Ecoutes de la NSA : Le détail de Noël (Cocons en stock)

par Alexandre Gerbi
mercredi 30 octobre 2013

Un « détail » de l’affaire des écoutes de la NSA pourrait bien révéler que le scandale est encore plus grand qu’annoncé. A condition, bien sûr, que Le Monde et Libération, pour une fois, n'aient pas dit trop de bêtises...

On lit dans Le Monde daté du 21/10/2013 :

« Les techniques utilisées pour ces interceptions apparaissent sous les codes "DRTBOX" et "WHITEBOX". Leurs caractéristiques ne sont pas connues. Mais on sait que grâce au premier code, 62,5 millions de données téléphoniques sont collectés en France du 10 décembre 2012 au 8 janvier 2013 et que le second permet d’enregistrer sur la même période 7,8 millions d'éléments. (...). Le graphique de la NSA montre une moyenne d'interceptions de 3 millions de données par jour avec des pointes à presque 7 millions [le] 24 décembre 2012 (…). »

L’idée d’une « pointe » d’écoutes le 24 décembre, jour de Noël, a fait beaucoup rire certains commentateurs. Or, loin d’être burlesque, ce détail pourrait bien être révélateur d’au moins une partie des mystérieuses (« pas connues ») « caractéristiques » techniques des « interceptions  » (dites « DRTBOX » et « WHITEBOX  ») de la NSA, évoquées par Le Monde...

« N'oublie pas les huîtres »

En effet, pourquoi cette « pointe » d’écoutes, non d’ailleurs toute la journée du 24 décembre, mais, selon Libération, « le soir de Noël » ?

http://www.liberation.fr/monde/2013/06/30/berlin-et-bruxelles-tirent-les-grandes-oreilles-de-l-amerique_914864

Chacun en a largement fait l’expérience à son échelle personnelle : le 24 décembre, jour de Noël, les conversations téléphoniques sont le plus souvent prosaïquement « pratiques » : « Tu as bien trouvé tous les cadeaux pour les enfants ? », « N’oublie pas de passer chercher Mémé », « Pense bien à apporter le champagne et le foie gras », etc. Autant d’échanges présentant un intérêt plutôt limité pour un service d’espionnage qui, nous apprend encore Le Monde, ciblerait « aussi bien des personnes suspectées de liens avec des activités terroristes que des individus visés pour leur simple appartenance au monde des affaires, de la politique ou à l'administration française.  »

La très sérieuse NSA serait-elle donc à ce point stupide, comme d’aucuns ont cru pouvoir s’en gausser, qu’elle déploie des trésors d’énergie (la fameuse « pointe ») pour espionner des conversations portant essentiellement sur l’achat des jouets ou de la dinde aux marrons ?

La chaleur de la famille

Observons que ce pic d’écoutes est d’autant plus étonnant que, le soir du 24 décembre, on est rarement pendu au téléphone. Fête familiale par excellence, Noël réunit des familles dont les membres ne se sont pas vus, parfois, depuis longtemps. Ceux-ci ont par conséquent beaucoup de choses à se raconter de vive voix, et guère de temps pour le bigophone…

Or si les échanges téléphoniques du 24 décembre sont le plus souvent, comme on l’a dit, réduits et dénués d’intérêt, notons, en revanche, que les conversations qui accompagnent les retrouvailles familiales (qui connaissent justement, elles aussi, ce jour-là, une « pointe »…) sont éminemment propices à des échanges particulièrement intéressants. En effet, le cercle familial, de tous les cercles qui existent, est sans doute celui où l’on parle avec le plus de franchise. Où l’on dévoile sa pensée de la façon la plus transparente. Où, en l’absence (supposée…) de caméras et de micros, la langue de bois n’est pas de mise. Où, en toute confiance, l’on se confie aux siens, le champagne, les vins fins, la bonne chère et l’intimité du cocon familial aidant…

De ce fait, qu’il soit journaliste ou intellectuel, syndicaliste, militant politique ou élu, petit ou haut fonctionnaire, modeste travailleur ou capitaine d’industrie, le convive du réveillon est bien moins enclin à dissimuler ses intimes convictions et ses petits secrets face à un papa, une maman, un tonton, un frère ou une sœur qui le connaissent depuis le berceau, que face à n’importe quel autre type d’interlocuteur. En somme, l’anniversaire du petit Jésus est le jour idéal pour connaître ce que chacun(e) a vraiment dans le ventre et ce qu’il (ou elle) scelle en toute autre circonstance. Pour peu, bien sûr, qu’on parvienne à s’immiscer autour de la table…

Cocons en stock

Or, depuis bien des années, on sait que le téléphone portable peut faire office de « micro ambiant », micro d’autant plus efficace que le « mobile » suit souvent son propriétaire à la trace, tout simplement parce que ledit propriétaire ne s’en sépare presque jamais. Toujours dans la poche, à la main ou posé sur la table, l'appareil permet ainsi d’écouter ce qui se dit, par exemple, au cours du repas de Noël…

http://www.rue89.com/2008/12/13/ecoutes-ce-qui-est-possible-avec-votre-telephone-portable

Sous cet angle, la « pointe » du 24 décembre, loin de mette en évidence la stupidité et la légèreté de la NSA, pourrait bien démontrer, tout au contraire, son âpre lucidité. Et suggérer que les écoutes états-uniennes ne se sont pas bornées à espionner des conversations téléphoniques, mais bien plutôt à s’insinuer au cœur d’un cocon familial particulièrement propice aux confidences, pour y faire moisson d’informations, voire de secrets (politiques, industriels, etc.), éminemment fiables. De là, on comprendrait donc pourquoi la « pointe » d’écoute de la NSA a eu lieu ce jour-là…

Selon toute vraisemblance, bien mieux que d’espionner nos coups de fil, la NSA a compris qu’en violant l’intimité familiale de milliers, voire de millions de Français (et autres Européens…) triés sur le volet, en transformant leurs portables en autant de « WHITEBOX », de « micros ambiants », en particulier le jour de Noël, jour stratégique comme on l’a vu, elle s’assurait des renseignements de première qualité, au gré d’intérêts qui dépassent largement, du reste, la lutte anti-terroriste…

A cette aune, la « pointe » du 24 décembre, plutôt qu’inspirer le rire à certains, aurait dû, à condition d’un peu de réflexion et de clairvoyance, leur donner une intense nausée et peut-être quelques vives inquiétudes. Leurs confessions de Noël, mais aussi celle du reste de l’année, face à Mémé, Papa, Maman ou encore sur l’oreiller (le portable étant, en cette occurrence, déposé sur la table de nuit…), sont désormais stockées dans les énormes ordinateurs de la NSA, et pour longtemps. A la disposition des services de la Maison-Blanche et de ses innombrables ramifications…

Alexandre Gerbi


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