Et après Khadafi ?
par Bruno de Larivière
jeudi 2 juin 2011
La Libye intéresse moins les médias. La rébellion n'obtient aucun résultat éclatant pour l'instant. Et Khadafi raconte à qui veut l'entendre qu'il ne quittera pas la place. Le malheur de son peuple l'indifèrre. Que laissera-t-il derrière lui ?
L'actualité en Libye me fait subitement penser à Antée. Je ne résiste pas à l'envie de rappeler ce qu'il a été, avant d'en arriver à celui qui l'incarne désormais. Pour parler de Khadafi, une digression ne fait pas de mal. Ceux que les vieilles barbes de l'Olympe ennuient passeront.
Antée est né de l'union des dieux Neptune et Gaïa. De la mer et de la terre est sorti un monstre aussi repoussant que ses autres frères Polyphème et Procuste. Le géant a élu domicile en Libye et se nourrit de chair humaine. Pour satisfaire son appétit, il s'attaque aux voyageurs ainsi qu'aux animaux du désert. A chaque combat, sa force lui permet de terrasser son adversaire bientôt englouti. Il a juré en outre de construire un temple en l'honneur de sa mère, en utilisant les crânes et les os de ses victimes. (tableau de Zurbaran)
Hercule décide un jour de débarrasser l'humanité de ce fléau ; il transforme pour ce faire son apparence afin de s'approcher du géant sans attirer sa méfiance. Antée vit dans une grotte en haut d'une falaise dominant la Méditerranée. En paisible promeneur, Hercule pénètre dans le terrain de chasse de son bourreau. Ce dernier ne tarde pas à le repérer. La lutte qui s'ensuit est indécise. Hercule met deux fois à terre son adversaire, imaginant à chaque fois triompher. Plaqué au sol, Antée retrouve au contraire le contact maternel et recouvre ses forces. Non seulement Antée ne faiblit pas, mais il gagne en puissance. Hercule dans un nouveau corps-à-corps tente une ultime parade. Il soulève le géant qui perd soudain toute sa ressource. Antée meurt asphyxié par le héros (tableau de Polaiollo).
Mouammar Khadafi peut-il être assimilé au fils de Neptune ? Les lieux servent évidemment à asseoir la comparaison. Mais celle-ci ne s'arrête pas là. Le dictateur a dirigé la Libye pendant plus de quarante ans. Ces décennies passées n'en font pas automatiquement un monstre, même si beaucoup de Libyens ont dû ronger leur frein. Cela étant, le leader libyen a su modifier son visage, infléchir ses options diplomatiques et idéologiques il y a une vingtaine d'années. Je n'oublie pas qu'il est presque devenu respectable. Invité, même. Non, j'ai en tête ce printemps 2011. Benghazi et sa région se sont soulevées contre le dictateur. L'Occident timoré face à la rue tunisienne et égyptienne a réagi dans la fougue des emportements. En Europe et en Amérique du nord, les principales puissances ont outrepassé les recommandations de prudence ou de simple neutralité. Des avions pilonnent désormais tous les jours les positions de l'armée restée fidèle à Khadafi. Certains s'émeuvent des victimes innocentes. L'air a sauvé Hercule, mais n'a pas fait périr Khadafi (source). En juin, peut-être...
Khadafi s'est terré dans sa grotte, à l'abri des regards et des bombes. Ses concitoyens de Tripolitaine ne partagent pas son confort. Ils peuvent recevoir des bombes et risquent de souffrir sous peu de la faim. Car Khadafi l'a annoncé lors d'une visite de l'ancien président sud-africain Jacob Zuma. Il ne compte pas lâcher prise. La folie le guetterait. Je crois qu'il agit plutôt par calcul. Il perdrait vite (immédiatement ?) sa liberté en s'exilant ; en admettant qu'un gouvernement accepte cet hôte encombrant. Khadafi table en revanche sur une lassitude de ses adversaires, pressés par leurs opinions de terminer la 'partie'.
