant, l'Argentine et le Royaume Uni sont-ils vraiment deux chauves se battant pour un peigne ?

Difficile, lorsque l'on n'est pas de parti pris, de se faire une opinion et prendre position. Peut-être faut-il, pour cela, approfondir un peu plus ses lectures, et pourquoi pas reprendre même le problème depuis le début.

Alors c'est reparti. L'Argentine prétend que les Malouines sont argentines, les Britanniques prétendent que les Malouines sont britanniques...

 

Notes.

(1) La majorité de ces trois mille personne est Britannique. Vivent également aux Malouines, selon Wikipedia-en, quelques Français, Portugais, scandinaves et Gibraltariens.

(2) Petit détail sans importance, le Capitaine en question, David Jewett, était Américain, né dans le Connecticut. Cela donna tout de même l'occasion de quelques polémiques. Jewett s'était mis au service de la marine de la Province. Plus tard, il se mit au service de celle du Brésil, et combattit contre l'Argentine.

(3) A près de 80% !! L'article de Wikipedia qui relate ce fait ne nous apprend pas pour quelle raison.

(4) Pour mémoire, 1 mille marin = 1852 mètres. La limite des eaux territoriales, quant à elle, se situe à 12 milles marins. Convertisseur en ligne

Source de la carte.


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