Qu'obtiendra-t-il ? Je prendrai ici un peu de distance avec la mythologie car il n'y a aucun Hercule. La rébellion a longtemps piétiné, faute d'organisation sérieuse. Elle paraît certes désormais en mesure de l'emporter, trois mois après son déclenchement (source). Au rythme des combats, les vainqueurs s'empareront d'un temple en ruine. Les Occidentaux entrevoient une issue. Il reste à savoir laquelle. Que se passera-t-il à la frontière entre la Tunisie et la Libye ? Khadafi a tenté à plusieurs reprises de déclencher un conflit international. Nul doute qu'il essaiera à nouveau ; 50.000 réfugiés libyens survivraient dans des camps de fortune dans le sud tunisien qui rendent le contrôle de la région aléatoire (source). Reviendront-ils dans leur pays une fois la succession de Khadafi réglée ? L'Europe qui soutient la rébellion permettra-t-elle à ceux qui le souhaitent d'émigrer ? Les déclarations des plus hauts responsables de l'Etat français laissent présager l'inverse...
Pour le reste, le temps joue à la défaveur de l'Occident. Bien sûr les soutiens extérieurs au dictateur ont peu à peu pris leurs distances. Les Libyens restés fidèles se défaussent ou se défausseront : les diplomates en poste en Europe, les officiers supérieurs, les cadres de l'administration. Tous ceux qui en ont les moyens vont lâcher Khadafi. Lui écarté ou mort, ils resteront, bourreaux au milieu des victimes. Sans prévoir le pire - une guerre civile - on peut à juste titre s'inquiéter de la suite. Plus la guerre se prolonge, plus son coût augmente : au Canada, on en parle plus qu'en France. A Paris, Londres ou Washington, on prévoit sans doute de financer la reconstruction de la Libye dans l'espoir d'une rétribution sous forme pétrolière. La production libyenne atteint en temps 'normal' 1,8 million de barrils par jour : 90 millions de tonnes de pétrole par an, l'équivalent des trois quarts de la consommation française. En 1979, le Shah d'Iran abandonné par les Occidentaux a laissé la place à un régime qui les honnit. Il faut espérer qu'en Libye s'installera un Etat de droit, ouvert aux échanges commerciaux avec l'Europe.
Après Khadafi, ce sera Post Antée
Quelle est la situation sur le terrain ? << [L]es raids ont d'ailleurs repris. La télévision libyenne a rapporté que des sites militaires et civils avaient été visés à Tripoli et à Tadjoura, à l'est de la capitale. Les rebelles contrôlent Benghazi et l'est du pays, ainsi que la troisième ville de Libye, Misrata, à 220 km à l'est de Tripoli, le djebel Nefoussa et la localité de Zentane, à 150 km au sud-ouest de la capitale. La situation militaire sur le terrain n'évolue pas, les insurgés n'étant pas en mesure de lancer une offensive en direction de Tripoli. A Misrata, une photographe de Reuters a fait état de violents combats mardi dans le faubourg de Dafnia, à l'ouest de la ville. Quatorze rebelles ont été blessés, dont un grièvement, a-t-elle dit. "Les forces de Kadhafi tirent des missiles Grad, les rebelles ont essayé d'avancer mais ont été repoussés." Les insurgés, qui ont réussi ce mois-ci à chasser les gouvernementaux du centre de la ville, doivent désormais se battre en terrain découvert et sont désavantagés par le manque d'armes lourdes, a dit un de leurs porte-parole. Après les bombardements des derniers jours, on ne faisait pas état mardi après-midi de combats dans le djebel Nefoussa. "Il y a eu des affrontements au mortier hier soir à Raïana, à l'est de Zentane, cela a duré jusqu'aux premières heures de la matinée", a précisé un porte-parole des insurgés. "Les forces révolutionnaires ne veulent pas intensifier leurs attaques de crainte de frapper la population civile", a-t-il ajouté en demandant à l'Otan d'envoyer ses avions bombarder les positions gouvernementales. Un chef rebelle de Zentane a dit à des journalistes de Reuters recevoir des armes et des munitions de Benghazi, via la Tunisie. Certaines de ces armes seraient fournies par le Qatar. A Benghazi, capitale de la Cyrénaïque et bastion des rebelles, le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, a promis à l'insurrection une aide de plusieurs centaines de millions d'euros. >> [source]